Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Le 14 janvier 1882, Maria Deraismes prononçait un discours à la loge symbolique écossaise mixte« Les Libres penseurs » du Pecq. Elle s’interrogeait en ces termes : « Comment la Franc-maçonnerie, antagoniste du clergé, haïe par lui, n’a-t-elle pas compris que l’introduction de la femme dans son ordre était le moyen le plus sûr de le réduire et de le vaincre. Elle avait à sa disposition l’instrument de la victoire, elle l’a laissé inerte dans ses mains. L’admission de l’élément féminin était pour la Franc-maçonnerie un principe de rajeunissement et de longévité ». Depuis, les loges et obédiences sont agitées épisodiquement par des débats sur la mixité à établir, à renforcer ou à ne surtout pas encourager.
La « séparation des sphères » élaborée depuis le XVIIIème siècle est à l’origine de cette non-mixité. Comme l’explique Maria Deraismes, « l’homme représente le cerveau, la femme le cœur. Facultés : la pensée pour le premier, le sentiment pour la seconde. Fonctions : gouvernement, suprématie d’une part, dévouement et maternité de l’autre ». Cette « séparation » connut son âge d’or au XIXème siècle (SÉNAC Réjane, Les Non-frères au pays de l’égalité, Presses de Sciences-Po, 2017), mais qu’en est-il aujourd’hui côté non-mixité alors que beaucoup d’auteurs, depuis Jean-Paul Kaufman (La Trame conjugale, analyse du couple par son linge, Armand Colin, 1992) jusqu’à Patrick Savidan (Voulons-nous vraiment l’égalité ?, Albin Michel, 2015), constatent que l’égalité entre femmes et hommes est une valeur largement partagée dans la société ? Il ne sera pas question ici de passer en revue les arguments maçonniques des uns et des autres, mais plutôt d’examiner –de façon subjective- ce que l’on peut encore entendre, dans la société, comme arguments en faveur de la non-mixité.
Féministes : la non-mixité au nom de la résistance à l’oppression
L’originalité la plus radicale du Mouvement de libération des femmes (MLF) dans les années 1960-1970, c’est-à-dire avant que le MLF acquière un statut juridique en 1979 à l’initiative d’Antoinette Fouque, est sa non-mixité. C’est à ce moment que s’invente le terme de « sororité », équivalent féminin de la « fraternité ».
Cette non-mixité a certes pu être revendiquée par les féministes qui défendent l’existence d’une « identité » féminine spécifique, par celles qui n’hésitent pas, encore de nos jours, à mettre en avant des « qualités » féminines pour faire avancer l’égalité des droits. Elle a aussi cristallisé les fantasmes misogynes. Les féministes différentialistes furent accusées de pratiquer un racisme à l’envers, d’être sexistes envers les hommes, d’être homosexuelles. Enfin la non-mixité fut aussi critiquée parce qu’elle allait à l’encontre de la vision républicaine et universaliste de l’émancipation, vision hostile à tout « séparatisme ».
Aujourd’hui cette non-mixité féministe trouve encore deux terrains d’expression. Le premier est la non-mixité, non par volonté « séparatiste », mais simplement pour se renforcer face à la violence des dominants. Cette non-mixité est, dans l’idéal, provisoire, sauf à renoncer à être comprise en dehors de son groupe. Mais elle se justifie pour exister avec ses propres termes, dans sa propre expression.
Le second terrain relève des prises de parole. Lorsque le 24 janvier 2017, suite à une campagne féministe, Roman Polanski renonce à présider la 42e cérémonie des César, Éric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express, réplique par une tribune : « Féministes contre Polanski, vous vous trompez de combat » (19 janvier 2017). Camille Zimmermann, doctorante de l’université de Lorraine, rétorque en revendiquant un espace féminin sur le sujet de la violence faite aux femmes : « Les partisans masculins du féminisme sont bienvenus, à la condition de toujours garder en tête qu’aussi empathiques qu’ils soient, la misogynie et les violences faites aux femmes est quelque chose dont ils ne pourront jamais parler aussi justement que les principales concernées, pour la simple raison qu’ils n’en font pas l’expérience. C’est ce qu’on a coutume d’appeler le biais sexué. Aucun homme n’a de légitimité pour dire qu’un sujet est à délaisser ou adopter par les féministes, ni quels sont les vrais et les faux combats à mener. Aucun homme n’a de légitimité pour expliquer aux féministes… ce qu’est le féminisme » (« Polanski aux César : corporatisme contre combats féministes », theconversation.com, 30 janvier 2017). Bref, le féminisme est volontiers mixte tant que les hommes ne se posent ni en guides, ni en sauveurs des femmes.
À suivre