Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Rédac'
La revue Planète bimestrielle et de format carré (17X17cm) a tenu un rôle central dans la constitution d’un imaginaire ré-enchanteur pour une partie sans doute essentiellement masculine de la génération arrivée à l’âge adulte dans les années 1960. L'influence de ce périodique qu'on pourrait aussi qualifier de magazine aura duré une décennie. Plus d’un demi-siècle plus tard, un oubli s’est installé à son propos, excepté chez quelques rares spécialistes.
L’analyse de l'histoire et du contenu de Planète (1961-1971) que nous propose Clotilde Cornut, travail issu d’une maîtrise, est publiée à L’œil du Sphinx et devrait permettre à celles et ceux qui n’ont pas connu la revue à l’époque de sa parution de se plonger dans un air du temps passablement révolu et un étrange mélange de réel et d’imaginaire. On s’étonnera d'entrée que l’auteure ait ignorée un autre travail de maîtrise que réalisa avant elle et sur le même sujet : Grégory Gutierez, Le discours du réalisme fantastique : la revue Planète ( Sorbonne, Paris IV, 1997-1998, 133 pages). Ce texte est pourtant cité en fin de la bibliographie construite par Joseph Altairac en fin d'ouvrage.
L’idéologie de Planète s’est essentiellement construite autour d’une réaction contre le matérialisme ambiant porté par le développement continu des sciences et des techniques, sur fond d’un dépérissement des religions qui commençait à se faire sentir dans les vocations, les croyances, comme dans les pratiques. La mise en cause d’une raison triomphante a également été rendue possible par les traumatismes consécutifs aux totalitarismes, le nazisme au premier chef, puis le stalinisme, dont les crimes n’étaient alors que partiellement connus.
La démarche de Jacques Bergier et Louis Pauwels, co-animateurs de la revue, s’est appuyée sur ce qui avait fait le succès du livre Le Matin des Magiciens, à savoir plusieurs champs d’exploration parmi lesquels la science-fiction,interrogeant l’imaginaire des sciences et des techniques et la psychanalyse, renouvelant les lectures traditionnelles de la psyché humaine, les rédacteurs ayant une prédilection pour l’approche jungienne.
Une première sélection des œuvres de Bergier, antérieures à Planète, est parue à L’Œil du Sphinx sous la direction de Joseph Altairac, sous le titre L’Aube du Magicien. L’auteur a commencé à publier en 1953 et il a contribué, entre autres ouvertures que l’on lui doit et qui se sont poursuivies dans Planète, à la révélation pour un public francophone de créateurs majeurs anglo-saxons ou russes de science fiction et de fantastique. Nous en avons rendu compte, comme nous le ferons du tome 2 qui est en impression.
Dans son résumé du parcours de la revue dont il est question ici, l’auteure analyse pour nous successivement le processus de création et le rôle des hommes, puis la mise en place d'une thématique de recherche de l’insolite, pour en venir à définir ce qui fut le choix éditorial de Planète, une mise en tension du réalisme et de l’utopie. Elle en vient enfin à décrire ce que fut l’épilogue de la revue à partir de l’automne 1968. En annexe, Clotilde Cornut s’entretient avec Jacques Mousseau, bien oublié aujourd'hui, qui fut l’une des chevilles ouvrières de la revue . Quant à Joseph Altairac, il nous livre un précieux sommaire détaillé des 40 numéros parus, plus ceux des 22 livraisons du nouveau Planète, des trois de la nouvelle série, des deux dossiers, sans oublier les 37 opuscules de l’encyclopédie et un grand nombre de textes périphériques. Une telle abondance montre à quel point, sans mauvais jeux de mots, il exista autour de Planète tout une constellation éditoriale.
Quelqu'un intérêt qu'il y ait à remettre au jour des publications anciennes, la tâche est s'autant plus nécessaire quand l'impact en fut massif. Or ce fut le cas pour Le matin des magiciens, ouvrage publié en 1960 par Berger et Pauwels, comme pour la revue Planète, qui ont connu une diffusion impressionnante, bien supérieure à celle des périodiques de l’époque, comme les revues où écrivait précédemment Bergier. Le tirage de la publication carrée commença à s’établir à quelque 5 000 exemplaires, mais grimpa rapidement à 100 000, ce qui déterminait un lectorat de plus de 200 000 personnes. Tous les deux mois, les éditeurs proposaient plus de 150 pages, avec très peu de publicités. Il y eut également des clubs Planète, des cycles de conférences, des éditions étrangères, bref, se construisit bel et bien tout un dispositif qui s’écroula en deux temps, en 1968 et en 1971.
Le nouveau Planète des trois dernières années (les trois premières de l'après 68) ne sera pas parvenu à ranimer la flamme. L’opération fit en effet long feu, l'univers proposé se démodant en un instant. Joseph Altairac décrit dans sa préface le monde d’avant Planète comme une époque dans laquelle on s’ennuyait. Il faut croire que certains événements nous ont brusquement désennuyés.