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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À chacun son 6 février 1934 ! (« Aden, Paul Nizan et les années 30 », n°15)

Julien Vercel

Nouvelle passionnante plongée dans les années 1930 avec le n°15 de la revue Aden consacré à « Février 1934 et les écrivains français ». L’affaire Stavisky, escroc trop lié à des milieux parlementaires inconséquents et dont le suicide est mis en doute, rassemble tous les ennemis du gouvernement : l’Action française (AF), les ligues et le Parti communiste français (PCF). Le 6 février 1934, la foule se dirige vers le Palais Bourbon que les forces de l’ordre protègent. résultat : 20 morts et des centaines de blessés. Surtout, Édouard Daladier, président du Conseil (titre du Premier ministre sous la IIIe République) en fonction depuis le 30 janvier, démissionne, remplacé par Gaston Doumergue.

C’est Olivier Wicky (dans « ‘L’aube du fascisme se lève sur la France’. Regards croisés sur février 1934 ») qui propose la clé de lecture guidant tout le dossier : le 6 février 1934 est « un symbole polysémique, nourri aux mythologies de droite comme de gauche, et où chaque auteur projeta la somme de ses peurs et de ses espérances ».

Une bonne illustration de cette « polysémie » est donnée dans les points de vue sur les émeutiers. Ainsi, pour Pierre Drieu La Rochelle (dans un article « La confusion dans la nuit », Vu, 8 février 1934), il s’agit d’« une foule de jeunes hommes où se mélangent des bourgeois de tout acabit et de jeunes employés et ouvriers », bref d’une foule syncrétique mélangeant les classes sociales. Mais l’écrivain et journaliste Jean Prévost se demande « que faisaient ensemble tous ces gens ? » (« Confusions », Pamphlet, 23 février 1934) et le communiste André Wurmser énumère et identifie les forces de droite en présence et note que des criminels de droit commun sont venus leur prêter main forte (dans son roman Six, Neuf, Douze, Éditeurs français réunis, 1955). Roger Hagnauer témoigne aussi d’« une cohue sans âme, au sein de laquelle des groupes disciplinés et armés menaient leur jeu avec une sûreté inquiétante » (dans son article : « Les fonctionnaires et les instituteurs dans la bataille du 12 février. Notes d’un militant », La Révolution prolétarienne, 25 février 1934). Ce qu’André Chamson reprend à son compte également. Son roman La Galère, d’abord publié en feuilleton de juin à décembre 1938 dans La Nouvelle revue française, est le seul roman contemporain entièrement consacré au 6 février (Gilles Vergnon, « Le 6 février 1934 dans La Galère d’André Chamson :une parabole antifasciste »). Son héros Jean Rabaud, double de l’auteur, décèle dans la foule deux composantes : les « jeunes gens... employés de bureau, chefs de rayon, étudiants » des classes intermédiaires et des « hommes mûrs » à l’accent méditerranéen, des meneurs et des provocateurs. Quant à François Mauriac, il préfère mettre en avant les motivations qui fédéraient la foule : « C’est contre l’argent volé, ou plutôt contre les puissances de l’État mises au service de l’argent volé, que Paris se dressa, le 6 février » et « L’indignation, l’horreur, l’amour de la justice, la passion nationale animent les anciens combattants et la jeunesse de Paris » (dans son article « L’Équivoque », Sept, 10 mars 1934).

Chaque écrivain ou journaliste raconte ainsi l’histoire de sa fenêtre et à sa façon.

Anne Strasser (« Le 6 février dans La Force de l’âge de Simone de Beauvoir : une toile de fond ») explique comment Simone de Beauvoir justifie son indifférence aux événements de 1934 en se reconnaissant d’abord, avec Jean-Paul Sartre, comme : « Deux intellectuels petits-bourgeois invoquant leur œuvre future pour éviter l’engagement politique : telle était notre réalité et nous tenions aussi à ne pas l’oublier ». Mais le roman publié en 1960 et qui couvre la période de 1929 à 1944 raconte, ensuite, le parcours vers un réel engagement.

André Chamson, dans La Galère, n’utilise jamais le mot « fasciste » et garde ainsi une lecture franco-française, voyant dans l’émeute l’affrontement des Blancs contre les Bleus, l’Ordre contre le Mouvement, la République contre ses ennemis, comme s’il s’agissait de rejouer l’affaire Dreyfus (Gilles Vergnon, déj. cit.).

Quant à André Wurmser, dans son roman Six, Neuf, Douze, il passe sous silence les attaques de L’Humanité contre les socialistes (Reynald Lahanque, « Six, Neuf, Douze d’André Wurmser (1955). Février 34, ‘un homme vient au monde’ »). Omission qui n’est pas celle de Pierre-Laurent Darnar dénonçant dans la même diatribe « Attention, le fascisme est dans la rue avec les ligues chauvines et royalistes. Attention, le fascisme s’installe aussi dans le gouvernement ‘démocratique’ », suite aux pleins pouvoirs votés à Gaston Doumergue. Il insiste : « Attention ! Attention ! Fascisme de la rue et fascisme de gouvernement marchent ensemble » et appelle donc à l’« Unité d’action contre la politique du ‘moindre mal’ et de collaboration avec les partis bourgeois » (dans son article : « Encore un pas dans la fascisation du régime ! », L’Humanité, 23 février 1934)

Des articles d’Emmanuel Bluteau, Pauline Michaud et Xavier Nerrière complètent le dossier. Le volume comprend ensuite les traditionnels « Textes et témoignages retrouvés » présentés par Pierre-Frédéric Charpentier ; la partie « Du côté de Paul Nizan » autour de la réception des Chiens de garde et les « Comptes rendus de lectures et de deux expositions » sous la responsabilité de Fabrice Szabo. Les thèmes des prochains numéros sont « De Cayenne au Quai des brumes » ; « Munich, une mystification ? », puis « Allons au-devant de la vie ! La question des loisirs ». Autant de raisons pour soutenir l’excellente revue Aden et continuer ainsi l’exploration érudite des années 1930. L’abonnement est proposé pour 4 ou 5 numéros.

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