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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les crimes de guerre du colonialisme français (3)/ Madagascar 1947

« La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », Emmanuel Macron, 15 février 2017, Echorouk News 1.

Jean-Pierre Bacot

C’est peut être l’un des pires crimes coloniaux que la France ait commis au sortir de la Deuxième guerre mondiale. Il s’agit de la répression de la révolte qui éclata en 1947 à Madagascar. L’île avait étét attaquée par les troupes françaises dès 1883. Cette présence militaire avait  été combattue depuis l’origine par les habitants de l’île aussi peu armés que franchement déterminés. Les  locaux connurent un premier succès avant que les troupes du général Galliéni l’emportent sur les insurgés.

Environ 35 000 colons européens vivaient dans l’île au milieu de quatre millions de Malgaches. Ils étaient surtout regroupés sur la côté Est, dans la mesure où le climat tropical était propice aux cultures de la vanille et du clou en de girofle. La main d’œuvre locale n’était encore à cette époque pas très éloignée d’une situation d’esclavage, même si le travail forcé avait été remplacé en 1924 par un « travail d’intérêt général ».

C’est dans cette région que l’insurrection allait démarrer. Le site Herodote.net considère que les élites malgaches en étaient venues à espérer que leur île pourrait bénéficier de principes de liberté qui avaient été proposés par Roosevelt et Churchill dans une « Charte de l’Atlantique », le 14 août 1941. Certains demandaient une intégration de l’île à la République française. Les députés malgaches à l’assemblée constituante de 1946 fondèrent un Mouvement démocratique de la révolution malgache, mais l’un d’entre eux, Joseph Raseta, opta pour une solution plus radicale et appela au soulèvement.

Les crimes de guerre du colonialisme français (3)/ Madagascar 1947

Une première attaque contre les Français et des Malgaches intervint le 29 mars 1947 et permit aux assaillants de prendre le contrôle de la côte orientale. Le gouvernement envoya d’abord les tirailleurs sénégalais régler la situation, causant nombre d’exactions puis, en juillet, les bataillons nord-africains arrivèrent et permirent à un effectif de 18 000 hommes de reprendre le terrain après quinze mois de lutte, en novembre 1948. Ce qu’on appellera cyniquement la « pacification » fera 89 000 morts, diront certains, mais les estimations actuelles des universitaires spécialisés parlent de 30 000 à 40 000 morts dont 10 000 morts violentes et les autres par famine ou maladie. Du côté des troupes coloniales, ce sont essentiellement les supplétifs malgaches qui y laisseront leur peau (1 900). Il y aura aussi 550 pertes européennes dont 350 militaires.

Dans cette affaire comme en tant d’autres, l’armée française, quelle qu’ait été sa composition, se sera montrée odieuse, pratiquant  les exécutions sommaires, la torture, les regroupements forcés, les incendies de villages. Il sera même expérimenté une nouvelle technique de guerre « psychologique » : le fait de jeter des suspects vivants depuis des avions afin de terroriser les villageois. À Moramanga, un train où les prisonniers étaient entassés dans des wagons à bestiaux sera criblé de balles et les survivants fusillés, l’opération faisant 166 morts. Qui s'en souvient?

En janvier 1951, François Mitterrand, alors ministre de la France d'Outre-mer indiquera dans un discours tristement célèbre que l'«avenir de Madagascar est indéfectiblement lié à la République française». Madagascar n'accèdera à l'indépendance qu'après la fin de la quatrième République et la création de la Communauté française, en 1960.

Comme ses collègues massacreurs en Tunisie ou au Cameroun, le général Pellet qui dirigea les opérations fut un résistant. Général de brigade en 1939, il fut chargé des affaires militaires au ministère des colonies. Révoqué par Vichy et mis en résidence surveillée, il partit faire de la résistance en Indochine, fut fait prisonnier par les Japonais et revint à Madagascar avec le grade de général de corps d’armée, quatre étoiles.

De ces crimes de guerre dont la collection peut se plaider comme crime contre l’humanité, quelle est aujourd’hui la mémoire? Les militants anticolonialistes ont depuis toujours de grandes difficultés à sortir cette connaissance de leurs cercles d'influence. Les autorités malgaches elles-mêmes ne semblent pas avoir mis un zèle particulier à populariser ces massacres. Pourtant, la vérité n'est pas cachée, les livres existent, les reportages peuvent se trouver en ligne, mais certains ont sans doute trop peur que les défenseurs "des aspects positifs de la colonisation" se lèvent, indignés, si le rappel des crimes de guerre se faisait trop bruyant.

« C’est peut-être trop tôt ? C’est peut-être à notre génération d’en parler ? En France comme à Madagascar ? Nos parents, des deux côtés, étaient peut-être trop touchés par cet événement pour en parler sereinement ? Je ne sais pas. En tout cas, les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais manifesté le désir de transmettre la mémoire, aussi bien du côté de la France que de Madagascar. (…) Quels sont les officiers impliqués dans ces répressions ? Pourquoi n’ont-ils jamais parlé ? » (Jean-Luc Raharimanana, écrivain, cité par Sylvain Rakotoarison, « 29 mars 1947 : début de massacre à Madagascar », AgoraVox, 28 mars 2017).

Sources :

Eugène-Jean Duval, La Révolte des sagaies. Madagascar, 1947, L’Harmattan, 2002

René Radaody-Ralarosy, Zovy, 1947 au cœur de l'insurrection malgache, Sepia, 2007

Jean-Luc Raharimanana, Madagascar, 1947, Vents d'ailleurs, 2007

Jacques Tronchon, L'Insurrection malgache de 1947, Karthala, 1986.

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