Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Finalement, la désignation de François Fillon comme candidat de la droite à l’élection présidentielle arrangeait tout le monde.
À gauche, Laurent Joffrin pouvait dénoncer « ce chrétien enraciné [qui] a passé une alliance avec les illuminés de la ‘manif pour tous’. Il y a désormais en France un catholicisme politique, activiste et agressif, qui fait pendant à l’islam politique. Le révérend père Fillon s’en fait le prêcheur mélancolique. D’ici à ce qu’il devienne une sorte de Tariq Ramadan des sacristies, il n’y a qu’un pas » (éditorial « Sacristie », 21 novembre 2016, Libération). Et toc !
À droite, tous ceux qui rêvaient d’un rapprochement avec Debout la France (DLF) ou le Front national (FN) et qui ne se remettaient pas de la défaite cuisante de Jean-Frédéric Poisson aux primaires (1,5% des voix au nom du Parti chrétien-démocrate-PCD), pouvaient se féliciter de la désignation d’un catholique prouvant que le vote catholique était décisif. Et re-toc !
Convoitises sur le « vote catholique »
Il faut dire que François Fillon n’avait pas cessé d’envoyer des signaux aux électeurs catholiques, avec l’objectif de capter la communauté réduite mais influente mobilisée depuis l’adoption de la loi dite sur « le mariage pour tous ». Déjà, il écrivait-dans Faire (Albin Michel, 2015) : « Je suis catholique. J’ai été élevé dans cette tradition et j’ai gardé cette foi » et il avait su, jusqu’au naufrage de sa campagne dans les affaires, son repli identitaire et son pacte - oserai-je écrire - « diabolique » avec Sens commun, incarner ce catholicisme fort sur ses convictions et discret dans la République. Sur TF1, le 3 janvier 2017, il avait même affirmé : « Je suis gaulliste et de surcroît je suis chrétien, cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité », comme si la religion servait de caution à la définition de l’intérêt général ! C’est lui qui avait accordé toute son importance à la famille, sujet sensible pour les catholiques : « Je remettrai la famille au cœur de toute politique publique. Pour moi, la famille, c’est une valeur, pas une variable budgétaire et encore moins un sujet d’’expérimentations sociales hasardeuses » (discours de Lyon, 22 novembre 2016) et avait, auparavant, donné sa version nuancée du droit à l’avortement : « c’est un droit sur lequel personne ne reviendra. Philosophiquement et compte tenu de ma foi personnelle, je ne peux pas approuver l’avortement » (discours, 22 juin 2016). Lors de la fête de l’Assomption en 2016, il s’est rendu à la messe de l’abbaye de Solesmes puis à la vierge du Puy-en-Velay. C’est encore lui qui avait fait des gestes en faveur des chrétiens d’Orient. C’est enfin lui qui avait su reprendre à son compte, après les attaques terroristes de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, la peur identitaire des catholiques face à l’islam radical : « Il n’y a pas de problèmes religieux en France. Il y a un problème lié à l’islam » écrivait-il dans Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016). N’en jetez plus ! Bouquet final, Marin de Viry dresse un panégyrique chrétien de François Fillon dans La Revue des deux mondes (« De Fillon et des catholiques : les aphorismes de ma grand-mère valent bien les éditoriaux de Laurent Joffrin », février-mars 2017), affirmant que les marqueurs moraux du candidat de la droite, « la plupart des catholiques les voient et les approuvent ». La preuve : il célèbre le « travail » comme l’un de ses marqueurs et tant pis si l’affaire des emplois fictifs de Pénélope Fillon en réduit singulièrement la portée. Les commentateurs en sont certains : il y a bien UN vote catholique !
Et tout le monde s’est mis à rendre publique sa foi ! Marine Le Pen bien sûr, même si elle a tenu à marquer ses distances avec l’institution religieuse. Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône, porte sa croix ostensiblement autour du cou. Les électeurs ont appris la conversion d’Emmanuel Macron à 12 ans et le passé d’enfant de chœur de Jean-Luc Mélenchon. Même Alain Juppé et Benoît Hamon ont fait référence au pape François !
Nicolas Sarkozy s’y était aussi essayé en vain lorsqu’il reconnaissait dans la France, un « pays chrétien dans sa culture et dans ses mœurs, un pays ouvert, accueillant, tolérant » (discours de Lille, 8 juin 2016). Nadine Morano en avait donné une version cash : « La France est un pays aux racines judéo-chrétiennes, la France est un pays de race blanche » (France 2, 26 septembre 2015).
« Bulle médiatique » et « illusion d’optique »
Mais pour Yann Raison du Cleuziou, en revanche : « Le vote catholique n’est qu’une bulle médiatique ». D’abord parce que les catholiques conservateurs, pendant l’élection primaire de la droite, ont oscillé entre le vote utile (choisi par Sens commun pour expliquer son ralliement à François Fillon) et le vote de conviction (Jean-Frédéric Poisson du PCD a été soutenu par Charles Beigbeder, Robert Ménard et Marion Maréchal-Le Pen). Ils se sont donc répartis entre les candidats. François Fillon a plutôt recueilli le vote des « observants », conservateurs au catholicisme intériorisé, et des « festifs », identitaires, limitant leur pratique religieuse aux rites de passage mais hostiles à l’islam. D’autres catholiques ont préféré Alain Juppé qui a plutôt recueilli le vote des « conciliaires » et des « fraternels ».
En fait, trop de gens avaient intérêt à surestimer l’importance du vote catholique : de Frigide Barjot pour expliquer sa mise à l’écart, jusqu’à la gauche pour reconnaître un ennemi « obscurantiste ». Enfin, dans la réalité, les slogans de La Manif pour tous n’étaient pas religieux. Ils étaient aconfessionnels dans leur immense majorité. C’est le groupe Sens commun qui a mis en scène le retour des catholiques, fiers de l’être, dans le débat politique : récupérant toutes les mobilisations précédentes et rêvant d’un engagement cohérent et continu depuis les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) jusqu’à La Manif pour tous, seul mouvement populaire qu’a connu la droite récemment.
En écho de la « bulle médiatique » de Yann Raison du Cléziou, Jérôme Fourquet et Hervé Le Bras livrent les caractéristiques du vote catholique : une plus forte mobilisation de l’électorat catholique pratiquant et, certes, un attrait majoritaire pour François Fillon avec même une prime dans les terres catholiques. Cela n’empêche pas nos auteurs d’affirmer que « le soutien des ‘cathos de droite’ a amplifié sa victoire mais ne l’a pas créée ». Car ils constatent qu’« il n’y a pas de rapport entre la pratique religieuse et le vote pour François Fillon », autrement dit : « François Fillon n’a pas exercé d’attraction particulière sur l’électorat catholique dans son ensemble ». À part dans l’Ouest parisien, aucune différence n’existe entre le vote des catholiques pratiquants et celui des personnes sans religion ! En fait, rejoignant l’effet « bulle médiatique » et la diversité des électorats catholiques repérée par Yann Raison de Cléziou, Jérôme Fourquet et Hervé Le Bras parlent d’« illusion d’optique » et d’effet loupe parce que « les catholiques sympathisants des Républicains ne représentent qu’une fraction de tous les catholiques ». Il existe certes des catholiques d’extrême droite, mais aussi des héritiers des démocrates-chrétiens et des catholiques de gauche… Sans doute, peu d’entre eux se sont d’ailleurs reconnus dans les prières de rue de Civitas ou dans l’engagement du PCD avec Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin portant leur religion comme un étendard.
En fait, tout le monde s’est accordé pour sombrer dans une sorte d’essentialisation des catholiques qui, étant catholiques, ne peuvent agir qu’en catholiques, oubliant les années d’intégration dans la République et dans le débat politique français de droite, comme de gauche !
[Toutes les références des sources sont à retrouver à la fin de la seconde partie du « Mauvais tour joué aux cathos »]
À suivre