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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Moins machiavélique... tu meurs ! (À propos des « Leçons politiques de ‘Game of Thrones’ », sous la direction de Pablo Iglesias)

Julien Vercel

Dans ce captivant ouvrage paru en 2015 chez Post-éditions, Pablo Iglesias, secrétaire général du parti Podemos, rassemble plusieurs contributions de chercheurs et d’universitaires (dont certains sont également membres de Podemos) pour parler politique à partir de la série télévisée : Le Trône de fer (Game of Thrones de David Benioff et D. B. Weiss, depuis 2011, d’après les romans de George R. R. Martin).

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas l’histoire, le producteur, Home Box Office (HBO), a confié à Samuel L. Jackson le soin de la résumer en 7 minutes :

Mais revenons à l’ouvrage. Parmi tous les sujets politiques abordés, plusieurs auteurs traitent celui du machiavélisme en essayant de trouver quel est le personnage le plus machiavélique de la série.

Il faut d’abord s’entendre sur la définition du terme « machiavélique ». Hector Meleiro (dans « Pourquoi Ned Stark perd-il la tête ? ») explique que Machiavel rompt avec l’éthique classique qui ne faisait pas de différence entre être un bon citoyen et être une bonne personne. Cette éthique classique ne voyait pas qu’une bonne action peut avoir des conséquences néfastes et inversement. Or « un bon prince doit prendre en compte l’irrationalité éthique du monde et il doit toujours poursuivre ce qui est généralement considéré comme le bien commun, même si cette conduite suppose sa damnation pour usage de méthodes condamnables ». Dès lors, la « virtu » dépend de la réussite des actions que le prince entreprend pour « le bien commun », elle ne dépend pas du fait que ces actions soient morales. Dès lors aussi, le prince n’a pas à être l’incarnation des comportements vertueux, il doit seulement paraître les incarner. Certains puissants, dans la série, ne jouent d’ailleurs presque jamais à la loyale, « cela ne fait pas plaisir à entendre, mais il vaut mieux en être avisé : de manière générale, ceux qui exigent le respect le plus absolu des règles sont ceux qui les bafouent le plus » constate Eneko Compains (dans « Jeu à la déloyale et lutte de pouvoir »). C’est donc muni de cette définition du machiavélisme que nous pouvons passer en revue quelques uns des principaux protagonistes de la série.

Ned Stark ? Absolument pas machiavélique !

Devenu « main du roi » (ou premier ministre), Eddard « Ned » Stark, le seigneur de Winterfell est loyal envers son souverain et épris de justice. Il n’est absolument pas machiavélique, car il n’est pas mû par le bien commun mais par le salut de son âme : il refuse par exemple de faire assassiner les enfants à naître de Daenerys Targaryan alors qu’elle est l’héritière du « roi fou » qu’il a contribué à renverser. La probable vengeance à venir de Daenerys représente donc un danger pour le royaume, mais Ned reste fidèle à l’esprit des chevaliers. Cette droiture morale lui interdit l’usage de vices pour sauver son royaume alors même que le roi, Robert Barathon, l’avait prévenu : « Tu crois que c’est l’honneur qui maintient la paix ? C’est la peur. La peur et le sang » (Hector Meleiro, « Pourquoi Ned Stark perd-il la tête ? »). Bref, Ned Stark n’est absolument pas machiavélique parce qu’il préfère être lui-même bon plutôt que de faire le bien du royaume  (Daniel Iraberri Perez, Luis Alegre Zahonero et Pablo Iglesias Turrion,  « Vaincre ou mourir sur l’échelle du chaos : légitimité et pouvoir »).

Littlefinger ? Machiavélique, mais au sens commun

Le Grand-argentier du royaume, Lord Petyr Baelish, surnommé « Littlefinger », est un être machiavélique, mais au sens commun du terme : il use de perfidies et d’hypocrisies pour parvenir à ses fins. C’est ainsi qu’il manipule, espionne, trahit dans l’espoir de s’asseoir enfin sur le trône de fer et de se venger de ceux qui l’ont toujours méprisé. Mû par son seul intérêt personnel, il ne recherche pas le bien commun et n’est donc pas machiavélique au sens défini plus haut (Ruben Herrero de Castro, « Réalisme et dragons idéalistes »).

Varys ? Un vrai machiavélique !

L’eunuque Lord Varys, surnommé « l’araignée », conseille les rois et maîtrise l’information grâce à ses réseaux d’espions. Il est aussi douteux moralement que Littlefinger, mais, à la différence de ce dernier, Lord Varys agit pour le bien du royaume. Il est donc un authentique machiavélique (Ruben Herrero de Castro, « Réalisme et dragons idéalistes »).

Daenerys ? En voie de machiavélisation

Daenerys Targaryen est la princesse en exil depuis la mort de son père, le « roi fou ». Mariée de force à  un chef Dothraki par son propre frère, elle se développe par la subversion : elle devient d’abord maîtresse de son plaisir et de celui de son couple. Puis elle conquiert peu à peu sa légitimité en mangeant un cœur de cheval (les Dothraki sont rudes !), en apprenant la langue de son peuple, en survivant aux flammes et en faisant éclore des dragons de trois œufs. La maternité renforce ainsi son pouvoir de plus en plus étendue : sur elle, sur son mari et sur son peuple. Enfin, elle voit dans les faibles et les soumis, dans les esclaves, une force à partir de laquelle elle forge une armée et une possibilité de société nouvelle ! Daenerys a un projet politique qui dépasse celui de reconquérir le trône de fer (Cristina Castillo et Sara Porras « Game of rôles. La subversion féministe »).

Mais elle va comprendre que pour réaliser son projet politique de libération de l’esclavage, elle doit utiliser la force incarnée par les dragons, c’est à dire devenir machiavélique en employant des moyens radicaux ! Car les faibles (les esclaves) ont besoin de la puissance publique pour s’affirmer, plus que les forts (Daniel Iraberri Perez, Luis Alegre Zahonero et Pablo Iglesias Turrion, « Vaincre ou mourir sur l’échelle du chaos : légitimité et pouvoir »). Idéaliste au départ, mue par une logique réaliste classique associant le pouvoir et la puissance pour ses propres intérêts de conservation et de survie, Daenerys change à la mort de son mari. Désormais, elle utilise ses forces pour transformer le monde, tout en ayant parfaitement conscience du contexte réel : elle a besoin de forces, ses trois dragons et une armée (Ruben Herrero de Castro, «Réalisme et dragons idéalistes »). Du coup, elle en devient le personnage le plus intéressant de la série, le véritable protagoniste qui vit le plus de conflits pour réaliser un authentique programme politique.

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G
I don't think HBO would finish Season 7 production without Benioff and Weiss. They have contracts.
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G
Oui, mais aujourd'hui on ne risque pas de se faire rôtir ...
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