Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Quelle musique en loge ? La colonne d’harmonie par Magali Aimé
Si certains titulaires, fussent-ils occasionnels, de la colonne d’harmonie sont à cours d’idées pour structurer émotionnellement les réunions maçonniques, c’est à désespérer. En effet, déjà, le blog hiram.be propose régulièrement des musiques et voici que paraît un petit livre propre à sécuriser ceux qui auraient encore des angoisses. « Quelle partition en loge ? », « Quelle musique choisir ? », « Quelle complicité entre les mots et les sons ? », « Quelles sont les interrogations les plus fréquentes ? », « Sur quelles notes ? ». Pour 9€50, dans la petite collection de chez Dervy « qui pose des questions » dirigée par Jacques Carletto, Magali Aimé, qui n’en est pas à son coup d’essai, propose un nouveau vade me cum qui fonctionne également comme rappel des notions élémentaires de solfège.
À ce propos, pour les amateurs d’analogies basiques, sachez que les douze demis-tons de la gamme réfèrent aux douze signes du zodiaque et aux douze mois de l’année pour nous annoncer « une sorte de vaste symphonie céleste ». Sauf que nos hautes connaissances nous disent que la douzième carte du tarot est celle du pendu, enfin bref, ne faisons pas l’âne pour avoir du son et n’allons pas annoncer que les maîtres ne doivent pas chanter.
Officiers, comment choisir son collège ? par Claude Gilbert
Comme nous étions, quand nous avons reçu ce petit livre, en période de rentrée scolaire, nous avons cru qu’il s’agissait d’un vade-mecum pour militaires ne sachant pas où caser leur progéniture. En fait, il s’agit de maçonnerie, et d’une variante où il semble que le vénérable désigne ses officiers. Tous les postes bien connus des maçons sont passés en revue, jusqu’au responsable de la musique et le webmestre.
La collection « les outils maçonniques du XXIème siècle » parue chez Dervy offre régulièrement de pareils digests destinées à celles et ceux qui seraient un peu perdus. À celles aussi ? Pas certain, car tout est, dans cet ouvrage, d’une part orienté Rite écossais ancien et accepté (REAA) et d’autre part très masculin, un peu esprit petites et moyennes entreprises si l’on voulait être méchante langue, ce qui serait très vilain, car il n’y a rien à redire dans cette centaine de pages, pleines de bon sens et de quelques pointes d’humour. Un exemple, à propos de l’hospitalier :
« La très élégante et paradoxale théorie du contre-emploi incite à choisir celui d’entre les frères le moins tourné vers les autres, du moins en apparence. Il convient de lui rendre cet immense service. On ne doit jamais ‘boucher un trou’ avec un frère à qui on ne confierait pas d’autre office, car fraternité bien ordonnée commence par éviter de juger. De même, il ne faut pas choisir un jeune frère, très actif dans sa vie professionnelle, car l’office d’Hospitalier peut lui prendre pas mal de son temps. Un retraité sera plus disponible et, sans doute, plus attentif aux autres ».
La Bible en franc-maçonnerie. À quoi ça sert? par Mathieu Métayer
Malgré son titre interrogatif et bien que paru dans « la collection qui pose des questions » (Dervy), Mathieu Métayer ne fait qu’apporter des réponses avec une volonté de lier indissociablement la foi et la franc-maçonnerie. Le projet est clairement énoncé puisque l’auteur se dit « franc-maçon chrétien » (p.109) et revendique un lien entre ses deux appartenances (Franc-maçon parce que chrétien, Dervy, 2012).
L’approche spiritualiste est donc la limite de ce travail quand le lecteur ne l’est pas -spiritualiste. De la triple fonction de la Bible énoncée en conclusion (p.113) : marqueur de la régularité ; livre sur lequel se prêtent les serments ; infini puits de symboles, seule la troisième concerne ainsi tous les maçons. Car plusieurs postulats mériteraient d’être discutés : « si l’homme est la seule mesure de lui-même, il ne se dépasse pas » (p.13) ; les références à René Guénon (p. 54) ; la Bible, à la différence des Constitutions d’Anderson, n’aurait pas évolué d’une rédaction à l’autre (p.13) et exposerait « les principes de moralité qui constituent les fondations sur lesquels doit être construite une vie de droiture » (p.14). Pour prouver que la Bible ne contient pas de contradictions, l’auteur se penche sur la question essentielle de la contenance de la piscine du Temple de Jérusalem, visiblement sujette à discussion savante (p. 60-61) et affirme que « les supposées contradictions pointées par certains attestent une seule chose : que la Bible n’a pas été falsifiée ! » (p.67).
Est-ce aussi simple ? Il me revient alors à la mémoire la tirade du président américain (et catholique) Josiah Bartlet (Martin Sheen) dans la série À la Maison-Blanche (The West Wing d’Aaron Sorkin, 1999-2006, saison 2, épisode 3) qui interroge des religieux refusant tout statut historique à la Bible : « J'aimerais vous poser quelques questions. J'aimerais vendre ma fille en esclavage. J'y suis autorisé dans le chapitre 21, verset 7 de l'Exode. Elle est en 2ème année de fac, parle l'italien et débarrasse la table quand c'est son tour. D'après vous, combien je pourrais en demander ? Et pendant qu'on y est, puis-je vous poser une autre question? Mon secrétaire général, Léo McGarry, insiste pour travailler pendant le Sabbat. Dans l'Exode, chapitre 35, verset 2, il est dit qu'il doit être mis à mort. Suis-je obligé de le tuer moi-même ou puis-je le livrer à la police ? Encore une question. Parce qu'il y a beaucoup de mordus de sport ici. Toucher la peau d'un porc mort rend impur. Chapitre 11, verset 7 du Lévitique. S'ils promettent de porter des gants les Redskins peuvent-ils continuer à jouer au football ? Et l'équipe de Notre Dame, et de West Point ? Toute la ville doit-elle d'un commun accord lapider mon frère John pour avoir planté différentes semences dans le même champ ? Dois-je brûler ma mère lors d'une réunion de famille, car elle a osé porter des vêtements faits de deux espèces de tissu ? Réfléchissez bien à ces questions ».
L’approche de la Bible par la maçonnerie qualifiée de « libérale, adogmatique, sociétale » est traitée en quelques lignes avec de nombreuses références à Voltaire (p.19-20) dont les lecteurs de ce blog et de notre revue Critica Masonica savent combien son « exemplarité » est sujette à caution. Et puis non, décidément, pour la maçonnerie « libérale, adogmatique, sociétale », la Bible ne renvoie pas « l’incroyant à des abysses de perplexité » (p.44). Elle est, au contraire, source d’études symboliques et historiques, elle permet d’éclairer les origines de certains de nos rites, de notre filiation avec ces temps où la transcendance gouvernait le monde et les esprits.
L’auteur affirmait pourtant avec raison que « la maçonnerie puise sa symbolique dans la Bible » (p.14), mais il faut attendre la page 69 (sur 120) avec le chapitre intitulé « Les emprunts de la franc-maçonnerie à la Bible » pour avoir un premier recensement instructif de ces dettes. C’est sur cette approche là que nous tomberons d’accord avec Mathieu Métayer (p.86 et 89) : les maçons doivent lire -ou au moins connaître- la Bible comme une des bases de notre culture.