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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les crimes de guerre du colonialisme français (2)/ La guerre oubliée au Cameroun 1955-1962

« La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes » Emmanuel Macron 15 février 2017, Echorouk News 1

Jean-Pierre Bacot

L’armée française a été engagée entre 1955 et 1962 dans une guerre sans pitié qui se déroulait parallèlement à celle d’Algérie, mais dans une discrétion dont la conséquence fut une véritable occultation jusqu’à ce que les auteurs du livre Kamerun (voir sources), mobilisant témoignages et archives, donnent à la partie du public qui voulait bien entendre, en 2011, le détail de ce conflit atroce.

Les auteurs font commencer l’affaire en 1948, au moment où l’Union des populations du Cameroun (UPC) demanda l’indépendance de la partie française de la colonie qui avait été allemande depuis 1884, avant de se trouver, à partir de 1922, sous double administration anglaise et française. Il s’agissait dès lors d’un mandat international et non plus d’une véritable colonie, ce qui explique pour grande part la volonté des Français d’effectuer leur opération guerrière le plus discrètement possible, en l'absence de mandat. L’ouvrage des trois chercheurs journalistes détaille les méthodes qui furent utilisées par les militaires dans la partie géographiquement majoritaire qui se trouvait sous leur domination dans une volonté de guerre totale : regroupement forcé de villages, quadrillage de la population, action psychologique à grande échelle, chasse aux maquis clandestins, exécution ciblée des dirigeants de la rébellion, torture érigée en arme de terreur massive. La guerre commença en 1955 avec la répression des émeutes intervenues dans les grandes villes et le départ des militants de l’UPC vers la clandestinité. Ce sont les pays Sanaga, zone maritime entre Douala et Yaoundé et Bamiléké, à l’ouest du territoire qui furent les plus touchés par les massacres.

En décembre 1957, la France mit au point un dispositif comparable à celui qui avait été déployé l’été précédent dans la bataille d’Alger, en établissement une « zone de pacification du Cameroun » (ZOPAC). Pierre Messmer (1916-2007), fut placé au premier rang de cette offensive. Cet homme aura constitué le prototype d’une catégorie hélas trop répandue de résistants de premier rang devenus coloniaux répressifs. En effet, en plus des collaborateurs, le fait que dans le peu d’opposants  au pétainisme se soit trouvés de tels personnages peut nous laisser perplexes quant à ce qu’il reste à sauver dans l’espèce humaine en cas de grand malheur collectif. Messmer fut en effet successivement secrétaire général du Comité interministériel pour l'Indochine en 1946, directeur du cabinet du haut commissaire de la République en Indochine de 1947 à 1948, administrateur du cercle de l'Adrar mauritanien de 1950 à 1952, gouverneur de la Mauritanie de 1952 et 1954, gouverneur de la Côte d'Ivoire de 1954 à 1956 avec Félix Houphouët-Boigny. Quelques mois plus tard, on le retrouva directeur de cabinet de Gaston Defferre, ministre de la France d'Outre-mer, puis, de 1956 à 1958, haut commissaire de la République au Cameroun, avant qu’il n’occupe en 1958-1959 le poste de haut commissaire de la République en Afrique équatoriale française, puis de Afrique occidentale française. Après cette carrière coloniale de premier plan, il se retrouva, en fin de parcours, premier Ministre de Georges Pompidou (1972-1974), puis chancelier de l’Ordre de la Libération et membre de l’Académie française. Un grand serviteur de la République, une , indivisible et coloniale…

Les crimes de guerre du colonialisme français (2)/ La guerre oubliée au Cameroun 1955-1962

Le bilan des morts de la guerre cachée du Cameroun fut tragiquement impressionnant : 20 000 pour la seule année 1960 et probablement 120 000 pour l’ensemble du conflit, dans une population d’environ trois millions d’habitants. Les officiers anciens d’Indochine et d’Algérie bénéficiaient des conseils du colonel Charles Lacheroy (1906-2005) qui ne fut jamais général parce qu’il choisit le camp des félons d’Algérie, auteurs du push d’avril 1961, se trouvant alors aux côtés des généraux Challe, Jouhaux, Salan et Zeller et du colonel Argoud.

Quel fut le but de cette guerre ? Sans aucun doute de choisir ses interlocuteurs pour un post colonialisme affirmé. La décolonisation, les indépendances, étant ressenties comme inéluctables, il fallait éliminer le plus possible de ceux qui voulaient la liberté du Cameroun pour traiter ensuite avec ceux qui ne feraient pas preuve d’un nationalisme ombrageux.

Comme Thomas Deltombe l’a déclaré « C’est une guerre qui rentre dans une logique beaucoup plus globale qui est celle de la réforme conservatrice du système colonial et le Cameroun a été le premier pays où la France a entrepris, et finalement réussi, à contrôler l’indépendance d’un pays africain, au lieu de la subir, comme ça avait été le cas en Indochine en 1954 ou en Guinée en 1958. À cause de ces échecs, les autorités françaises ont imaginé un système qui permettait effectivement d’octroyer l’indépendance, comme disait Pierre Messmer, ‘Nous allons accorder l’indépendance’, mais comme il le disait également, de ne pas la confier au Cameroun, mais simplement à une partie des Camerounais qui travailleraient main dans la main avec la France, contre finalement les intérêts du peuple camerounais. Et donc l’indépendance a été falsifiée, de sorte qu’elle ne sert plus les intérêts du peuple camerounais et des colonisés, mais au contraire elle est utilisée, elle est retournée contre le peuple. Et ça, c’est la base du système françafricain » (Radio France internationale, 10 décembre 2016).

Si nous insistons sur les crimes de guerre coloniaux commis après la deuxième guerre mondiale, ce n’est certes pas pour occulter ceux, trop nombreux, qui se sont déroulés auparavant, y compris au Cameroun, mais pour montrer à quel point le travail philosophique effectué sur la question du mal après la défaite du nazisme, réflexion dont témoigne l’œuvre d’Hannah Arendt, pensée à visée universaliste, aura en fait écarté le monde colonial de cet universalité.

Bruno Guigue notait à juste titre à ce propos sur Agora vox le 17 février dernier, « Oui, c’est un fait, le crime colonial a fait voler en éclat les barrières morales que la classe dominante s’imposait ailleurs. Dire cette atrocité du crime colonial, c’est désigner avec les mots qui conviennent cette histoire douloureuse. Le colonialisme est une violence au carré, décuplée par le sentiment de supériorité raciale du colonisateur sur le colonisé ».

Deux romanciers camerounais, Hemley Boum et Max Lobe ont contribué en 2014 et 2015 à populariser, pour les Français comme pour les Camerounais, la mémoire de cette infamie dont il reste encore quelques témoins survivants.

Sources

- Hemley Boum, Les Maquisards, La Cheminante, 2015.

- Max Lobe, Confidences, Zoe, 2016.

- Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation, La Découverte, 2010. La première édition de ce livre chez Maspero en 1972 fut interdite par le gouvernement français. Il fut donc publiée d’abord au Québec et autorisée en France en 1977, à l’issue d’une longue bataille judiciaire.

- Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsista, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971, La Découverte, 2011.

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