Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François, Jean-Loïc Le Quellec et Laurent Lescop
L’exemple des « Mystères du IIIe Reich »
Le 10e épisode intitulé « Les mystères du IIIe Reich » (libellé : épisode 5, saison 2) est particulièrement intéressant en termes de logique de démonstration. L’épisode commence, selon la structure classique de l’ensemble de la série, par un jeu de questions intrigantes : l’Allemagne possède les armes les plus avancées du monde, a mis au point les bombes volantes V1 et V2 qui permettront plus tard le développement de l’aérospatial : d’où peut bien provenir cet extraordinaire élan technologique ? Intelligence, moyen financiers ou aide venue d’ailleurs ? On peut légitimement s’interroger sur l’emploi, comme source, de l’ouvrage de Jan van Helsing : Les Sociétés secrètes et leur pouvoir au 20ème siècle (Éditions Ewertverlag SL, 1995, réédité dans une version légèrement différente sous le titre Livre jaune n° 5, Les Éditions Félix, 2001). L’auteur n’est pas présenté dans la série et le spectateur peu curieux ne saura pas forcément que Jan Udo Holey, vrai patronyme de Van Helsing (héros du Dracula de Bram Stoker), est classé à l’extrême droite et connu pour ses écrits antisémites.
Le narrateur de la série affirme que l’on trouve dans l’ouvrage de Jan van Helsing l’évocation d’un crash d’OVNI en Allemagne en 1936, à Freiburg en Forêt Noire, les restes du crash ayant été emporté dans le château de Wewelsburg où les nazis auraient étudié les restes endommagés. Bien entendu, aux yeux des connaisseurs du nazisme folklorique, le château de Wewelsburg en Westphalie, possède une aura particulière pour avoir été le quartier général de la Schutzstaffel (SS) et, selon certains, le lieu d’une revitalisation de l’imaginaire néo-païen. Le commentaire joue donc sur deux niveaux, le niveau sensationnel des extraterrestres chez les nazis et un niveau plus souterrain de références, assez naïvement mobilisées, d’auteurs et de sectes gravitant autour de l’extrême droite allemande. De la même façon, par la suite, le commentaire évoque la mythique société secrète du Vril supposée fondée par Edward Bulwer-Lytton au XIXe siècle. À aucun moment, le spectateur n’aura de commentaires de contextualisation concernant le Vril, l’information, là encore à deux niveaux, semblera factuelle pour les uns, alors qu’elle est parfaitement référencée pour qui fréquente la littérature ésotérique.
Le commentaire enclenche très vite sur ce qui est devenu son principal mode de démonstration : la double question comme une double hypothèse articulée. La première question formule une hypothèse raisonnable, la deuxième, semblant découler de la première, conduit l’ensemble des démonstrations dans une direction unique. Cela donne : « Peut-on affirmer que la navette a existé et si c’est le cas peut-on en extraire la technologie ? » (A ?->B ?). La deuxième question prend comme présupposé que la première réponse est affirmative alors qu’elle n’a jamais été discutée dans la narration, et elle ancre, par son côté général, la seconde affirmation. La seconde proposition peut donc désormais se développer : « les scientifiques ont lu des rapports d’analyse sur le vaisseau et les systèmes de propulsion ». (B)
Richard Hofstadter a décortiqué le processus de la théorie du complot en montrant comment le raisonnement suit une ligne pertinente, rigoureuse et documentée et comment à un moment donné, s’effectue un « saut poétique » qui propulse les conclusions dans des directions inattendues, ésotériques. Le montage de l’épisode consacré aux armes nazies, prend garde, jusqu’à sa dernière partie, de ne pas effectuer de saut, mais plutôt des petits bonds, afin d’opérer le décalage par petites touches. Cela est rendu facile par le foisonnement de recherches étranges en cette moitié de XXe siècle, comme le sont les travaux de Viktor Schauberger que la série va citer. Schauberger a travaillé sur l’anti-gravité, ce qui permet au narrateur de déclencher de nouveau le double questionnement : à cause de la forme du moteur à vortex, la fameuse répulsine, on dit qu’il est l’inventeur des soucoupes volantes (proposition A); a-t-il été inspiré par les vimāna, sachant que les allemands connaissaient parfaitement les textes indiens (proposition B) ? Habilement, la question B se raccroche aux références construites par la théorie des anciens astronautes, et dont les vimānas sont l’un des fleurons. Le vimāna est le char des Dieux, mais par un jeu d’extrapolations audacieuses, c’est devenu un OVNI dont on pourrait même avoir les plans dans les textes sacrés. Le vimāna est une figure récurrente, apparaissant dès le premier épisode, puis dans les suivants avec une régularité imparable. Pour conforter la démonstration, on va sortir les plans de Haunebu, soucoupes volantes du 3e Reich que van Helsing décrit avec force détails dans Les Sociétés Secrètes.
Un nouveau double enclenchement va suivre dans la narration : « Combien sont-ils à croire à l’existence des extra-terrestres, quel est leur lien avec le Führer, et jusqu’où sont-ils allés pour entrer en contact avec ces êtres ? ». Nous retrouvons bien le double questionnement, l’un rationnel puis la prise de postulat pour appuyer la démonstration. Un peu plus loin, le redoublement se fait de nouveau, depuis la nouvelle position établie : « est-il possible qu’ils aient été en contact avec des forces extra-terrestres, et si tel était le cas, les allemands ont-ils reçu d’autres technologies avancées de leur part ? Hitler était-il sur le point de développer l’arme la plus redoutable de toute l’humanité (la bombe atomique) ? » Nous voyons ainsi que la narration procède de subtils déplacements, avec l’articulation d’une proposition qui, dans un contexte raisonnable, serait écartée ou rejetée rapidement mais qui, ici, semble modérée en regard de l’ensemble du propos. La deuxième question fait office de réponse à la première et canalise la démonstration dans le sens éditorial de la série. Le procédé est habile, ce n’est pas un syllogisme puisque qu’il n’y a pas de démonstration apparemment logique, il y a bien une arborescence dont on n’explore qu’un seul choix. Encore plus loin, évoquant la fission nucléaire de Otto Hahn et Fritz Strassmann, le commentaire propose de nouveau un double enclenchement : « Comment les scientifiques allemands ont-ils fait cette découverte ? (A) D’ailleurs, s’agit-il réellement d’une découverte ou se sont-ils réappropriés une source d’énergie d’une puissance inimaginable ? (B) », puis « Hitler possédait-il la force atomique ? Était-il sur le point de développer la plus grande arme de tous les temps ? (A) Et dans quelle mesure leur quête a-t-elle été guidée par une main extérieure ? (B) »
Dans sa dernière partie, la narration va oser des bonds poétiques de plus en plus audacieux en réalisant un réel exploit olympique : « Pourquoi ont-ils abandonné leur programme atomique ? 1/ Recherches couteuses 2/ pas assez de monde 3/ peur des conséquences ou bien 4/ arme plus avancée encore, permettant de voyager dans l’espace et dans le temps ». Bien entendu, c’est la dernière hypothèse qui est retenu conduisant le spectateur à Ludwikowice en Pologne, sur le site du Muzeum Mölke. En fait le musée n’est jamais visible et la localité jamais évoquée, il est juste fait mention de la région au sens large. La caméra isole une étrange structure ayant abrité Die Glocke (la cloche). Comme le montre Igor Witkowski, expert local, il s’agirait d’un projet avec un système de propulsion électromagnétique pour voyager dans le temps et l’espace. Pour éviter de perdre le spectateur suite à un saut aussi puissant, il est proposé une question à simple enclenchement : « Le voyage dans le temps est-il possible ? », dont la réponse arrive immédiatement : « Oui en théorie selon Albert Einstein ». La cloche et le voyage dans le temps permettent de raccrocher à cette série une dernière légende urbaine, à savoir la disparition de dignitaires nazis.
Ainsi le commandant SS Hans Kammler est-il soupçonné d’avoir utilisé cette cloche pour disparaitre, en ayant pris soin, auparavant de massacrer tous les ouvriers ayant participé à la construction de la machine. En fait, nous sommes ici en pleine fiction, puisque la structure est la tour de refroidissement d’une mine de charbon dont il ne reste que la base, et que le massacre n’a pas concerné des ingénieurs, mais des travailleurs du camp de concentration de Dora-Mittelbau situé à 600 km de Ludwikowice ; et s’il a bien été ordonné par Kammler, ce dernier a en effet disparu, et pas moins de cinq hypothèses concernent sa mort, mais celle de la fuite dans la cloche n’a pas été retenue par les historiens.
Un dernier saut poétique propulse le commentaire dans les étoiles avec une série de conclusions ne prenant plus aucune précaution quant à la rationalité ou la vraisemblance. C’est alors une sorte de libération mentale de grand n’importe quoi, comme s’il s’agissait aussi de dire au spectateur que rien de ce qui a précédé n’a de fondement réel, que tout n’est que jeu spéculatif sur les croyances les plus improbables.
À suivre...