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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’Odyssée des “rats noirs” : voyage au coeur du Groupe union défense (GUD) - 1/3

[Cet article a précédemment été publié sur le blog tempspresents.com, le 6 février 2010, il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur]

Nicolas Lebourg

Le GUD est un paradoxe historique : devenu symbole de l’inorganisation nationaliste et de l'activisme d'extrême droite, il a été originellement créé pour conduire les ex-meneurs d’Occident au réel travail politique. En effet, l’après-dissolution de leur mouvement (1968) les voit vouloir créer un syndicat universitaire (ce que n’était nullement Occident), l’Union-Droit, qui reçoit des gauchistes l’appellation de “GUD” ; le sigle est repris et les militants eux-mêmes se qualifient de « gudards ». Le « D » du sigle signifie rapidement « Défense » en lieu et place de « Droit », passant bien de l’objet syndical à l’idée d’une communauté (l’Union) activiste. Le GUD a pour particularité d’être sans doute le seul syndicat étudiant dont les membres sont très souvent non-étudiants ; ici « étudiant » doit donc plutôt s’entendre comme « jeunes ».

Le GUD est à l’origine de la fondation d’Ordre Nouveau (ON en 1970). Il en est ensuite la branche étudiante, puis, après la dissolution d’ON par l’État (1973), celle de sa reconstitution, le Parti des forces nouvelles (PFN). À partir de 1981, auto-dissout officiellement, il passe du statut de syndicat à celui de « mouvement » au sens le plus éthéré du terme (i.e. qu’il y a en fait des GUD : est GUD qui dépose la « marque » et a les moyens de faire respecter son usage). En 1985, il participe à la fondation de Troisième voie, avec qui il rompt en 1988. D’un néo-fascisme a-dogmatique il a évolué vers des positions nationalistes-révolutionnaires : antiaméricanisme, adoption de l’utopie d’une Europe fédérée des régions mono-ethniques et assimilation de son combat à celui du peuple palestinien autour du slogan « À Paris comme à Gaza Intifada ! » (1995). Désormais le “rat noir” porte le keffieh des feddayin… pour se rapprocher du Front National puis participer à Unité radicale (1998) dont il fit scission, début 2002, au motif de la pureté idéologique et de son envie… Par-delà, le GUD est avant tout une légende d’auto-représentation: celle du rat noir persifleur, manieur de barre de fer, oscillant entre chaos et répression réactionnaire.

Les années 1970 : au début était l’action…

Dès ses débuts, le GUD suit l’exemple d’Occident. Il multiplie les bagarres, de plus en plus violentes, ce qui produit des réactions journalistiques, et permet effectivement de rallier toujours plus de nouvelles recrues. Il faut noter qu’en cette période où tous les groupuscules rêvent que les événements de Mai leur permettent de constituer un réel parti, le GUD n’est pas le seul à user de cette technique : les maoïstes de la Gauche prolétarienne suivent la même tactique avec pour résultat le même afflux militant (François Duprat, Le Néo-fascisme en France en 1973, Cahiers Européens, Supplément à la Revue d’Histoire du fascisme, septembre 1975 et Christophe. Bourseiller, Les Maoïstes, Plon, 1996). Le fait que les deux extrêmes misent sur l’activisme simplifie d’ailleurs grandement la tâche de leurs états-majors respectifs, puisque chacun est disposé à l’affrontement. Lorsque Ordre nouveau est en place, il s’installe d’abord dans le XVe arrondissement parisien pour une raison simple : et le GUD et la Ligue communiste y sont implantés, d’où bagarres... et retombées médiatiques. C’est toutefois surtout sur le territoire des universités que le groupe se fait remarquer : combat du GUD et d’étudiants de droite contre les gauchistes à Assas en février 1970 (2 jours de fermeture) ; affrontements extrêmement violents du GUD et des maoïstes et lambertistes à Nanterre en mars ; le même mois, attaque par le GUD d’un meeting commun gauchiste antifasciste à Assas : 23 blessés graves chez les gauchistes, etc.

Le style « barres de fer, croix celtique et humour provocateur » devient un élément central de l’auto-représentation du GUD, symbolisé par un emblème né fin 1970 et rapidement devenu légende, le “rat noir belliqueux”. Celui-ci est mis en scène en bande dessinée par Jack Marchal, cadre d’ON, presque tous les jours sur le panneau du syndicat à l’Université dite d’Assas, avec un talent indéniable et un humour ravageur qui ne sera jamais égalé par ses successeurs. Non seulement il devient indissociable de la jeunesse nationaliste, mais son succès est rapidement européen, les autres syndicats étudiants nationalistes du continent s’en emparant à leur tour.

Le choix même du medium représente une ouverture à la modernité, et en ce sens peut expliquer que les successeurs de Jack Marchal n’aient jamais retrouvé sa qualité. En effet, la facture de ce dernier est marquée par une influence de l’underground américain (il est impossible de ne pas songer à Robert Crumb), ce qui est des plus significatifs, tandis que ses émules réalisent de la bande dessinée estudiantine, totalement détachée des évolutions et contextes de ce moyen d’expression. Les planches de Jack Marchal allient le sens du rythme, de l’image-choc, de l’auto-dérision et de la propagande. Il raconte qu’alors qu’il dessinait un rat, « Gérard Ecorcheville, le camarade qui à ce moment-là gérait la propagande du GUD, eut une illumination dont on ne pourra jamais assez le remercier : ‘Hé, ce rat… Mais c’est nous !’ Cette remarque géniale a levé une des principales difficultés qui se posait à moi, et qui était de savoir comment représenter le GUD dans les événements où il était acteur. Sous l’aspect d’héroïques chevaliers hyperboréens ? De jeunes filles et jeunes gens propres sur eux ? En brutes casquées toujours victorieuses?… Bref, en un tournemain, nous avons trouvé à la fois une auto-représentation satisfaisante, un logo, un signe de ralliement qui faisait clairement la différence entre nous et tous les autres, un symbole, tout un style qui allait avec… [A Occident,] Duprat ne cessait de traiter tout le monde et n’importe qui de ‘Rat visqueux ! Rat pesteux ! Rat scrofuleux !’ (…). Pas mal de responsables et militants ont reçu un sobriquet dans cette veine. L’un, qui habitait un petit local semi-souterrain auquel on accédait par l’entrée des caves, était surnommé ‘Rat d’Égout’… Tel autre, de petite taille, était appelé ‘Musaraigne’. Quant au plus entreprenant des responsables action, on ne le connaissait que sous le nom d’Anthracite ». C’est ainsi qu’Alain Robert, meneur d’Occident, qui reçoit pour sobriquet ce nom du rat ennemi de Chlorophylle dans la bande dessinée animalière de Raymond Macherot… Enfin, il semble que les nationalistes puissent lire dans les affrontements entre Anthracite et Chlorophylle, un sous-texte politique que nul n’avait perçu, mais qui témoigne de manière extrêmement intéressante de la façon dont une vue du monde ingurgite et recycle tous les signes (avec la forte possibilité qu’il y ait aussi une certaine dose d’autodérision) : « Anthracite ne respecte aucun tabou, il lève les interdits, il est le grand catalyseur dionysiaque, l’anarque absolu, le libérateur des puissances du désir (…). Les gardiens de l’ordre établi sont systématiquement présentés comme des abrutis. Ils ne font pas le poids quand se révèlent soudain volonté de puissance et agressivité dans un monde qui croit les avoir refoulées. Seul Chlorophylle, devenu petit bourgeois conservateur, sait encore être efficace car son hostilité à Anthracite vient de plus loin, elle plonge ses racines dans la nature sauvage. Ne serait-ce l’inévitable deus ex machina qui le fait échouer à chaque épisode, Anthracite serait évidemment vainqueur. Sans garantie de durée toutefois : dès le premier album, son autoritarisme avait provoqué chez les rats noirs une guerre civile dévastatrice entre les monarchistes fidèles à sa personne et les insurgés. Il y a chez Macherot une morale des rapports sociaux qui s’élève jusqu’à une conception cyclique du devenir des sociétés politiques » (Devenir, été 2000).

La propagande n’est pas le seul moyen de se doter d’un bastion. Dès 1970, le GUD a entamé une politique de chasse absolue aux militants de gauche afin de rendre Assas vierge de leur présence et d’offrir aux rats noirs leur « Nanterre ». Cette méthode d’implantation locale était très goûtée des néo-fascistes italiens et est ainsi importée. Les militants parviennent à associer l’image de l’Université à la leur, et le jeu de mots « Waffen Assas » devient bientôt un classique de l’humour nationaliste (ainsi que celui de « Groupuscule des Dieux »). Néanmoins, l’opération « zéro gauchiste » sur les campus n’a jamais pu être rééditée. Nulle part ailleurs, l’extrême droite ne dispose en effet d’assez d’étudiants activistes pour être à l’aise, voire bien souvent pour tout simplement oser s’afficher (l’Union nationale inter-universitaire -UNI- offrant toutefois généreusement l’asile en ayant le mérite d’être moins compromettante socialement pour la suite, voire de permettre une reconversion vers une vraie carrière politique). En effet, l’UNI fut la courroie de transmission post-68 du Service d’action civique (SAC) dans les universités, puis du Rassemblement pour la République (RPR), lié à la World Anti-Communist League, ce syndicat d’ultra-droite a bénéficié d’un financement du gouvernement étas-unien (Libération, 27 novembre 1985). En 1986, puis en 1987 rejoint par le Front national de la jeunesse (FNJ), il a matraqué des étudiants de gauche de concert avec le GUD (Roger Griffin, « Net gains and GUD reactions : patterns of prejudice in a neo-fascist groupuscule», 1999). En 2010, l’Union pour une majorité populaire (UMP) a décidé de le dissoudre au sein d’un nouveau mouvement étudiant.

Assas provoque toutefois des convoitises, le GUD y subit les attaques politiques et physiques des Groupes action jeunesse. Pour garder son espace, le GUD entame une répression de ses amis politiques à coups de barre de fer. Ces derniers répondent par une bataille aux cocktails molotov. Les gudards sont ainsi éclectiques dans leur combat. Ils ont certes fait le service d’ordre du candidat Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et en 1981, mais ils peuvent s’entendre avec des maoïstes pour matraquer les meneurs d’une grève estudiantine (Rouge, 21 mars 1978). Les gudards se cotisèrent même pour le bénéfice du service d’ordre trotslyste lambertiste après que celui-ci ait infligé une raclée à ceux du Parti communiste français et de la Ligue communiste révolutionnaire (Philippe Campinchi, Les Lambertistes, Balland, 2000). Mais les années 1970 se meurent en même temps que le gauchisme estudiantin s’effondre, privant le GUD de son ennemi, de sa raison d’être. La décrépitude est marquée par une Bérézina activiste. En 1980, le GUD et les étudiants du Mouvement nationaliste-révolutionnaire (MNR) dirigé par Jean-Gilles Malliarakis (lui même ancien dOccident et compagnon de route d’Ordre nouveau) décident d’ensemble « reprendre » l’université de Paris X-Nanterre : la cinquantaine de militants qui s’y rend fait 23 blessés avant de ravager la rame de métro. 27 nationalistes sont arrêtés. Le GUD s’affirme victime innocente, argue que ses militant seraient venus désarmés et auraient été victimes des enragés gauchistes. Le MNR soutient totalement, et avec emphase, les gudards et leur version des faits (Le Matin, 17 décembre 1980 et Jean-Gilles Malliarakis, « Nanterre, symbole du système pourri », Jeune Nation solidariste, décembre 1980). Avec ses militants poursuivis par la justice pour ces faits de violence et face à la victoire de la gauche, le GUD s’auto-dissout. Affirmant qu’il faut réaliser une nouvelle alliance des extrêmes droites qui dépasse le cadre estudiantin, l’ex-GUD tend dès cet instant la main au FNJ et au MNR (Le Quotidien de Paris, 22 août 1981).

À suivre

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L
Publier un 06 février un article sur une organisation de droite très dure, ferment naturel d'extrême droite, mais pas seulement, ils ont de l'humour chez "Temps Présent".....<br /> (Il faut expliquer, ou ça va aller?).
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V
Scélérats ratonneurs<br /> Ras le bol de ces ratés
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A
Si la marine ne passe pas les rats quitteront-ils le navire?
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