Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Gérard H. Bacot
Il est aujourd’hui peu connu au-delà de sa région beaujolaise. Et pourtant ! Il fut l’un des premiers constructeurs de voitures automobiles en France.
Victor Vermorel (1848-1927) était, dans les années 1880, le patron, à Villefranche sur Saône, sous-préfecture du département du Rhône d’une petite usine de mécanique, spécialisée dans la fabrique de matériel agricole. Alors que le vignoble du Beaujolais était victime du mildiou, il contribua largement à sa survie en vulgarisant la pratique des greffes et en lançant la fabrication d'un « Pulvérisateur pour l’application des liquides insecticides », une sulfateuse constituée d’un réservoir dorsal et d’une pompe placée sur la cuisse (brevets déposés en 1886 et 1888). L’efficacité de cet appareil et son succès commercial dû à la vente sur catalogue dont il fut un précurseur, furent à l’origine de la notoriété internationale de l’inventeur et de sa fortune.
Mais Victor Vermorel était aussi un visionnaire. Ce touche-à-tout de génie agrandit son usine, grâce à d’importantes acquisitions foncières, pour se lancer dans la fabrication de véhicules automobiles. Et ce fut un succès. La première voiture sortit des ateliers qu'il avait fait construire en 1898 et, dès 1908 une automobile de compétition Vermorel gagna la course de côte du Mont Ventoux et celle du Mont Pilat. Les usines de Villefranche, qui employèrent jusqu’à six cents personnes, produisirent aussi en 1914-1918 des véhicules militaires et même des prototypes d’aéronefs. De nombreux exemplaires de cette production automobile sont précieusement conservés dans des collections privées et dans des musées spécialisés : Cité de l’automobile-collection Schlumpf à Mulhouse, Fondation Gianadda à Martigny (Valais), Musée Henri Malartre à Rochetaillée (Rhône)…
Si Victor Vermorel fut un brillant industriel, sa vie fut aussi marquée par de forts engagements philosophiques et politiques. C’est à l’âge de 23 ans, en 1871, qu’il devint franc-maçon. Il fut reçu à la loge Bienfaisance et Amitié de Lyon-Croix-Rousse le 10 août 1871, puis en 1873 à la loge La Fraternité progressive de Villefranche, toutes deux affiliées au Grand orient de France. C’est lui qui fit construire le temple de cette deuxième loge et qui le lui céda en 1921. Il adhérait pleinement aux idéaux maçonniques… mais il n’était pas très assidu aux réunions, car – disait-il – « Je n’apprécie guère les cérémonies et les rites, ce qui me semble superflu et tenir plutôt de la mascarade ».
C’était un grand laïc, comme le prouve son mariage, en 1878, célébré uniquement civilement, ce qui était très rare à cette époque. Son rapport à la religion peut se résumer par cette citation : « La religion, c’est comme une pilule amère, plus on la mâche moins on a envie de l’avaler ». En avril 1898, il vend cependant à La Société immobilière des églises et chapelles évangéliques libres, un terrain pour permettre la construction du temple protestant de Villefranche.
Politiquement, Victor Vermorel fut conseiller général (radical-socialiste) du canton de Villefranche de 1907 à 1919 et, sous la même étiquette, sénateur du Rhône, de 1909 à 1920. C’était un homme de conviction. Bien que devenu riche et puissant, il resta toute sa vie engagé politiquement à gauche. Il fut en relation, à un titre ou à un autre, avec Claude Bernard, Camille Saint-Saëns, les frères Lumière, Édouard Herriot et Justin Godart. C’était aussi un féministe convaincu. Il partageait la direction de l’entreprise avec sa femme Georgette qui avait pleins pouvoirs. À tel point qu’on pouvait dire à l'époque: « Inutile de s’adresser au patron car, chez Vermorel, c’est la patronne qui commande ! » Enfin, Victor Vermorel était un grand philanthrope. Il fut le président d’une vingtaine de sociétés laïques à caractère social, charitable ou culturel et fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1894.
Pour rendre hommage à cet industriel, qui fut à plus d’un titre un précurseur, l’Académie de Villefranche (Société des Sciences, Arts et Lettres) a, en octobre 2016, organisé un colloque sur le thème Victor Vermorel connu et méconnu qui a été un grand succès. Parallèlement, une exposition de voitures Vermorel a attiré des milliers de visiteurs.
Rappelons aussi que Victor Vermorel avait un lointain cousin : Auguste Vermorel (1841-1871), avocat, historien, et journaliste, franc-maçon comme lui, et qui fut un héros de la Commune. Grièvement blessé au cours de la répression de « la semaine sanglante » sur une barricade dans le quartier du Château-d’eau le 25 mai 1871, Auguste Vermorel mourut, faute de soins, à la prison de Versailles le 20 juin de la même année, âgé d’à peine trente ans.
Sources : conférences de Guy Claudeyet Bruno Fouillet in Victor VERMOREL connu et méconnu, actes du colloque de l’Académie de Villefranche et du Beaujolais édition du Poutan, 2016.