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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’Hyperborée, c’est par où ?

Stéphane François

 

L’Hyperborée est une contrée mythique aux confins septentrionaux du monde connu dont le nom signifie le « pays au-delà du Vent du Nord », qui aurait existé au niveau du cercle circumpolaire arctique. Selon Diodore de Sicile, le dieu Apollon en serait originaire. Hyperborée peut être assimilée à la non moins mythique Thulé, mais reste distinct de l’Atlantide, bien que certains auteurs les confondent, la première étant plus ancienne que la seconde. À une époque antédiluvienne qui peut être comme vu comme le mythique « Âge d’or » voire comme le jardin d’Éden, elle aurait été habitée par un peuple parfait, les Hyperboréens, et aurait bénéficié d’un climat propice avant le changement climatique et la glaciation dus à l’inclinaison ultérieure de la Terre.

 

La théorie polaire est une part importante des corpus ésotériques occidentaux depuis la fin du XVIIIe siècle, en fait depuis les spéculations de Jean-Sylvain Bailly (1736-1793), un astronome et mystique. Celui-ci désirait montrer l’origine polaire de l’Atlantide. Cette Atlantide serait, selon notre auteur, le centre primitif de la civilisation voire le berceau de l’humanité. Un autre ésotériste français, Antoine Fabre d’Olivet (1767-1825), soutenait depuis 1824 l’idée selon laquelle les Hyperboréens mythiques étaient les ancêtres de la race blanche, qui auraient émigré par la suite en Europe où ils s’implanteront définitivement.

 

Cette idée fut par la suite développée et systématisée, au début du XXe siècle, par un nationaliste indien Bâl Gangâdhar Tilak (1856-1920) dans un livre intitulé Origine polaire de la tradition védique. Nouvelles clés pour l’interprétation de nombreux textes et légendes védiques, publié en 1903. Tilak, en analysant les textes sacrés de l’hindouisme, les Védas, et en étudiant la position des étoiles à l’époque védique, était arrivé à la conclusion que ces textes parlaient d’une région et d’une époque précises : le cercle arctique d’avant la dernière glaciation (Würm IV : -12 000 à -9 000 ans). Il en concluait que les Aryens étaient eux aussi originaires de cette zone géographique, les identifiant implicitement aux Hyperboréens.

 

Tilak en influençant l’ésotériste français René Guénon (1886-1951), qui lui-même influença Julius Evola, permit à cette idée de se diffuser en Occident. De fait, Guénon et Evola considéraient Hyperborée comme le lieu de la plus ancienne Tradition, au sens ésotérique du terme, une théorie dépourvue de racisme chez Guénon, au contraire d’Evola, en partie influencé par les théoriciens völkisch. Toutefois, ce thème était en vogue au XIXe siècle. En effet, l’Hyperborée fait partie des mythes qui ont intéressé, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, à la fois les ésotéristes et les spécialistes des Aryo-germains ou Aryens, ce qui allait devenir ultérieurement les études indo-européennes. Comme l’a montré Léon Poliakov dans le Mythe aryen, des scientifiques de cette époque ont tenté d’élaborer une nouvelle généalogie des peuples européens leur permettant de se libérer des liens judéo-chrétiens, certains voyant le foyer originel en Inde, d’autres en Asie centrale et les derniers, plus radicaux, au Nord (Bailly, Fabre d’Olivet, Penka, Spencer, Tilak, Warren).

 

L’occultiste russe Helena Petrovna Blavatsky (1831-1891) a aussi beaucoup écrit sur l’Hyperborée et les hyperboréens. Elle a élaboré un système complexe de races et de sous-races et fait des Hyperboréens l’une des races-mères de son système. Elle affirmait dans ses textes décousus, compilations d’ouvrages scientifiques et ésotériques de son époque, que les Hyperboréens étaient la seconde race-mère de notre cycle qui ont dû fuir le pôle suite à une glaciation. La cinquième race-mère, les Aryens, apparue en Asie, en serait les descendants et inaugurerait une restauration spirituelle. Ses spéculations ésotérico-raciales ont beaucoup influencé des auteurs néo-païens et nordicistes comme List et Lanz von Liebenfels. En effet, la Société théosophique, fondée en 1875 par Blavatsky connut un succès considérable dans le monde germanophone de cette fin de XIXe siècle.

 

Cette synchronicité, dans des contextes très différents, a permis la formulation à la fin du XIXe siècle d’une synthèse racialo-occultiste qui associait les thèses ésotériques hyperboréennes et l’origine nordique de la race aryenne, faisant de Hyperborée/Thulé, non seulement le berceau de la Tradition ésotérique primordiale mais aussi celui de la race blanche. Cette synthèse donnera naissance, au début du XXe siècle, à un discours raciologico-ésotérique, anti-chrétien voire néo-païen, des plus néfastes, que nous retrouvons tout au long de ce siècle, en particulier dans les milieux influencés par l’occultisme nazi et les thèses völkisch. Chez ces auteurs, Evola notamment, l’abandon du berceau polaire aurait entraîné une émigration dans la zone Atlantique du Nord vers le Sud puis de l’Occident vers l’Orient, chaque éloignement du pôle aggravant le métissage et la perte de la supériorité raciale et spirituelle.

 

Après la Première guerre mondiale, la théorie de l’origine hyperboréenne des Aryens survit chez les auteurs völkisch, notamment chez un philologue germano-néerlandais, Hermann Wirth (1885-1981), membre du parti nazi dès 1925, qui sera en contact avec Julius Evola. Il est l’auteur en 1928 de l’ouvrage Der Aufgang der Menscheit (La naissance du genre humain), dans lequel il développait l’idée que ce qui avait rendu le pôle impropre à la vie et forcé les Hyperboréens à émigrer en Europe était un décalage des pôles. Wirth sera, à partir de 1935, le directeur de l’institut de la SS, l’Ahnenerbe Institut (« Institut de l’Héritage ancestral »), créé à l’instigation de Himmler, adepte de la localisation nordique de l’Atlantide. L’intérêt de ces recherches était d’autonomiser les origines germaniques par rapport aux thèses proche-orientales, de permettre de manifester une supériorité qui ne devait rien aux religions abrahamiques. L’idée de la localisation nordique de l’Atlantide sera reprise après la Seconde guerre mondiale par un pasteur nazi, Jürgen Spanuth, qui identifia l’île d’Heligoland à l’Atlantide, en mer du Nord, et feignit d’avoir lui-même découvert cette idée.

Après la Seconde Guerre mondiale, le thème de l’origine hyperboréenne des Indo-Européens et ses implications ésotérico-politiques seront repris par les courants ésotériques et/ou néo-païens de l’extrême droite. Ce thème sera notamment développé par l’écrivain Jean Mabire, l’un des premiers promoteurs du néo-paganisme politique français, dans un ouvrage intitulé Thulé. Le soleil retrouvé des Hyperboréens, publié en 1978 chez Robert Laffont. Jean Mabire y reprend les spéculations sur l’origine polaire des peuples nordiques ainsi que les développements de Spanuth. Il y défend l’idée de préserver la pureté de la race blanche : l’un des titres de chapitre s’intitule « Le vrai secret de Thulé reste la conservation du sang ». Il fait aussi une profession de foi antichrétienne. Certains compagnons idéologiques de Jean Mabire reprendront les idées de Tilak qu’ils mélangeront aux thèses nordicistes et à l’ésotérisme formulé par Evola, permettant la construction de nouveaux discours nordicistes minimisant les références nazies.

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