Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Un pays comme la France, dotée d’une Académie qui dit ce qu’est la langue et d’un ministère de la Culture qui dit ce qu’est la culture, a eu très vite un problème pour « traiter » du cinéma trop lié à l’industrie. D’autant plus que le cinématographe était, à l’origine, un divertissement de foire tantôt documentaire pour impressionner, tantôt magicien pour émerveiller, tantôt paillard pour émoustiller.
Les films n’avait pas de générique, n’étaient attribués à aucun artiste. Œuvres populaires, ils ont très vite puisé leur inspiration dans les écrits tout aussi populaires. Tout cela éloignait bien le cinéma de l’art puisque la culture et sa traduction en arts ont toujours veillé à séparer le « savant » du « populaire », le « majeur » du « mineur », le bon grain de l’ivraie.
Cette série d’articles propose d’aborder la transformation du cinéma en art à travers quatre périodes qui jalonnent le parcours de la légitimation artistique d’une industrie. Les références des publications qui ont largement inspiré cette série sont citées dans le texte même des quatre articles.
1920-1923, Ricciotto Canudo invente le « septième art »
Ricciotto Canudo, critique italien, est le promoteur continu et infatigable du cinéma comme art. Car, pour lui, le cinéma comprend tous les autres arts visuels (et bientôt sonores). Il est l’art de la synthèse parfaite, il faut donc le reconnaître comme le « septième art » (après l’architecture ; la sculpture ; la peinture et le dessin ; la musique ; la littérature ; la danse, le théâtre, le mime et le cirque).
Canudo avait d’abord, en 1920, classé le cinéma en « sixième art », dans son essai : « La Naissance d’un sixième art, essai sur le cinématographe » (L’Usine aux images, Séguier, 1995) pour laisser, par la suite, cette place aux arts de la scène. Peu importe le numéro, dans « Défendons le cinématographe ! », il explique, qu’à la différence des autres arts, le cinématographe a commencé « par être une industrie et un commerce. Maintenant, il doit devenir un art ». En 1921, il crée le premier grand ciné-club en France : « le Club des amis du septième art » et son Manifeste des sept arts (Séguier, 1995) est publié deux ans plus tard en 1923.
Pour échapper au qualificatif d’industrie, il faut, selon Canudo, distinguer le cinéma artistique du cinéma populaire, de ce cinéma issu des feuilletons tel qu’il s’est d’abord développé dans les années 1910, d’un cinéma accusé de mercantilisme parce qu’il ne fait que reproduire les succès -parfois même pas littéraires- du passé. Canudo promeut enfin « l’écraniste » (il n’utilise pas « cinéaste », ni « réalisateur ») dont il glorifie le rôle : « un film est toujours l'œuvre d'un seul individu » (L’Usine aux images, op. cit.), préfiguration de la « politique des auteurs » des années d’après guerre.
À suivre