Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
L’écologie est entrée dans la vie politique des pays occidentaux il y a un peu plus de quarante ans lorsque quelques écologistes allemands devinrent députés. Les années 1970 ont en effet vu le rassemblement de libertaires post-soixante-huitards, de théoriciens d’un pessimisme culturel, de scientifiques et défenseurs de la nature autour de la question du nucléaire et des premières réflexions sur la croissance. En France, le premier à se lancer dans une campagne électorale fut René Dumont (1904-2001). L’ingénieur agronome qu’il était ne devint écologiste qu’assez tardivement. Jusqu’au début des années 1970, il était avant tout un militant de gauche, proche du Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES) et membre de l’Institut socialiste d’études et de recherches (ISER).
En fait, les références intellectuelles des premiers mouvements écologistes français étaient parfois loin d’être académiques. Ainsi une partie de ces références provient de la contre-culture des années 1960 et 1970, comme le furent le magazine La Gueule ouverte de Pierre Fournier et les bandes dessinées de Reiser (La Vie au grand air) et de Gébé (L’An 01) qui furent pour certains des outils d’instruction politique, en particulier en ce qui concerne les droits des minorités, le féminisme ou l’engagement révolutionnaire. Cette contre-culture est encore très présente dans la culture des adhérents, ou sympathisants, d’Europe-Écologie/Les Verts.
Dès leur apparition, ces premiers mouvements écologistes furent considérés par certains comme la « quatrième gauche ». L’écologie politique est donc, dans un sens, l’héritière en France du « naturalisme subversif » théorisé au début des années 1970 par Serge Moscovici dans La Société contre nature (10/18, 1972). Ce « naturalisme subversif » prônait d’autres modèles sociétaux, alternatifs, comme la vie en communauté, le développement du modèle associatif, le pacifisme, le féminisme, le tiers-mondisme, la pensée libertaire, les nouvelles spiritualités, etc. Proche des socialistes, Moscovici y critiquait le progrès technique qui isole l’homme dans un monde désenchanté mais, en retour, il construisait un système réenchantant le monde. Il y défendait un retour à la nature mais sans remettre en cause l’héritage des Lumières, se référant à André Gorz, Ivan Illich, Murray Bookchin, voire Élisée Reclus, Kropotkine ou Auguste Blanqui.
Ces thèses alternatives/révolutionnaires se retrouveront par la suite chez les Verts. En effet, une partie des membres fondateurs du mouvement écologiste furent influencés par les thèses révolutionnaires des différentes tendances de l’extrême gauche des années 1960 et 1970.
Les mouvements écologistes contemporains sont aussi les héritiers de l’agronome René Dumont, l’une des grandes figures de l’écologie française, qui défendait une sorte de socialisme écologiste anticapitaliste et autogestionnaire. Dans À vous de choisir. La campagne de René Dumont et de ses prolongements. Objectifs de l’écologie politique, son programme politique de 1974, il refusait :
« Le gaspillage des ressources naturelles, l’exploitation du Tiers-Monde et des travailleurs, la concentration du pouvoir aux mais des technocrates, le cancer de l’automobile, la course aux armements, la démographie galopante, la surconsommation des pays riches aux dépens des pays exploités, la folie nucléaire : bombes et centrales ».
En retour, il défendait les points suivants :
« Une limitation de la croissance économique aveugle, une société décentralisée et autogérée, la liberté de la contraception et de l’avortement, la limitation des naissances, une redistribution radicale du temps de travail évitant le chômage, la protection de la nature et de la campagne, les transports en commun, un urbanisme à l’échelle de l’homme, le respect des libertés des minorités culturelles, un moratoire de l’industrie nucléaire, des techniques décentralisées, non polluantes et fondées sur des ressources renouvelables ».
Ces idées consensuelles dans les milieux écologistes de l’époque deviendront le fondement idéologique et doctrinal des différentes formations écologiques ultérieures. De ce fait, les écologistes contemporains sont les enfants, les héritiers ou les anciens militants de la gauche contestataire/révolutionnaire des années 1970. Toutefois, ce discours progressiste au niveau des mœurs, voire révolutionnaire, est consubstantiel d’un refus de l’« idéologie du progrès ». Ainsi, des militants écologistes libertaires, proches de Dumont, parlèrent d’« électro-fascisme » au sujet de la politique nucléaire française : ce fut le cas par exemple d’André Gorz sous le pseudonyme de Michel Bosquet. Tous, à la suite de l’agronome, condamnèrent le « totalitarisme technocratique ».
René Dumont, lors de la campagne de 1974, alla plus loin : il condamna l’hubris, la démesure technologique, tournant ainsi le dos au volontarisme industriel du CERES. Cette démesure serait couplée, selon Dumont, à un pillage systématique des ressources naturelles, en particulier du Tiers-Monde. Le modèle occidental de développement, fondé sur une exploitation intensive et extensive illimitée des ressources, détruirait la planète et pillerait ces pays. Ce phénomène serait aggravé par le risque de surpopulation mondiale qui augmente considérablement les déséquilibres industriels, démographiques et écologiques entre les pays développés et ceux en voie de développement. Ce thème est omniprésent chez Dumont et se retrouvera dans les discours de la frange la plus radicale des écologistes politiques, chez les plus tiers-mondistes et les plus révolutionnaires. Aujourd’hui, il est toujours d’actualité, en particulier chez les décroissants.
Les positions écologiques de l’époque soutenaient l’idée que notre monde est devenu « plein », qu’il souffre d’un certain nombre de maux (sur-urbanisation, explosions démographiques, déforestations, érosions des sols, désertifications, etc), le risque majeur étant un effondrement civilisationnel. Ainsi, en 1974, René Dumont, souhaitait, dans À vous de choisir, concrétiser les points suivants :
« Arrêt dès que possibles de la croissance démographique, partout. Suppression des armes atomiques. Moratoire de l’énergie nucléaire. Ralentissement de l’urbanisation délirante. Cessation du pillage du Tiers-Monde, par revalorisation de toutes ses matières premières, de toutes ses productions. Étude de nouvelles formes de production agricole et industrielle qui ne mettront pas en danger tout l’environnement. Étude des structures socio-économiques et politiques de la société capables de mettre en œuvre un tel programme (auto-organisation, autogestion). En attentant, établissement d’un programme de transition vers la société écologique. Regroupement des forces écologiques en un groupe politique capable d’infléchir les décisions les dangereuses ».
Quarante ans plus tard, ces thématiques sont devenues banales et se sont imposées dans les débats politiques. Elles sont mêmes devenues des points incontournables de la transition énergétique et civilisationnelle mises en œuvres dans les pays européens.
Cependant, nous devons reconnaître que ces peurs des écologistes, notamment chez William Vogt, Fairfield Osborn, René Dumont ou Paul Erhlich, sont très idéologiques et surtout très partisanes. C’est le cas particulièrement de la peur démographique, la fameuse « Bombe P » des années 1970. Tous les auteurs précités amplifient la double révélation de la taille et de la croissance mondiale, bien vite transformées, par le biais du concept mathématique d’exponentielle, en un véritable déluge apocalyptique : Malthus était confirmé, la gigantesque disproportion entre la population et les ressources disponibles aboutissait inéluctablement à la misère, à la famine, à la guerre. En conséquence, certains, tel Paul Erhlich participaient au Zero Population Growth (« zéro croissance de la population ») tandis que d’autres, comme René Dumont souhaitait une méthode « autoritaire » de contrôle de la natalité... Ce dernier l’a d’ailleurs proposé dans L’Utopie ou la mort, publié en 1973. Il y faisait la promotion de la politique chinoise de contrôle de la natalité ainsi que de l’avortement. Cependant, aucun de ces militants n’ont pris en compte la baisse de la natalité des populations occidentales, ni la transition démographique des pays dit émergents.
S’il est aujourd’hui oublié, René Dumont est un pionnier de l’écologie politique. À ce titre, À vous de choisir doit être vu comme le manifeste originel de l’écologie politique : son influence se ressent toujours dans les partis écologistes, en particulier dans les divers avatars des partis verts jusqu’à Europe-Écologie/Les Verts. Nous y retrouvons en effet tous leurs thèmes : le tiers-mondisme, le pacifisme, le féminisme, l’anticapitalisme révolutionnaire, l’égalitarisme, la défense des minorités régionales, le refus du nucléaire, le refus du libéralisme économique, le refus de l’idéologie du progrès, etc. En revanche, les thématiques de défense des immigrés et des minorités sexuelles n’apparaissent pas encore ou du moins pas chez ce candidat. Toutefois, le différentialisme très présent aujourd’hui dans les programmes d’Europe-Écologie/Les Verts n’apparaît qu’en léger filigrane dans ce Manifeste électoral, intitulé « Pour une autre civilisation ».