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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La Franc-maçonnerie sous le régime de Vichy (3/3)

Claude Bou .°.

La résistance et les réseaux

La répression va inciter de nombreux francs-maçons à créer ou à rejoindre des réseaux, et très souvent à devenir des éléments-clés de ces organisations clandestines. Et comme la Résistance elle-même, la résistance maçonnique va être polymorphe.

Un réseau composé exclusivement de frères va se créer sous le nom de « Patriam Recuperare ». Parmi les fondateurs, José Roig de la Grande loge de France (GLDF) est fusillé en 1941. À Paris, la loge clandestine « L’Atelier de la Bastille » participe au réseau « Patriam Recuperare ».

Mais ce réseau est l’ossature qui permet l’éclosion, début 1941, d’un Grand conseil provisoire de la franc-maçonnerie française, lequel devient ensuite le Comité d’action maçonnique. Ce Comité parvient à fédérer jusqu’à 200 loges clandestines. Il coordonne les réunions et constitue la liaison entre tous les réseaux impliquant peu ou prou des francs-maçons. À la Libération, c’est essentiellement de ses rangs qu’émergera le nouveau Conseil de l’ordre installé en 1945.

En Isère, la franc-maçonnerie est un véritable terreau pour la Résistance. Léon Martin, déjà cité pour compter parmi les 80 parlementaires réfractaires, ensuite déchu de ses mandats de député et de maire de Grenoble, est l'un des fondateurs du mouvement Franc-tireur, et ce faisant, du 1er maquis du Vercors.

Des réseaux notoires comme « Combat » ou « L’Organisation civile et militaire » connaissent une forte implication maçonnique qui contribue à leur renom et à leur efficacité. C’est le cas à Marseille, avec Henri Malacrida et Roger Nathan-Murat dans le réseau « Combat ». Henri Malacrida est chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) et artisan du réveil de la Section française de l’Internationale socialiste (SFIO) dans la région, il est issu de la loge « Les Arts et l’Amitié » d’Aix-en-Provence. Quant à Roger Nathan-Murat, il organise comme déporté au camp de Buchenwald, quelques rencontres maçonniques. À Tours, la loge « Les Démophiles » voit 15 de ses membres périr en détention ou dans les camps. À Toulouse et dans sa région, notamment à Montauban, de nombreux maçons espagnols et italiens, après avoir fui l’Espagne franquiste et l’Italie fasciste, rejoignent la résistance locale.

De manière plus large, on peut dire que la franc-maçonnerie, dans chacune de ses obédiences, possède une organisation administrative propre et un maillage géographique de loges sur tout le territoire. Ce type d’élément a dû jouer efficacement lors des engagements en résistance de nombreux frères, et surtout pour la constitution de réseaux. C’est aussi une des raisons pour lesquelles de grandes figures de la Résistance sont maçonnes, au premier rang desquels apparaissent Pierre Brossolette, ou Jean Zay.

D’autres, de toutes obédiences, de toutes loges mériteraient d’être cités.

Quelques personnalités

Parmi les 500 francs-maçons que le Grand orient de France (GODF) a inscrit depuis 2006 sur le Mur du Souvenir, rue Cadet, retenons, dans un choix personnel :

Maurice Plantier, de la loge «Les Arts et l’Amitié» à Aix. Représentant de commerce, puis infirmier psychiatrique, il devient adjoint de Max Juvenal, chef régional des Mouvements unis de la Résistance. Pris dans une embuscade face aux Allemands à Puyricard, il est blessé, puis achevé sans ménagement le 19 août 1944, quelques heures avant l’arrivée des Américains à Aix. Son corps sera jeté, tête la première, dans un trou en bord de route.

Valentin  Abeille, de la loge « L’Expansion Française » à Paris. Fils et petit-fils de maçons, fils et petit-fils de sous-préfets, lui aussi sous-préfet, il est en poste à Provins lorsqu’il est rétrogradé en 1941 comme simple rédacteur de préfecture à Marseille, avant d’être définitivement révoqué. Il est mis en relation avec le réseau « Combat » dans lequel Henry Frenay lui confie la responsabilité du département du Jura. Il rejoint Londres en 1943 et est nommé délégué militaire pour les 14 départements de Bretagne, de Normandie et d’Anjou. Tentant de s’évader, lors de son arrestation par la Gestapo le 31 mai 1944, il est grièvement blessé et décède quatre jours avant le débarquement de Normandie.

Martial Brigouleix, de la loge « La Fraternité » à Brive. Professeur d’histoire à Tulle, il est révoqué en 1941. Il devient chef départemental, pour la Corrèze, de l’Armée secrète. Le préfet du département refuse à la Milice de procéder à son arrestation C’est donc par la Gestapo qu'il est arrêté, puis transféré et torturé à Paris. Il est fusillé au Mont Valérien en 1943, parmi 50 otages, en représailles à l’exécution d’un officier allemand

Ces trois là, seront fait Compagnons de La Libération, à titre posthume.

La Libération, enfin

Le général de Gaulle, sous l’impulsion conjuguée de Michel Dumesnil de Gramont de la GLDF et de Yvon Morandat, membre de son cabinet et futur franc-maçon, déclare à l'Assemblée consultative provisoire qui siégea de novembre 1943 à juillet 1944 à Alger : « Nous n’avons jamais reconnu les lois d’exception de Vichy. En conséquence, la franc-maçonnerie n’a jamais cesser d’exister ». Il confirme ses propos en demandant au Comité français de Libération nationale de rétablir la franc-maçonnerie dans ses droits, dans ses biens et dans sa dignité. Ce qui est fait par une  ordonnance du 15 décembre 1943.

La répression contre la franc-maçonnerie aura été sévère :

18 000 noms publiés, permettant d’inquiéter 6 000 frères et sœurs. 1 000 déportés et environ 500 morts, fusillés, en déportation, ou suite à tortures. Parmi eux, deux conseillers de l’Ordre du GODF, Georges Voronoff et André Haarbleicher, tous deux israélites, Constant Chevillon, Grand maître de Memphis-Misraïm, Henri Lefeuvre, maire du Mans, François Verdier, chef du directoire, à Toulouse, des Mouvements unis de la Résistance et, bien sûr, Pierre Brossolette et Jean Zay.

Alors qu’il comptait 29 000 adhérents en 1939, le GODF ne compte plus que 6 000 membres en 1945. Pour sa part, la GLDF reprend ses activités avec seulement 3 600 membres.

À la Libération, les obédiences demandent à tous les anciens frères souhaitant poursuivre en maçonnerie de se soumettre à nouveau à des procédures d’enquêtes, comme tout nouveau candidat profane. Il s’agissait, par ce nouveau filtre de repartir sur des bases saines et de refuser ceux dont la conduite pendant l’occupation pourrait ne pas avoir été totalement irréprochable. Ce système d’« épuration interne » permit d’éloigner des colonnes ceux qui eurent, pendant ces années graves, un comportement pour le moins peu fraternel. A contrario, d’autres frères ont refusé d’avoir à supporter ce type d’enquêtes au motif que leur conduite, parfaitement exemplaire pendant le conflit mondial, plaidait suffisamment en leur faveur. Parmi ceux-ci, se trouve Pierre Mendès-France.

Quoiqu’il en soit, les obédiences se trouvent particulièrement atteintes au moment où elles sont autorisées à avoir à nouveau une activité légale. Contrairement à ce que voulait faire croire Vichy, la franc-maçonnerie n’est, et n’a jamais été, une société secrète et encore moins une force obscure, ou une « force occulte ». On peut seulement constater que les frères et les sœurs qui se sont distingués en Résistance n’ont fait que mettre en accord leurs actes et leurs convictions.

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R
Alan,<br /> Pas de problème, profite de l'occasion pour nous faire de la pub...
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A
Je voudrais obtenir l'autorisation d'utiliser l'image dans un newsreel que nous faisons de Barcelone
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L
Ce rappel historique, en trois volets argumentés, est effectivement opportun, tant l'époque que nous vivons peut démontrer que la vigilance doit demeurer.<br /> L'acceptation du monde maçonnique, d'une réflexion libre, d'une spiritualité autre que religieuse, ne sont pas toujours acquises, ne sont pas toujours admises par tous. Nos démocraties européennes, notre république bien française, ne sont pas à l'abri de renouveaux anti-maçonniques.<br /> Un petit bémol cependant. <br /> Il me semble que cette étude historique évoque surtout la traversée du G.O.D.F. et de la G.L.D.F. en ces années sombres.<br /> Quelqu'un d'une autre obédience pourrait-il dire ce qu'il advint, par exemple au Droit Humain? Et parmi ses membres, hommes et femmes?<br /> Quant aux femmes plus précisément, même si je sais que la G.L.F.F. est de création postérieure à la deuxième guerre mondiale, a-t-on idée du rôle et de l'implication des franc-maçonnes dans ce conflit et sous l'occupation allemande?<br /> Cela manque un peu ici.<br /> Et il me vient une autre question. <br /> Quelqu'un sait-il, par exemple, combien y-a-t-il de francs-maçons parmi les Justes ayant sauvé des vies pendant l'occupation?
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A
Ils sont encore lâ, moins puissants, mais restons vigilants!
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R
Et le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde (B.B.)<br /> Merci, Claude pour ce rappel historique.
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L
B.B. comme Bertholt Brecht, je présume. <br /> Pas Brigitte Bardot... (L.o.L. comme écrivent mes fils)