Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Les Makers sont ceux qui font et qui fabriquent des choses librement dans des espaces particuliers intitulés « tiers lieux ». L’appellation vient du sociologue Ray Oldenburg pour nommer ces lieux intermédiaires entre le lieu de résidence (le premier) et le lieu de travail (le deuxième), elle désigne donc ces lieux de socialisation informelle où, terrain neutre, les statuts sociaux sont égalisés et où l’activité principale est la conversation. Bien sûr, les Makers ne font pas que parler, ils fabriquent d’abord, mais ils ont les valeurs des tiers lieux (accessibilité, convivialité, égalitarisme et discussion) avec, en plus, l’éthique du faire décrite par Michel Lallement (méritocratie, liberté d’entreprendre, volonté d’expérimenter, de tester et de bricoler).
Et ces espaces collaboratifs intéressent beaucoup les responsables politiques : le 6 octobre 2016, Arnaud Montebourg visitait Articlect à Toulouse ; à Paris, Emmanuel Macron et François Fillon ont visité le Salon des entrepreneurs les 1er et 2 février 2017 ; le 3 mars 2017, Benoît Hamon visitait La Ruche, espace de coworking ; le 17 mars 2017, François Hollande se rendait dans le Liberté Living Lab…
Véritable nouvelle organisation de la production Les Makers disposent, dans ces tiers lieux, de ressources matérielles comme une imprimante 3D, une connexion WiFi, une cuisine, des salles de réunion… L’essentiel est de venir avec un projet où le Do it yourself (« Faites-le vous-même ») est plutôt remplacé par le diwo ou Do it with others ! (« Faites-le avec les autres »). Les outils à disposition permettent d’adapter la production aux variations quantitatives et qualitatives de la demande.
Mais les Makers développent aussi une nouvelle valeur accordée au travail qui doit, chez eux, toujours mêler plaisir et intérêt, l’autonomie et le respect de la singularité de chacun avec la collaboration de tous. Dès lors la coopération horizontale et volontaire est préférée à toute organisation hiérarchique, loin de la pression du marché et de la bureaucratie. Comme l’explique Michel Lallement, « les Makers inventent aussi une façon de recréer du commun », bousculant les droits de propriété habituels avec les creatives commons (licences gratuites permettant de faire sans contrefaire) voire, carrément, le droit à la copie.
Les Makers peuvent rester dans des communautés de bidouilleurs, avec, parfois, une volonté de traduire leur expérience en projet politique, sans valorisation commerciale ou alors avec une seule dimension artisanale.
Mais les entreprises sont évidemment intéressées par leur mouvement puisqu’il est une voie pour retrouver le sens de la coopération et de l’innovation. Elles initient alors des Fab Lab (« laboratoires de fabrication ») au sein même de leurs organisations, les entrepreneurs sont gérés en mode « communauté », dans une logique d’entre-aide, de don et de contre-don. D’autant plus que l’expertise est vite dépassée dans un monde en perpétuel renouvellement où une innovation chasse l’autre. Au final, le mouvement des Makers est la face lumineuse, quand l’« uberisation » est la face sombre d’un capitalisme qui hybride salariat et entrepreneuriat.
Ce mouvement peut aussi être vu comme la preuve que le numérique, univers familier des Makers, n’aboutit pas forcément à des individus solitaires et hors sol, mais, au contraire, peut conduire à la recherche de liens, de rencontres réelles et de communautés.
SOURCES
DAGNAUD Monique, « Campagne présidentielle : l’imaginaire fantasmé de la mondialisation », telos-eu.com, 21 avril 2017
FABBRI Julie et VAUJANY François-Xavier (de), « La Politique ne se fait pas à la corbeille. Doit-elle se faire dans les tiers lieux ? », theconversation.com, 26 avril 2017
LALLEMENT Michel, « Le Pari du Faire, creuset d’une nouvelle révolution », Le Monde, 7 novembre 2016 et L’Âge du Faire. Haking, travail, anarchie, Seuil 2015
OLDENBURG Ray,The Great Good Place, Da Capo Press, 1989
VALLAT David, « Les Tiers lieux 2.0, une nouvelle façon d’appréhender le monde ? », theconversation.com, 15 mai 2017
VAUJANY François-Xavier (de), « Les Tiers lieux : quelles opportunités pour comprendre et transformer les pratiques de travail ? », theconversation.com, 6 avril 2017