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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Ancient Aliens », des « documentaires » entre extraterrestres et conspirationnisme (2/4)

Stéphane François, Jean-Loïc Le Quellec et Laurent Lescop

Une mythisation de la Préhistoire

La démarche adoptée par Däniken et les auteurs apparentés revient à expliquer la plupart des mythologies du monde par l’effet d’une sorte de «cargo cult» uniquement motivé par le passage sur terre de visiteurs de l’espace. On sait que le «culte du cargo» est un mouvement religieux eschatologique apparu dans les années 1920 en Mélanésie et caractérisé par la croyance en des temps nouveaux où l’abondance matérielle sera assurée par l’arrivée de bateaux ou d’avions surnaturels appartenant aux esprits ancestraux. Ce culte est une conséquence de l’arrivée des premiers Européens en Nouvelle-Guinée et aux îles Salomon, où les navires chargés de vivres et de marchandises (en anglais : cargo) n’étaient pas considérés comme provenant du monde des colonisateurs, mais comme envoyés par des héros culturels ou des ancêtres. Bien que cette interprétation témoigne d’un effort intellectuel sans précédent pour penser la collision de deux univers mentaux différents et malgré le fait qu’elle démontre la capacité créative d’une culture sommée de s’adapter à des changements imposés de l’extérieur, certains anthropologues l’ont un temps considérée comme la manifestation d’un «psychisme primitif». Actuellement, plus aucun anthropologue ne défend l’idée d’une «mentalité primitive» à la Lévy-Bruhl, et au contraire, en effectuant une relecture critique des études sur le culte du cargo, Mondher Kilani a pu montrer «que le mythe n’est pas l’envers de la rationalité occidentale, mais un mode spécifique d’exploration du réel, à la logique et à l’efficacité propres, et dont les manifestations peuvent appartenir aussi bien aux sociétés traditionnelles qu’aux sociétés les plus modernes» (Les Cultes du cargo mélanésiens: mythe et rationalité en anthropologie, Éditions d'en bas, 1983).

Or que font Däniken et les tenants de l’Alien theory, sinon prêter, non plus seulement aux Mélanésiens actuels, mais à l’ensemble des civilisations « primitives» anciennes, un tel «pychisme primitif» qui aurait conduit une humanité complètement dépassée par les événements à diviniser d’anciens colons de l’espace ainsi que leurs véhicules et leur technologie supérieure ? Dans cette posture, on reconnaîtra sans peine la position ethnocentrique de qui ne considère pas sérieusement les productions symboliques et religieuses des civilisations autres que la sienne propre et qui projette sur elles ses propres représentations.

Cette posture conduisant à une sorte de «cargoïsme généralisé» n’est possible qu’en ignorant les acquis de l’archéologie et de l’anthropologie, ce qui permet une argumentation en quatre temps, consistant à:

1. Sélectionner dans une grande masse de documents quelques unités qui, extraites de leur contexte, paraissent énigmatiques, et « inventer» ainsi un problème (par exemple, des personnages à tête ronde dotée de sortes d’antennes sont visibles sur des peintures rupestres d’Australie, Afrique, Amérique).

2. Amalgamer ces documents décontextualisés pour constituer un ensemble artificiel auquel on prête alors une commune motivation invérifiable ou qu’on explique et réunit par la construction d’une hypothèse non testable (ces images appartenant à des cultures extrêmement différentes, remontant aux époques les plus variées, représenteraient toutes la même chose, à savoir des extraterrestres).

3. Discréditer à l’avance les critiques en les dénonçant comme résultant d’hypothèses ad hoc émises par des spécialistes positivistes qu’une vision étroite due à la pratique de la science « officielle » empêchent d’avoir une vue suffisamment large des problèmes.

4. Décourager ainsi le retour au terrain ou la réflexion sur des documents primaires contextualisés, en se contentant de ratiociner en chambre et en laissant entendre que les thèses ainsi exposées seraient en butte à une communauté scientifique animée du désir de cacher une réalité par trop inquiétante.

En défendant l’idée d’une visite d’extra-terrestres apportant la civilisation à des terriens ignares, cette série de documentaires propose donc une archéologie et une histoire alternatives à celle des scientifiques. Par cet aspect, elle se place distinctement dans la mouvance du New Age, forme sécularisée de l’occultisme du début du XXe siècle. D’ailleurs leur référence, l’incontournable Däniken, est un acteur de ce New Age qui se place dans cette filiation de l’occultisme. À l’instar des occultistes et conspirationnistes, Däniken soutient l’idée de l’existence d’une « science officielle » qui nous cacherait forcément certaines vérités. Il parle d’ailleurs à ce sujet, d’« obstruction ». De fait, ce milieu baigne dans un conspirationnisme diffus. En effet, les auteurs des ouvrages dont nous venons de résumer les thèses ont pour point commun leur désir de réécrire entièrement l’histoire et de vouer aux gémonies les historiens « officiels », considérés soit comme des imbéciles, soit comme des agents de la désinformation.

Une rhétorique bien rôdée.

La série Alien Theory est avant tout un objet filmique et utilise tout l’arsenal démonstratif que peut produire l’association d’un commentaire, d’illustrations, d’un montage et d’une musique dramatisant le propos. Le titre Alien Theory exploite l’impact de la langue anglaise tout en brouillant le concept fondateur comme cela se fait souvent en France, particulièrement dans l’adaptation des titres de films au cinéma. Le titre anglais, faut-il le rappeler, est Ancient Aliens, et les québécois, généralement adeptes de traductions littérales, ont intitulé la série Nos ancêtres les extraterrestres, ce qui réduit également l’origine du propos. Nous pourrions noter que la formule « Théorie des anciens astronautes » convoquée au fil des épisodes comme l’armature principale de l’ensemble des démonstrations n’a pas été conservée pour le titre.

La série est produite par Kevin Burns qui en a écrit également l’épisode pilote. Kevin Burns est un auteur et réalisateur dont le talent a été vite reconnu : son premier film I Remember Barbra a reçu un Student Academy Award en 1981. Après un passage dans l’enseignement du cinéma, Burns devient producteur, et l’un de ses premiers faits d’arme est la création de la série Alien Nation en 1988, série qui n’a pas de lien en termes de contenu avec Alien Theory. Son œuvre en tant que producteur, réalisateur ou scénariste ne se réduit pas aux extra-terrestres, mais plus globalement aux grands thèmes de la culture populaire : des biographies de stars avec la série Biography entre 1987-2003, à l’exploration de l’univers de La Guerre des Étoiles (de George Lucas) avec une récompense en 2007 pour Star Wars : The Legacy Revealed. Le programme Ancient Aliens s’inscrit dans un paysage télévisuel qui réactive les légendes urbaines, les théories complotistes et les extra-terrestres chez un public que la série X-Files / Aux frontières du réel a préparé entre 1994 et 2003. Une forme de familiarité aux grandes figures thématiques d’Alien Theory est déjà passée dans la culture de la masse, comme la Zone 51, l’hybridation des espèces, l’opposition savoir universitaire et savoir alternatif et la pression de forces organisées en réseaux dont les intérêts gouvernent le monde.

Pour que les spectateurs adhèrent aux propos, la série possède des personnages, figures indispensables qui sont moins des spécialistes que des conteurs, des passeurs, des intermédiaires entre le public et la matière théorique décrite par le commentaire et les images. Hauts en couleur, attachants ou inquiétants, ils incarnent des nuances, des spécialités ou des registres pseudo-scientifiques. La fiche de l’Internet Movie Database les présente comme des personnages jouant leur propre rôle, et ils deviendront des héros récurrents comme David Childress, George Noory et surtout Giorgio Tsoukalos dont la propension à trouver, à toutes questions, une réponse extraterrestre en fera un « mème » sur internet, à savoir un phénomène de communication à diffusion rapide souvent support de moquerie. Il faut dire que Tsoukalos, ancien diplômé en information sportive et de la communication et ancien directeur du Centre de recherche sur les Anciens Astronautes fondé par Von Däniken, est un peu cartoonesque : son phrasé particulier, sa coiffure hirsute, ses mains ouvertes en coupe en font un personnage iconique.

Les épisodes sont d’une durée classique de 42 minutes, soit une présence à l’écran d’une heure pour les chaines diffusant de la publicité et sont organisés en saisons à la manière classique des fictions. Un pilote produit en 2009, d’une durée double, mais curieusement titré comme étant l’épisode 6, reprend très fidèlement la trame de Däniken exposée dès l’ouverture du film : les extraterrestres ont visité par le passé la terre et ont été pris pour des Dieux. L’arsenal démonstratif se met doucement en place et sollicite les grands thèmes récurrents, comme la similitude formelle des pyramides à travers le monde, Les constructions mégalithiques, les prétendues pistes d’atterrissage des engins de l’espace, la pile du musée du Caire, la machine d’Anticythère et les descriptions d’OVNIs dans les textes sacrés. Rappelées régulièrement dans les épisodes suivants, ces exemples, pourtant largement interprétés par des recherches scientifiques classiques servent de balises référentielles, d’images familières, de racines à partir desquelles partent de nouvelles démonstrations. Nous l’avons évoqué, Däniken fait lui-même l’objet d’un épisode spécial, « Le Cas Von Däniken », (épisode 5, saison 5) dans lequel il apparait comme le catalyseur d’un sentiment commun. Dans le monde des « anciens astronautes », que ce soit en littérature ou à la télévision puis par extension sur le web, la structure théorique tient par un système d’auto-référencement croisé. Chacun cite l’autre dans un univers clos.

Le montage reprend les codes du documentaire scientifique anglo-saxon, à savoir des plans très courts, proposant pratiquement une illustration par mot ou par groupe sémantique. Les plans plus longs sont des plans en mouvement, travelling, panoramique, objets en mouvement, zoom ou mise en exergue de détails par surimpression. Le rythme des mouvements est rarement naturel, il est soit légèrement accéléré, soit subtilement ralenti, rendant une impression d’étrangeté, d’irréel ou d’inquiétude selon les plans. À ces séquences dynamiques, s’intercalent les interviews des personnages, généralement tournés dans un décor de bureau avec bibliothèque en arrière-plan. Il n’arrive que très rarement que les personnages soient filmés sur le terrain, mais certains épisodes comme « Les édifices de l’étrange » (épisode 8, saison 2) où l’on peut voir David Childress à Carnac en Bretagne, peuvent casser cette règle. Quelques témoins de terrain viennent appuyer l’argumentaire, et ils sont alors filmés sur les sites évoqués. Le commentaire ne vient jamais interpréter ou contredire le propos des intervenants, il est le liant qui passe d’une idée à l’autre, il incarne le cheminement intellectuel des spectateurs en relançant les questions lorsque le doute peut surgir.

Une des principales techniques employées dans le dispositif est l’évidence de l’image : les preuves « sautent aux yeux », sont « visibles à l’œil nu ». Cela produit un double effet sur le spectateur : le premier est qu’il n’est pas besoin de posséder une culture historique ou technique développée pour comprendre et adhérer, chacun peut dès lors devenir expert et reconnaître, dans les exemples produits, les signes de preuves. Le second est qu’il met en doute la parole académique qui, au mieux, ne perçoit pas l’évidence, au pire, brouille les pistes en écartant les « preuves » des études officielles, bien évidement à des fins de dissimulation de la vérité par les élites. Cette technique de «la preuve par l’image» joue également sur la révélation. L’évidence peut être à la vue de tous sans qu’elle ne soit comprise. Ainsi en est-il des proportions géométriques et des orientations des pyramides du plateau de Gizeh ou les mystères de Puma Punku (épisode 6, saison 4). L’effet de dévoilement est puissant, il fonctionne comme la transmission d’un savoir secret et contribue à constituer, chez les spectateurs, un sentiment de communauté, que les médias sociaux viendront structurer en permettant la communication facilitée des membres, ce qui restait difficile avant la diffusion de l’Internet.

À suivre...

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M
Question sérieuse:<br /> Trump est-il un extra terrestre?
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T
Réponse sérieuse le mexicain :<br /> Prenez un télescope et scruté les étoiles...
B
Donald Trump n'est pas un extra-terrestre, car il est orange et pas vert.
P
Ô combien utile ce décodage d'une véritable intoxication.<br /> Je me suis laissé dire que lorsque imaginaire et réalité se confondaient, les conditions de la psychose étaient réunies.
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