Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Le dernier courant à prôner la non-mixité est formé par la mouvance « masculiniste », c’est-à-dire par tous ceux qui défendent des revendications formulées par des hommes pour des hommes. Ils rejoignent parfois les sphères catholique et intégriste précédemment évoquées, mais préfèrent adopter un discours laïc, voire social quand ils se plaignent d’une justice qui serait toujours favorable aux mères.
Masculinistes : la non-mixité au nom de la sauvegarde des derniers privilèges
Les évolutions de la société placent les hommes face à de nouveaux et nouvelles partenaires qu’ils n’ont pas choisis. Ces hommes ont du mal à comprendre qu’ils ont perdu leur statut de norme implicite de la société et qu’ils ne sont plus forcément la référence universelle. Leur souffrance qui est réelle, envahit leur esprit pour aboutir à une vision déformée et souvent misogyne de la réalité. Ils oublient que c’est une femme qui meurt tous les 3 jours dans l’Hexagone sous les coups de son conjoint ou de son compagnon ; que 14,5% des femmes ont été victimes d’une forme de violence sexuelle contre 3,9% des hommes ; que 94% des auteurs de violences sexuelles sur des femmes sont des hommes et que 74% des violences sexuelles sur des hommes… sont aussi des hommes (Institut national d'études démographiques, enquête « Violences et rapports de genre » dite « Virage », 2015).
Mais de ces réalités, les masculinistes n’en ont cure. Seules leurs souffrances sont dignes d’intérêt. Et comme ils refusent de voir que le système économique inégalitaire et insuffisamment redistributif est la principale cause de leur malheur, ils accusent les femmes et leurs revendications égalitaires qui seraient parvenues à devenir dominatrices, avec le soutien de la « bien-pensance », de leur « discours victimaire » et du « politiquement correct ». Donald Trump aux États-Unis a su entendre ces hommes, mais au lieu de leur expliquer d’où venaient leurs souffrances et de les en émanciper, il les a encouragé à se retourner contre les femmes. D’où l’importance, pour tous les masculinistes, de se retrouver entre eux. Mais que penser d’un groupe social dominant qui décide de se réunir entre ses seuls membres ? Il est à craindre que ces réunions non-mixtes ne servent qu’à fourbir des arguments antiféministes, à rétablir le confort psychologique de ces hommes « troublés » par la présence des femmes et à développer une solidarité de dominants (Collectif Stop-Masculinisme, Contre le masculinisme. Petit guide d’auto-défense intellectuelle, éditions Bambule, 2014).
***
Comme je l’ai annoncé d'entrée, ce petit tour est subjectif. J’ai volontiers laissé de côté plusieurs arguments en faveur de la non-mixité, notamment ceux qui, selon moi, datent du XIXe siècle. Par exemple quand la non-mixité permettait d’échapper -enfin- à « bobonne » pour comploter, entre maris, d’autres stratégies d’évitement du carcan conjugal bourgeois. Parce que les couples d’aujourd’hui savent ménager des espaces à soi, que le modèle fusionnel et dépendant n’est plus aussi valorisé qu’avant. Ou, par exemple, quand la non-mixité se justifiait par le fait que la seule présence de femmes dans une assistance d’hommes était sensée réveiller leur libido au point de les empêcher de penser. Parce qu’il n’y a que des hommes du XIXe siècle pour croire que la pensée est plus « désincarnée » lorsqu’elle naît entre hommes. La pensée dépend toujours en partie du lieu et des circonstances dans laquelle elle s’énonce et il n’y a pas besoin de femmes pour que les hommes mettent en œuvre des stratégies de prestige, de séduction ou de domination.
Maria Deraismes avertissait déjà en son temps que, quand est mise à l’écart une moitié de l’humanité, « la société est en déficit » (Ève dans l’humanité, Librairie générale de L.Sauvaitre, 1891).