Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
« Modèles économiques, usages et pluralisme de l’information en ligne », à propos de la revue « Réseaux »
Un titre à rallonge, certes, mais des textes de qualité autour d’un débat sur le pluralisme de l’information considéré à juste titre comme fournissant la garantie d’un bon fonctionnement de la démocratie. L’objectif de ce numéro 205 de Réseaux (La Découverte, octobre 2017) est ainsi défini par les deux responsables de cette livraison, Inna Lyubareva et Fabrice Rochelandet :
« Le développement du ‘journalisme citoyen’ en ligne, la multiplication d’outils, de services, d’usages numériques, se greffant notamment sur des plateformes contributives et participatives (autopublication, médias sociaux, crowdfunding…), offrent de nouvelles possibilités de recueillir, de produire, d’enrichir, de financer, de diffuser et d’accéder à des informations diversifiées. Ces facteurs ont facilité l’arrivée de nouveaux entrants et la multiplication des modèles d’affaires numériques Ils favorisent également de nouvelles pratiques informationnelles liées à la facilité d’accès, de partage et de publication en ligne d’informations grâce aux réseaux sociaux numériques. Toutefois, ce pluralisme des contenus et des sources n’est pas synonyme en soi de qualité de l’information.
Le présent numéro de Réseaux vise précisément à analyser les relations entre, d’une part, les modèles économiques de production et de consommation de l’information en ligne et, d’autre part, le pluralisme et la qualité de l’information dans un contexte d’intenses débats, notamment en raison de la place et du pouvoir exorbitants des plateformes numériques ».
Pour ouvrir le numéro, Christophe Cariou, Inna Lyubareva et Fabrice Rochelandet proposent une étude exploratoire analysant l’impact du financement participatif en ligne –le crowdfunding– sur la qualité des projets journalistiques financés par ce biais. Cette étude s’attache particulièrement à repérer dans quelle mesure ce modèle original, à travers les dynamiques participatives initiées lors des campagnes de crowdfunding, aura pu influencer la qualité des actualités produites par les titres de presse ainsi financés. Il analyse un échantillon de 40 projets portés sur les deux principales plateformes en France, à savoir Ulule et KissKissBankBank et à partir d’une approche inédite, multidimensionnelle, de la qualité de l’information.
La contribution de Nikos Smyrnaios et Emmanuel Marty s’intéresse au processus lié à l’organisation de modération des espaces des commentaires de lecteurs sur les sites d’information français. Les auteurs montrent comment le paradigme de la culture participative de l’Internet dominée par les initiatives d’interaction ambitieuses en ligne, sous l’impact des contraintes économiques et des tensions géopolitiques croissantes, laisse la place au filtrage et au contrôle de l’expression publique. Ce fonctionnement influe ainsi directement sur le pluralisme des opinions et sur les types d’expression présents dans l’espace public numérique.
Dans leur article, Dario Compagno, Arnaud Mercier, Julien Mésangeau et Kamel Chelghoum analysent la manière dont la diversité des thèmes abordés par les médias d’information est modifiée par la sélection des actualités opérée par les usagers de Twitter. Ils mettent ainsi en évidence, à partir d’un corpus de 27 sites d’information en France, un processus de rééquilibrage entre l’offre d’information médiatique et la circulation de l’information qui se pratique sur les réseaux sociaux numériques par le biais d’une « consommation active » des utilisateurs. En prenant l’exemple de Twitter, cet article met en lumière le fait que l’information passée au filtre de ce réseau social perd son équilibre originaire pour se concentrer sur un nombre limité de médias centraux dans le réseau.
Quant à Alexandre Joux, il se focalise sur les logiques de production de l’information en ligne. Basée sur l’exemple du Groupe Figaro, cette étude monographique montre l’évolution des choix stratégiques du Groupe ces dix dernières années au regard de la qualité et du pluralisme de l’information. L’auteur illustre notamment comment dans le contexte numérique marqué par une baisse importante des recettes issues du papier, la presse quotidienne d’information générale et politique construit sa stratégie pour explorer de nouveaux marchés, générer de nouvelles ressources, mais aussi défendre l’identité journalistique de sa rédaction.
Pour clore le dossier, Sylvain Malcorps analyse le processus par lequel les métriques d’audience se sont imposées dans le monde de la presse en ligne belge francophone. À partir d’une enquête réalisée par entretiens, l’auteur montre le rôle structurant des web metrics qui rendent compte de certaines dimensions du comportement des internautes sur les plateformes en ligne et qui sont devenus l’objet stratégique dans le secteur de la presse. Cette étude, qui s’appuie sur une monographie fouillée de l’entreprise médiatique belge Mediafin, permet de mieux comprendre comment les chiffres d’audience des sites d’information influencent les routines quotidiennes des journalistes et, par conséquent, l’offre de contenus en ligne.
En rubrique Varia, la célèbre revue noire propose d’abord un article historique de Benoît Lelong qui étudie la vision de l’électron des ingénieurs d’État positivistes à la fin du XIXe siècle. Contrairement aux universitaires avant-gardistes qui voyaient dans l’électron un élément de rupture fondamental dans la physique, les ingénieurs cherchèrent à intégrer l’électron dans leurs perspectives électrotechniques.
Marie Benedetto-Meyer présente pour sa part une étude de cas sur un nouveau dispositif collaboratif ouvert, trop ouvert. Cette trop grande ouverture a eu en effet pour conséquence une faible utilisation de l’outil expérimenté dans un centre de recherche-développement.
Elsevier Masson propose l’abonnement annuel à la revue Réseaux à 160 euros pour 5 numéros dont 1 double. Le n° 206 "Décoder les programmes" vient de paraître, nous en parlerons plus tard...
Explorations numériques. Hommages aux travaux de Nicolas Auray
Nicolas Auray (1969-2015), disparu fort prématurément il y a peu, était considéré comme l’un des principaux penseurs francophones de la société numérique. Un hommage (Presses universitaires des Mines, 2017) lui est rendu dans un ouvrage collectif qui vient de paraître et qui regroupe, sous la plume de ses anciens collègues et amis, les principaux thèmes qu’il aura abordés dans sa brève et intense carrière académique, en alliant « créativité, érudition et puissance théorique ». La fine fleur de la recherche spécialisée s’est mise à la tâche sous la coordination de Dominique Pasquier, sociologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
La plupart des chercheuses et chercheurs qui contribuent à cet ouvrage avaient travaillé avec Nicolas Auray au sein d’un programme PANIC, consacré la mutation des industries culturelles à l’heure numérique. Une certaine sympathie pour le monde du logiciel libre et celui des hackers, sensible chez le sociologue depuis sa thèse sur ce thème permet à ses commentateurs d’interroger finement les espoirs comme les impasses de ces champs d’étude.
Nicolas Auray qui était depuis peu professeur de sociologie à Nice, prônait volontiers une « exploration curieuse ». Post-mortem, il est remarquablement servi. Nous ne donnerons ici que quelques titres : Dominique Pasquier, « Comment construire son compte Facebook en milieu populaire » ; Valérie Beaudouin qui travaille sur les archives du web , « les appropriations sociales de la menace, l’exemple de la Grande Guerre » ; Kevin Mellet, « Économies de l’attention en régime numérique ».
On notera au passage, sans savoir ce que Nicolas Auray en aurait pensé, qu’au générique de cet ouvrage, certaines collaboratrices ont féminisé leur titre (directrice, chercheuse) et d’autres pas (professeur, écrivain). Encore un sujet d’études, mais faiblement numériques.