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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Ce qu’il reste des arguments en faveur de la non-mixité (2/3)

Julien Vercel

 

Les religions sont les terrains privilégiés d’expression de la non-mixité, s’appuyant le plus souvent sur des sociétés elles-mêmes peu mixtes ou ne reconnaissant pas l’égalité entre les femmes et les hommes. Les chrétiens d’Occident se retrouvent, eux, dans des sociétés ouvertement mixtes, même si elles demeurent inégalitaires dans les faits. C’est pourquoi cla religion chrétienne  a dû lentement, mais sûrement, composer avec l’environnement le plus contraire à sa culture non-mixte et est traversée, aujourd’hui, par des courants très opposés.

Scouts : la non-mixité au nom des « spécificités » de chaque sexe

La « Girl Guide Association » regroupe, à partir de 1910, les filles intéressées par le mouvement du scoutisme et Robert Baden-Powell en confie la direction à sa sœur Agnès. Le « Guidisme » se développe alors dans plusieurs pays et intègre des éléments de « spécificité » féminine, notamment un programme d’éducation domestique. Malgré ces relents qui visent à cantonner ses mambres dans des taches bien « spécifiques », le Guidisme est saisi par les jeunes filles comme un moyen d’avoir accès aux activités de plein air et de faire l’expérience de l’encadrement et de l’animation, bref d’acquérir une certaine autonomie qu’elles réinvestissent ensuite dans leur vie de femme.

Dans l’Hexagone, de multiples tentatives ont lieu pour adapter le fonctionnement des Scouts de France (SF) à la mixité de la société. En 1964, lors des journées nationales à la Pentecôte, la réforme « Pionniers-Rangers » est adoptée, mais elle est appliquée de façon trop radicale et provoque une scission avec la création des Scouts unitaires de France (SUF) en 1971. Le projet commun « Scouts et Guides » élaboré à La Trivalle en 1973 est dénoncé comme un relent de mai 1968. Il faut donc attendre 2004 et l’adoption des « orientations 2004-2007 », à Lourdes, pour voir poser les bases du rapprochement au sein d’un mouvement unique Scouts et Guides de France (SGF).

Mais, à y regarder de plus près, il ne s’agit pas d’une acceptation de la mixité, mais seulement d’un accompagnement de la mixité qui est devenue la règle dans toute la société. En effet, d’abord parce que ce rapprochement se justifie par la baisse des effectifs, encore accentuée depuis l’affaire de Perros-Guirrec (quatre jeunes scouts ont péri noyés en mer, ainsi qu’un plaisancier venu leur porter secours, en juillet 1998 lors d’une sortie « organisée » par l’abbé Jean-Yves Cottard). Du côté féminin, les Guides, créées en 1923, étaient concurrencées depuis 1982 par les Scouts qui accueillaient des filles. Avec ce rapprochement, il s’agit donc, en premier lieu, de fédérer les effectifs (environ 50 000 Scouts et 12 000 Guides). Ensuite les nouveaux SGF n’adoptent pas la mixité, ils préfèrent ce qu'ils nomment la « co-éducation », cela signifie que si les filles et les garçons font bien partie d’un même groupe, ils demeurent éduqués selon leurs propres « spécificités ».

Notons, au passage, que le cinématographe ne s’est pas embarrassé de ces subtilités et ce depuis bien longtemps. En 1938, dans La Fin du jour (de Julien Duvivier), des Scouts construisent un pont –ô symbole- sur une rivière vers un camp de Guides et le chef Scout et la cheftaine Guide partiront bientôt se fiancer !

Catholiques : la non-mixité au nom de l’essentialisme

Depuis plusieurs années, se développent des camps, des pèlerinages ou des retraites catholiques qui sont uniquement réservées aux hommes : « Au cœur des hommes » depuis 2014 ; « Optimum » et « Pater » depuis 2013…

Dans ces mouvements, l’égalité entre les sexes ne serait pas remise en cause, mais c’est leur supposée similarité et l’uniformité des rôles qui sont contestées. Les hommes sont donc sensés redécouvrir leur « essence » faite de violence et de force, toujours maîtrisées -cela va de soi- et tournées vers le bonheur des familles. N’empêche, ces courants renouent avec un essentialisme masculin, arguant que les hommes n’ont plus le temps de construire leur masculinité puisqu’ils « passent des bras de leur maman à ceux d’une jeune fille ». Cette dynamique a été encouragée par les mobilisations contre le « Mariage pour tous », autorisant l’union homosexuelle, en 2012 et en 2013 (Braufman Nathalie et Chambraud Cécile, « Des Catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité », Le Monde, 27 décembre 2016). L’objectif est donc de confirmer le père et la mère au centre de la famille hétérosexuel chrétienne avec un objectif forcément procréatif. Chacun sa place, chacun son rôle, bleu pour les gars et rose pour les filles.

Intégristes : la non-mixité au nom de l’inégalité entre femmes et hommes

Raymond Leo Burke, ex archevêque de Saint-Louis, est particulièrement clair et direct sur le sujet : « Avoir permis aux filles de devenir des enfants de chœur, c’est une des raisons de la baisse des vocations chez les hommes. L’Église s’est trop féminisée, cela décourage les hommes, qui répondent à la rigueur, à la précision et à l’excellence » (cité par  Olivier Perrin, « Alors comme ça, les Églises ne seraient plus assez viriles ? », Le Temps, 9 janvier 2015). Les protestants avancent les mêmes arguments : avec la trop grande présence des femmes (ici en tant que pasteures), les cultes seraient devenus mous et inintéressants pour les hommes (Pomey Raphaël, « Ils dénoncent une ‘Église de nanas’ », Le Matin, 7 janvier 2015). Pour résumer : la présence des femmes dévaloriserait les offices.

Cette pensée inégalitaire se construit sur deux fondements : le naturalisme et le différentialisme qui placent masculin et féminin en positions asymétriques (Favier Anthony, « Malaise du masculin en contexte catholique », Lumière et Vie, n°288, octobre-décembre 2010). C’est ainsi qu’un homme, selon l’Église, a vocation soit à se marier avec une femme pour fonder une famille, soit à dépasser sa nature en étant continent pour embrasser la carrière religieuse, sacerdotale ou monacale. Il n’en est pas de même pour les femmes : d’abord, elles n’ont pas accès au sacerdoce, ensuite leur vie monacale est assimilée à un « mariage » avec le Christ, c’est-à-dire à l’accomplissement de ce qui serait leur « nature féminine » : la soumission et l’obéissance à un homme. Au monastère, c’est dans la virginité et dans la famille, c’est pour procréer.

Anthony Favier analyse toutefois avec justesse que la « castration symbolique » du clergé catholique masculin a des contreparties en termes de pouvoir et d’autorité au sein de l’Église, mais pas pour les femmes qui adoptent la vie religieuse. Les fonctions « domestiques » habituellement dévolues aux femmes deviennent « sacramentelles » quand elles sont exercées par ces hommes : donner la vie, réconcilier et nourrir pour les femmes deviennent ainsi baptême, confession et eucharistie pour le clergé masculin.

Les récents progrès de la présence féminine (enfants de chœur, accès des laïcs à des responsabilités, ouverture des universités catholiques…) accompagnés par la menace démographique qui plane sur le clergé catholique, réactivent, chez certains, l’idée qu’une fonction est forcément dévalorisée quand c’est une femme qui l’exerce. Mais la résurgence de ces naturalisme, différentialisme et essentialisme ne se traduit pas par un renouveau religieux : le décrochage des hommes continue, la crise des vocations ne faiblit pas… et ce sont les femmes qui demeurent « toujours plus pratiquantes ! » (Langlois Claude, « ‘Toujours plus pratiquantes’. La permanence du dimorphisme sexuel dans le catholicisme français contemporain », Clio, Histoire, femmes et sociétés, n°2, 1995), même si cette spécificité a tendance à se réduire.

À suivre

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