Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Intéressons-nous d’abord à l’éditorial d’Olivier Messac qui établit un bilan d’étape des travaux de la revue trimestrielle qu’il dirige et de l’association qui la sous-tend. Il nous rappelle, petit-fils qu’il est de Régis Messac, que l’aventure éditoriale a commencé à la mort de Ralph, journaliste et homme de lettres, son père, et fils de Régis, en 1999. Quelques amis passionnés de littérature à la fois populaire et progressiste se sont joints à l'équipe de départ.
Outre les 34 numéros de Quinzinzinzili parus avec celui-ci, seize livres ont été publiés aux éditions Ex nihilo, sans compter les rééditions de textes de Régis Messac aux Belles lettres, à La Table ronde et à L’Arbre vengeur. Avec quelques journées d’étude et la découverte de précieuses correspondances, le bilan est plus que satisfaisant, malgré les difficultés que l’on peut imaginer à mener pareille équipage en ces temps tourmentés où la curiosité et l’engagement sont souvent en berne. Mais la fidélité conduit à se souvenir que les années trente et quarante dans lesquelles vécut Régis Messac n’étaient pas plus joyeuses.
Le sommaire se poursuit avec un double hommage à Jean-Louis Touchant, pilier de ce petit monde et disparu au début de l’année, travail de mémoire assuré par Pierre Lebedel et Jean-Luc Buard. Touchant avait notamment publié chez Encrage L’apothéose du roman d’aventure à propos de l’écrivain José Moselli et de l’éditeur Offenstadt. Olivier Messac évoque également la mémoire d’Étienne Cornevin « Pataphysicien, universitaire, poète, éditeur du céphalophore entêté, amateur de mots rares et précieux, personnage à la fois distant et attachant », mort lui aussi, quelques mois plus tôt.
Dans son « Bric à brac » historique, Anne Gabriel insiste, entre autres brèves, sur la mise en ligne sur le site de la BNF Gallica du Monde d’Henri Barbusse, regrettant que la deuxième époque du titre (1933-1935), devenu stalinien, ait été privilégiée par rapport à la précédente où « la ligne éditoriale était ouverte à la confrontation des idées et à la contradiction ».
Guibert Lejeune revient ensuite sur la destinée du roman Quinzinzinzili de Régis Messac (1935), en particulier sur l’étude que lui a consacré Nathalie Gerfaud-Valentin. On regrettera qu’il essentialise inutilement l’auteure en parlant de sa « sensibilité en partie féminine ». Il recense également les éditions que le roman a connu et les commentaires qu'il a suscité. Quant aux traductions, il note qu’aucune n’a encore été réalisée en anglais, mais que brésiliens et japonais auront eu accès au texte.
Suit un texte de Pierre Lebedel sur les sources d’une des meilleures ventes du livre de poche L’Atlantide de Pierre Benoit (1,711 million d’exemplaires vendus dont 911 000 en poche), paru en 1920 et revient sur l’accusation de plagiat du roman Elle de Rider Haggard (1887). Il semble que les sources de Benoit soient plutôt à rechercher dans des auteurs oubliés du XIXème siècle qui avaient déjà placé l’Atlantide au Sahara.
À ce propos, Anne Gabriel revient sur la partie de la science fiction qui s’est inspirée de l’histoire coloniale, en particulier Les Seigneurs de la guerre de Gérard Klein (1970) qui reparaissent au Livre de poche avec une préface inédite de l’auteur. Elle s’attache également à la discussion que Klein mena avec François Carsac auteur du Monde est nôtre (1962), lequel parle d’humanités différentes vivant sur une même planète sur le thème : faut-il vivre chacun de son côté pour éviter les guerres ou se mélanger ? Sans oublier les deux textes uchroniques de Roland C. Wagner, le roman Rêves de gloire (2011) et le recueil de nouvelles Le Train de la réalité et les Morts du Général (2012). Au delà de ces rappels, l’article nous replonge dans l’histoire de la colonisation de l’Algérie, de la guerre de Libération et de ses conséquences aussi multiples que douloureuses.
Vient ensuite un texte de Little Marcel Martin qui traite de l’adaptation graphique du roman Nestor Burma contre CQFD de Léo Mallet par Emmanuel Moynot (Casterman), Tardi ayant renoncé à poursuivre ses variations sur les œuvres de cet l’écrivain. L’action se passe à Paris pendant l’occupation. L’auteur de l’article, tout en appréciant le double travail de scénario et d’un dessin largement inspiré de Tardi traque quelques erreurs historiques.
Juste avant de finir cet excellent numéro, on lira sous la plume de Jean-Guillaume Lanuque une radioscopie de l’écrivain Jacques Spitz (1896-1963) à travers le travail de Patrick Guay qui vient d’écrire aux presses universitaires de Bordeaux, sous le titre Le Mythe de l’humain une biographie de l’écrivain préfacée par François Ouellet, construite à travers son œuvre et le dépouillement de ses archives personnelles. On doit notamment à cet écrivain de science fiction L’Homme élastique (1938) et La Parcelle Z (1942). Ce dernier titre avait été particulièrement apprécié en son temps par Régis Messac.
In fine, Étienne D’Issensac s’intéresse lui aussi à Henri Barbusse et la destinée du Monde. L’auteur analyse les deux époques que nous avons évoquées plus haut, la liberté de ton et d’analyse ayant laissé la place à une orthodoxie stalinienne à partir de 1933. À cette date, de nombreux départs forcés ou volontaires de collaborateurs du périodique eurent lieu, avant que Barbusse ne meure lors d’un voyage à Moscou et soit quasi sanctifié par ses nouveaux protecteurs venus de l’Est.
En coda, on lira une lettre de Régis Messac d’octobre 1935 à son vieil ami René Bonnet, où il parle d’un de ses thèmes préférés, la place des humanités classiques à l’école et dans la culture et de « la grande faiblesse de Barbusse » face aux communistes, attitude dont Messac pense qu’elle davantage relevé d’un besoin de reconnaissance que d’une vénalité avérée.
En résumé, à l’heure du bilan d’étape proposé par son rédacteur en chef, on trouvera avec ce numéro 34 de Quinzinzinzili une nouvelle pierre à l’édifice, on n’ose dire le temple, ou le tombeau, au sens malarméen.