Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
P. Descat
Recalée au Panthéon, Olympe de Gouges est entrée comme première femme « réelle » de l’histoire, au milieu des figures d’hommes et des allégories, dans l’enceinte encore très masculine de l’Assemblée nationale, le 19 octobre 2016. Retour sur un parcours exceptionnel.
Femme citoyenne
Entre l’hostilité des hommes et l’absence de solidarité des femmes qui craignaient de déplaire à ceux dont elles dépendaient, on imagine combien La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne publiée en 1791, allait paraître déplacée, excessive et scandaleuse. Elle eut d’ailleurs peu d’écho, tant la cause des femmes paraissait alors absurde et contraire à la nature et à la raison dont se réclamaient sans cesse les révolutionnaires. Sa déclaration ne réclamait pas quelques droits pour quelques femmes, mais tout le droit pour toutes les femmes. Qu’en est-il resté dans l’histoire, peu de choses si ce n’est une phrase demeurée célèbre : « Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent avoir également le droit de monter à la tribune ».
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s’inspirait bien sûr de celle des Droits de l’homme de 1789, mais elle allait beaucoup plus loin. Elle revendique pour son sexe, l’égalité des droits civils et politiques. Ne se contentant pas de remplacer le mot homme par le mot femme, elle osait compléter les libertés civiles par les libertés individuelles, les deux étant à ses yeux inséparables. C’est un véritable manifeste sur la parité. Elle allait jusqu’à proposer une révision du mariage au profit d’un « Contrat social », sorte d’adultère légal qui préfigurait la reconnaissance par la loi récente du statut des concubins. Elle réclamait également des secours pour les filles-mères et le droit à la recherche en paternité. « Toute citoyenne peut donc dire librement : je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ». Elle demandait également l’octroi d’une pension alimentaire en cas de divorce, mais aussi la reconnaissance par la société de la dignité des mères, mariées ou non.
Olympe de Gouge a été ainsi l’une des premières à invoquer cette notion de dignité de l’être humain. Elle souhaitait enfin que tous les enfants légitimes ou non, aient un droit sur les biens, hérités du père. Il faudra attendre là encore 1975 pour que ce souhait s’inscrive dans la loi française. Toutes ces audaces, dans une époque qui se voulait si vertueuse quant aux mœurs, allaient lui attirer beaucoup d’ennemis, elle qui se permettait en outre de donner son avis sur l’esclavage. Là encore elle se montrait la pionnière d’un féminisme qui allait, aux États-Unis, joindre les deux combats. Dans le préambule de cette déclaration, l’auteur fait preuve d’une tranquille arrogance : « Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question. Tu ne lui ôteras pas du moins ce droit » ; « Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent à être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les causes des malheurs publics, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme ».
Cette déclaration se compose de 17 articles qui abordent tous les sujets et est dédiée à la reine Marie-Antoinette, pour souligner le fait que toutes les femmes sont solidaires et ont des intérêts communs, dont le principal est « l’exercice de leurs droits naturels, qui n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme leur oppose ». Le début du postambule commence par ces mots : « Femme, réveille-toi, le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers. Reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges (...). Opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de la supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ». Cette égalité fondamentale doit bien sûr se retrouver en cas de délit, face à la loi, de même qu’elle implique la participation des femmes aux dépenses publiques, corvées et tâches pénibles.
Le texte fut publié dans l’indifférence générale. Les hommes l’ignorèrent, les femmes préférèrent garder un silence prudent. Militer aux côtés des révolutionnaires et dans leur ombre paraissait aux plus audacieuses le maximum de ce qu’elles pouvaient faire. C’est seulement en 1792 que l’Assemblée législative, dans une de ses dernières séances, devait accorder l’égalité des droits civils aux femmes et légaliser le divorce. Certaines femmes osèrent dénoncer l’oppression, mais aucune n’osa parler d’égalité. Olympe déplora l’absence de prise de consciences de ses congénères : « Les femmes veulent être femmes et n’ont pas de plus grands ennemis qu’elles-mêmes. Rarement on voit les femmes applaudir à une belle action, à l’ouvrage d’une femme. Peu sont hommes par la façon de penser, mais il y en a quelques-unes et malheureusement le plus grand nombre des autres se joint au parti le plus fort… Il faudrait donc, mes très chères sœurs, être plus indulgentes entre nous pour nos défauts, nous les cacher mutuellement et tâcher de devenir plus conséquente en faveur de notre sexe ». Elle aura la clairvoyance de lier la prospérité et le progrès d’une nation au développement des femmes et à leur degré de participation à la vie sociale et culturelle. Il est trop tôt pour que les femmes apprennent à se regrouper et puissent mener des luttes spécifiques. La plupart d’entre elles durent renoncer à une action militante, sauf dans quelques clubs, éphémères auxquels Olympe participera peu. La Convention dès octobre 1793, interdira tout rassemblement féminin. N’ayant aucun espoir de jouer un rôle officiel, Olympe voulait au moins participer aux manifestations publiques, ne serait-ce que pour « habituer le peuple au spectacle de citoyennes actives ». Olympe, femme citoyenne va donc s’engager de plus en plus dans le combat politique et intervenir directement dans le domaine dit masculin par des écrits philosophique sur le pouvoir.
Olympe dérangeait comme écrivaine, mais ce statut était encore acceptable chez une femme, elle dérangeait comme citoyenne, mais restait, avec sa déclaration, dans une place de femme. En revanche avec ses écrits philosophiques et ses prises de position politiques elle transgresse de plus en plus les frontières de l’acceptable pour son époque.
Femme politique
Philosophe, elle s’interroge sur la nature du pouvoir, sur la structure d’une nation, sur la souveraineté des citoyens. Elle fit paraître Le Prince philosophe, un épais roman, politico-philosophique, qui comportait outre de longues digressions morales, des aperçus d’un modernisme étonnant sur l’égalité des sexes. Elle plaide pour un dialogue des sexes, condition de toute véritable morale, de tout art de vivre, de toute société. Elle croyait « au partage indifférent des qualités qu’on est convenu d’exiger des deux sexes ». Elle vit pleinement sa condition de femme et n’oublie pas que les deux sexes sont les deux pôles de l‘humanité. Elle a œuvré pour que le mot « droit » ait pour sens « l’homme » dans son acception universelle. La société est faite pour les individus et non l’inverse. Olympe de Gouges dans ses textes centraux, se montre penseure du politique, plutôt que femme politique. La perspective féministe n’est pas un but en soi, le but c’est l’humanité, une morale qui implique un combat de tous les instants, dans tous les domaines.
Le 6 novembre 1788, elle publie sa première brochure politique : La lettre au peuple ou projet d’une caisse patriotique. Les années 1788 et 1789 voient fleurir les utopies et les gestes symboliques qui enflamment les patriotes, telle la cérémonie fameuse où de nombreuses femmes vinrent remettre leurs bijoux à l’Assemblée nationale. Olympe à cette occasion enverra aux députés le quart de son revenu, pour ne pas sembler ne faire que des vœux pieux pour le bonheur de la France. Quelques mois plus tard, elle complète sa Lettre par des Remarques Patriotiques qui fourmillent de propositions d’avant-garde . C’est ainsi qu’elle fut la première à parler d’assistance sociale, d’établissements d’accueils pour les vieillards, de refuges pour les enfants d’ouvriers, d’ateliers publics pour ceux qu’on n’appelaient pas encore les chômeurs. Elle propose également la création de tribunaux populaires appelés à juger en matière criminelle. Enfin elle évoque aussi, souci, très rare à l’époque, l’assainissement dans les hôpitaux et l’hygiène déplorable des maternités. Toujours soucieuse d’efficacité, elle est plus active que spéculative. Pour financer ce vaste programme social, elle lance l’idée d’un impôt sur le luxe. Gouges publiera ou fera afficher plus de 12 brochures : elle y évoque la propreté des rues, la surveillance des viandes dans les villes, le célibat des prêtres (qu’elle déplore) ou le statut des enfants abandonnés et des bâtards. Elle plaide également en faveur du divorce.
Olympe de Gouges était contre la peine de mort, et n’a pas hésité à braver l’opinion et a envoyé à l’assemblée un manifeste « en faveur du monstre couronné » où elle s’est proposée comme avocate du roi déchu, en prétendant distinguer l’homme et la fonction. « Je crois Louis fautif comme roi ; mais dépouillé de ce titre proscrit, il cesse d’être coupable aux yeux de la République. Il fut faible, il fut trompé, il nous a trompé, il s’est trompé lui-même. En deux mots voilà son procès… Il ne suffit pas de faire tomber la tête d’un roi pour le tuer, il vit encore longtemps après sa mort. Mais il est mort véritablement quand il survit à sa chute ».
Non violente, elle avait déjà mis en garde ses concitoyens contre les excès de la répression. Cette modération, ce refus de la peine de mort vont d’ailleurs être retenus contre elle lors de son procès et contribueront à la faire condamner. Elle était sensible, réactive, épidermique parfois, elle manquait souvent de distance dans les sujets d’actualité qu’elle abordait. C’est ce que lui reprochait gentiment Mirabeau qui l’estimait : « Si cette femme n’avait pas des fusées dans la tête, elle nous dirait parfois d’excellentes choses ».
Elle avait pris position quelques mois plus tôt contre Robespierre et Marat, artisan de la Terreur, dans une affiche placardée dans tout Paris et signée Polyme, anagramme d’Olympe. Elle se déclarait en faveur d’un gouvernement fédératif. Dans Le Prince philosophe, elle se demande quelles sont les conditions pour que la société fonctionne bien. Pour elle, ce n’est point l’hérédité qui justifie le pouvoir, mais l’éducation, les qualités morales, l’écoute et l’accueil réservé aux moindres des administrés. Seul est digne du pouvoir, un homme prêt à y renoncer à tout instant. Le vrai prince se veut une parcelle de son peuple. La sagesse populaire se révèle seule capable de résoudre les plus difficiles problèmes de l’État. Olympe de Gouges montre là un sens inné de la démocratie, la nation réside dans les citoyens, non dans la personne qui occupe le trône. Il appartient au peuple seul, dans l’universalité du suffrage, de choisir son régime. Elle réclame donc un référendum constitutionnel pour en finir avec les revirements des politiques, face à la guerre civile menaçante. Dans une publication Les trois urnes , elle demande que chaque département puisse s’exprimer sur le choix du gouvernement. : un gouvernement républicain, un gouvernement fédéral, ou un gouvernement monarchique. Audace inouïe, elle contrevenait aux décrets du pouvoir qui avait interdit de mettre en question son propre choix de République. Elle ne s’opposait pas à la République bien au contraire, elle souhaitait que le peuple choisisse ce régime . En exigeant ce référendum populaire sur le régime politique qui serait celui de la France, elle posait le problème plus radical, celui de l’origine du pouvoir lui-même, de la souveraineté citoyenne.
Olympe de Gouges fut arrêtée en juillet 1793, mise au secret sur ordre du Comité de Salut public. Le crime inexpiable qui justifia sa mort, était de « politiquer ». On lui reprocha son omniprésence sur le terrain de la vie publique, dont les femmes étaient ordinairement et impérativement exclues. Ses écrits témoignent encore aujourd'hui en faveur d’une femme qui a pressenti ou défendu toutes les causes généreuses de son époque, avec un regard spontané, étranger aux règles et aux stéréotypes.