Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Les médias français (mais pas que) ont du mal à comprendre l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis… un peu comme en 1980, ils avaient eu du mal à comprendre l’élection d’un ancien acteur, Ronald Reagan. Et pourtant, les Américains ont voté et Hillary Clinton, plus modérée et plus expérimentée, a été emportée par la tempête. Si nous raisonnons, non plus de façon trop franco-française, mais à l’échelle des démocraties occidentales, cette tempête a commencé depuis plus longtemps en Europe. Et même, elle a déjà atteint la France. C’est ainsi que la première des primaires, celle des écologistes, a eu lieu, et elle s’est soldée par l’élimination de Cécile Duflot, ex-ministre, arrivée troisième au premier tour. Le seul point commun politique entre Hillary Clinton et Cécile Duflot n’est pas le fait qu’elles sont des femmes, mais c’est qu’elles appartiennent au "système", qu’elles sont des professionnelles reconnues, élues, anciennes ministres, leaders politiques… et qu’elles ont été rejetées !
Et si ces disqualifications de 2016 étaient celles qui nous attendent pour 2017 ? Ce serait d’abord le début de la fin pour les traîtres et les traitresses en politique, le renvoi pour celles et ceux qui, n’ayant qu’eux comme programme, accordent leur fidélité toujours temporairement jusqu’à la prochaine trahison. Pour Daniel Cohn-Bendit, les votants « n’ont pas fait payer à Cécile Duflot, comme certains essaient de le dire, sa participation au gouvernement (…), ils lui ont fait payer le moi, moi, moi » (20 octobre 2016, Europe 1). Pour Barbara Pompili, « elle paie le fait d’avoir trop montré qu’elle était dans une stratégie personnelle » (20 octobre 2016, LCI). D’autres, au contraire, comme Jean-Luc Mélenchon prisonnier de sa haine des socialistes, pensent qu’au-delà des traitres, la sanction va peser sur tous ceux « mouillés » dans le quinquennat de François Hollande : « À mes yeux, toute personne qui a gouverné avec Hollande doit assumer la sanction collective » (JDD, 16 octobre 2016)… oubliant qu’en 2010, il avait publié Qu'ils s'en aillent tous ! (Flammarion) beaucoup plus général. Aujourd’hui, les succès de Yannick Jadot et de Donald Trump ont bien des airs de Qu’ils s’en aillent tous ! En 2017, tout un personnel politique incapable de répondre aux aspirations des électrices et des électeurs, servant toujours les mêmes recettes menant aux mêmes échecs, risque bien le renvoi dans les oubliettes de l’histoire. L’élection présidentielle française de 2017 pourrait alors se jouer sur la distance revendiquée avec le système et sur la capacité à le faire croire aux électeurs (étant entendu qu’aucun responsable politique, Yannick Jadot comme Donald Trump compris, n’est véritablement « hors système »). Selon cette grille de lecture, le personnel politique pourrait alors être classé en trois groupes.
Le premier groupe rassemblerait ceux qui ont le « hors système » comme fonds de commerce : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Christiane Taubira et François Bayrou.
Commençons par Marine Le Pen, car c’est elle qui a pris de l’avance quant au « hors système » et le Front national (FN) s’inscrit dans une indéniable dynamique électorale. Mais elle a trahi son père et sa défense de la petite boutique poujadiste pour faire croire qu’elle avait, tout à coup, la fibre sociale. De plus, elle s’affichait, jusqu’à peu, « apaisée », à rebours de toute l’histoire du FN fait de provocations et de violences. Donald Trump, lui, a attendu d’être élu pour apparaître plus « apaisé ». Une leçon qu’a déjà méditée la leader du FN débordée par Marion Maréchal au sein de son propre parti et par Nicolas Sarkozy au sein de la droite. Elle a donc réagi la première, avant même les résultats officiels, à l’élection américaine : « Félicitations au nouveau président des États-Unis Donald Trump et au peuple américain, libre ! » (Tweet, 9 novembre 2016, 7h20).
Jean-Luc Mélenchon est, après Marine Le Pen, celui qui a le plus d’ancienneté dans le « hors système ». Comme Donald Trump sûr de son destin mais appelant à la mobilisation d’une « majorité silencieuse », Jean-Luc Mélenchon est capable de faire du césarisme tout en appelant à un renouveau démocratique : il est le candidat « naturel » de la « France insoumise », sans passer par la case « élection primaire ». Du coup, il lui reste à trouver un parti (le parti de gauche est exsangue) avec ses militants et ses réseaux pour le soutenir, ce que ne semblent pas vouloir lui offrir les dirigeants communistes.
Christiane Taubira a su quitter la Méduse gouvernementale lors du naufrage de l’épisode de la déchéance de nationalité, elle est détestée par toute la droite, est incontrôlable et est capable de citer des poètes mêmes pas blancs, ce qui lui vaut un brevet d’honorabilité « hors système ». Mais elle est bien seule et le souvenir de sa candidature en 2002 laisse un goût amer aux socialistes qui soutenaient Lionel Jospin.
François Bayrou aurait pu continuer à incarner un centrisme « hors système » (oui, je sais, ça fait bizarre comme expression), mais il a affiché finalement un tropisme plus centriste, donc de droite, que « hors système » en annonçant son soutien à la candidature d’Alain Juppé, le plus vieil homme le plus représentatif des élites les plus à l’ancienne.
Je laisse de côté les autres tenants rituels du « hors système » : Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Frédéric Poisson, passerelles entre la droite et l’extrême droite qui tendent vers la nullité. Tout comme les groupuscules d’extrême-gauche dont seules les divisions tendent vers l’infini ou le Parti communiste écartelé entre des élus centripètes et une base centrifuge.
Le deuxième groupe rassemble ceux qui s’essaient au « hors système » : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et Emmanuel Macron.
Nicolas Sarkozy le promet, il a (encore) changé, c’est sa rengaine : avant d’être élu président, « J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé » (14 janvier 2007) ; pendant son mandat, « Oui, je serai différent. D’abord, parce que j’aurai déjà été président pendant cinq ans » (Paris Match, 28 mars 2012) et après avoir été battu, « Sur moi, et ma façon d'être, je changerais. J'ai beaucoup appris de la défaite » (Le Parisien, 17 septembre 2015). Mais outre le fait qu’il a trahi à peu près tout le monde, depuis la façon dont il a été élu à la mairie de Neuilly jusqu’aux partisans de la « Manif pour tous » à qui il promettait une abrogation de la loi sur le « mariage pour tous », il aura du mal à faire oublier qu’il a déjà été président : son heure est donc passée. Son « hors système » est bien maigre par rapport à son insertion dans le système, depuis la présidence d’un parti jusqu’à l’Élysée.
Ségolène Royal possède deux caractères « hors système ». D’abord elle a prouvé qu’elle était capable de sentir le pays. Comme le dit Patrick Guilloton, auteur de La Princesse Royal (Cherche Midi, 2016) : « elle est intelligente, réactive, sent les choses. Mais elle est malade du pouvoir. Elle a un vrai contact avec les gens : je ne me l’explique pas. C’est assez irrationnel, une forme d’électricité, d’attirance » (La Charente libre, 12 octobre 2016). Ensuite elle n’hésite pas à manifester son indépendance. Encore dernièrement, ce fut au sujet du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes où elle a fait fi de la solidarité gouvernementale, contredisant à plusieurs reprises le premier ministre. Mais elle pourrait souffrir de la comparaison avec Hillary Clinton, femme de Bill, elle qui fut la compagne de François Hollande. Plus sérieusement, comme pour Christiane Taubira, il lui faudrait le soutien d’un parti sinon elle risquerait, en 2017 comme en 2007, de mener une campagne plus médiatique que réelle, plus « hors sol » que « hors système ».
Emmanuel Macron a repris le flambeau du centrisme « hors système », reste à l’entretenir et à l’alimenter de forces vives et de soutiens suffisants. Sauf à jouer le coup d’après : prendre date en 2017 tout en sachant la défaite inévitable, laisser les Français faire le ménage électoral, prendre de l’épaisseur, prendre aussi le temps de choisir entre la gauche et la droite… pour se poser, en 2022, soit en recours d’une gauche réconciliée avec ses racines libérales, soit en recours d’une droite réconcilié avec ses racines humanistes.
Enfin la troisième catégorie rassemble tous les autres, celles et ceux du « système » qui seront emportés par la tempête.
Force est de reconnaître qu’un des atouts de Donald Trump était, outre son talent de démagogue, de bénéficier du soutien d’un appareil partisan, c’est-à-dire que le « hors système » s’est nourri du « système », ce qui manque précisément à beaucoup de nos « hors système » français… sauf à Marine Le Pen. Mais cette nouvelle Étrange défaite (Marc Bloch) n’est justement qu’annoncée, l’avenir n’est jamais écrit et c’est ça qu’on aime en démocratie.