Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Joël Jacques
« La nécessité est un mal, mais il n’y a aucune nécessité à vivre avec la nécessité » (Épicure)
Une étude sur l’un des plus importants philosophes grecs de l’antiquité pourtant cruellement absent de la liste portée sur les cartouches des rituels maçonniques. Mais, pour un compagnon maçon, ce livre est un plaisir qui permet d’ouvrir la voie vers le recul nécessaire à comprendre la vie.
Même au seuil de la vieillesse, disait-il, on ne doit pas hésiter à philosopher. Il n’est trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tenant entre les mains cet ouvrage de Renée Koch Piettre (éditions Entrelacs, collection Sagesses éternelles, 2017), il me revient cette fameuse réplique du film « Mon oncle Benjamin » d’Édouard Molinaro d’après le roman éponyme de Claude Tillier, à savoir que nous sommes des Épicuriens qui poussons parfois l’étude jusqu’à l’ivresse. Pourquoi cette réplique plutôt qu’une autre ? Eh bien, probablement parce qu’Épicure est le philosophe de la vie. C, vcrmanence la plus belle conception du bonheur comme l’art de tout simplement apprécier d’être vivant et que, contrairement aux croyances communément admises, il n’est pas seulement le chantre du carpe diem.
Au fil des pages de l’ouvrage bâti comme une biographie philosophique, l’auteur nous présente Épicure comme celui qui nous incite à atteindre ce bonheur. Il nous guide, nous prend par la main et nous confie qu’il est nécessaire de ne pas se tromper de désir afin d’éviter de se tromper de plaisir. Il nous confie qu’il n’y a pas de véritable douleur sinon celle qui conduit à briser les désirs. De fait, Épicure reste un philosophe moderne, un inspirateur de la libre pensée et l’un des modèles des libertins, celui que Pierre Gassendi qualifiait de « Grand Homme ». Car, si l’on y songe, tout tourne toujours autour du désir, du désir d’être immortel, du désir de durer, du désir de paraître au-delà de ce que nous sommes ou de celui qui fait « paraître » l’objet du désir comme idéalisé. Le désir d’être initié qui fait oublier que l’initiation ne se transmet pas, ne se donne pas, ne se prend pas. On peut enseigner les voies qui y conduisent, montrer, au sein d’une loge bâtie comme une ataraxie, comment contenir les expériences dont elle offre la palette. Mais, au final, cela reste un état qui ne s’obtient jamais, un état qui se construit entre soi et soi-même, un état qui se forme et se transforme selon la nature et la durée relatives à la conscience du plaisir d’exister. En obtenir plus est toujours dépendant du fait d’en désirer moins. Car on ne peut jamais partager le bonheur de l’être ou en augmenter la quantité, on ne peut que le désirer, comme on désire la Lumière.
La pensée d’Épicure, prisonnière des concepts culturels des sociétés qui ont existé après qu’il eut enseigné, a été confondu avec la recherche du plaisir éphémère qui relativise l’enseignement en l’orientant vers des conceptions réductrices, plus hédonistes. L’être humain réduit à son corps peut cependant être l’objet de désir. D’ailleurs le désir n’est jamais que désir de corps ou du corps de l’autre, mais, en cela, peut-on réellement retrouver. De fait, Épicure est toujours présenté à l’aune du désir majoritaire de le définir. « En effet, comme elle se tient, en toutes circonstances à ses propres vertus, la multitude accueille les êtres qui lui ressemblent, et considère tout ce qui n’est pas tel comme étranger » (Les Épicuriens, La Pléiade, citation dans l’ouvrage). Ainsi, à l’instar des cultures latines de l’Empire romain, nous vivons dans le paraître et tentons de comprendre l’être qui nous reste étranger, nous sommes plus ou moins autonomes ou indépendants et nous possédons une sorte de vitalité qui nous permet de vêtir le bon masque au bon moment. C’est très certainement l’une des raisons qui justifie l’absence d’Épicure comme philosophe de référence sur les cartouches de la cérémonie de compagnonnage au Rite écossais ancien et accepté (REAA). Le message contenu dans sa philosophie qui tend à valoriser la découverte de soi et, surtout, à n’admettre aucune contrainte à cette découverte et trop étranger à la pensée protestante des Pères Fondateurs.
Selon la note de l’éditeur, l’ouvrage présente une philosophie, une sagesse, un mode de vie particulier et à dimension universelle : l'épicurisme. Avec brio et clarté, l'auteure nous fait entrer dans la vie, le langage et les modes de pensée d'Épicure et nous expose les fondements de sa doctrine. Axée sur une étude pénétrante de la Nature et sur la recherche du bonheur, l'école épicurienne, l'une des plus importantes écoles philosophiques de l'Antiquité, est une maison de pensée communautaire ouverte et bienveillante.
Mais, gardons à l’esprit qu’Épicure est celui qui, puisqu’il veut profiter, reste très vigilant sur le fait que tout plaisir n’est pas désirable. S’il s’agissait de Locke, je dirais qu’il préconise l’intolérance face à l’intolérable et que cette qualité doit être développée et glorifier pour toute chose de la vie. La Vie n’est-elle pas désir plus que plaisir ? Ce doit être pour cela que l’on doit se préoccuper de ce qui crée le bonheur plus que de ce que l’on en fait et, s’il est vrai qu’avec lui nous possédons tout sans toujours bien le savoir, il est bon de ne pas le laisser fuir, de peur qu’il se sauve.