Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Qu’est-ce que le néopaganisme ?

Stéphane François*

Le paganisme contemporain, ou néopaganisme, est une création récente. Il est apparu dans différents milieux (artistiques, régionalistes et/ou nationalistes et occultistes) des xviie et xviiie siècles lors de la constitution des mythes fondateurs des identités nationales, puis dans les milieux romantiques du xixe siècle. En effet, le néopaganisme est souvent né de la volonté de certains poètes romantiques de refuser la modernité issue du christianisme, de la Révolution française et de la Révolution industrielle. Il s’agit d’une reconstruction idéalisant le paganisme antique et qui postule la persistance de cultes païens en Europe, malgré la christianisation. Par sa nature, il s’oppose aux religions monothéistes, universalistes et prosélytes comme le christianisme et l’islam. À son origine, il y a une fascination et une idéalisation des paganismes antiques et de celui des sociétés traditionnelles. Il est indéniablement un héritier du romantisme, notamment dans son refus des Lumières.

Sa principale composante cultuelle est une conception panthéiste (la divinité est identifiée au monde) et/ou polythéiste (qui admet une pluralité de dieux) de la religion. Elle se manifeste principalement par la réapparition de cultes consacrés aux divinités préchrétiennes : celtes, germaniques, slaves, etc. Cependant, il existe différentes formes de néopaganisme. La première fait référence à des divinités ou à une tradition cultuelle précise, et a généralement un fondement ethnique : il s’agit la plupart du temps d’une reconstruction d’une religion préchrétienne fondée sur des recherches historiques ou pseudo-historiques. La deuxième renvoie à un discours écolo-panthéiste de nature universaliste et à un paganisme créé de toutes pièces, comme le néochamanisme ou la néosorcellerie de type Wicca. La troisième, enfin, regroupe sous le terme générique de paganisme un choix philosophique et/ou artistique qui peut être le corollaire d’un « paganisme politique ». Dans ce dernier cas, ce recours au paganisme doit être aussi compris comme une volonté d’élaborer un système sociétal original, une philosophie non-chrétienne, et comme une façon de vivre non matérialiste et communautaire. Ce souhait se manifeste généralement, outre les publications le mettant en avant, par un goût prononcé pour les objets antiquisants (bijoux, tours de Jul, reproductions d’art, etc). Si la majorité des néo-paiens ne cherchent pas à reconstituer minutieusement des rites disparus, un certain nombre d’entre eux lit avec intérêt les ouvrages d’historiens sur les religions anciennes, pour en tirer, sélectivement, des éléments dans un processus d’invention d’une « tradition », conjuguant innovations et réemplois de bribes issues de différentes périodes historiques. Des œuvres littéraires ont exercé aussi une influence, comme l’Heroic fantasy, en particulier Tolkien.

Le néopaganisme s’alimente à plusieurs sources : l’anthropologie (telle la fascination occidentale pour les peuples indigènes et les cultures « primitives »), la littérature, les contre-cultures, les spéculations religieuses, l’intérêt pour le folklore et les traditions régionales, etc. Ainsi, l’exotisme et le rêve qu’il offre peuvent prendre pour objet aussi bien une civilisation étrangère qu’un passé lointain : ainsi en va-t-il de l’engouement pour des fêtes médiévales. En outre, devenir druide, sorcière ou prêtresse d’un culte antique ouvre les portes d’un monde différent, où la créativité et la fantaisie ont libre cours, puisque pratiques et rituels ne peuvent s’appuyer sur le modèle d’une tradition supposée ininterrompue. En ce sens, le néopaganisme relève du « bricolage » défini par Claude Lévi-Strauss.

Il peut aussi être vu comme une manifestation de l’ésotérisme occidental, notamment en ce qui concerne son contenu religieux et/ou métaphysique. Le ritualisme de certaines formes de paganisme se structure sur l’ésotérisme, ce dernier servant souvent de fondement doctrinal. Nous retrouvons les éléments constitutifs de l’ésotérisme dans le néopaganisme : les correspondances, la Nature vivante, la pratique de la concordance et surtout l’idée de transmission. En effet, tous les néo-paiens soutiennent, d’une façon ou d’une autre, la transmission interrompue du paganisme dont ils se réclament (à ce titre le cas du druidisme est vraiment représentatif). Le néopaganisme contemporain, qui s’est constitué au cours du xixe siècle, est indubitablement lié à l’ésotérisme qui connut un essor important à la même époque. Le druidisme, la magie runique, la néosorcellerie Wicca, pour ne prendre que ces exemples divers, ont tous intégré des pratiques magiques qui proviennent de l’occultisme, en tant qu’application concrète de l’ésotérisme. De fait, l’ésotérisme de cette époque s’est nourri des découvertes de l’archéologie et de la linguistique naissantes.

Enfin, le paganisme est repensé, dans ces discours, comme la véritable religion, native et/ou ethnique, des Européens (au contraire du « poison chrétien »), avec pour corollaire une référence, fondatrice et normative, à un supposé « héritage indo-européen ». Selon ses adeptes, le paganisme s’est survécu à lui-même sous plusieurs formes après la christianisation de l’Europe : 1/dans l’inconscient collectif ; 2/au niveau des croyances et des traditions populaires ;3/ à l’intérieur même ou en marge de la religion officielle, dans des certaines hérésies.

 

Le discours néo-paiens est resté marginal en France, surtout confiné dans les milieux régionalistes breton ou normand, jusqu’au moment où, au début des années 1970, la Nouvelle Droite l’utilisa pour justifier l’inégalitarisme (le christianisme devenant un « bolchevisme de l’Antiquité »), l’élitisme et le différentialisme, le faisant ainsi connaître auprès du grand public en1981, avec la parution de Comment peut-on être païen ? d’Alain de Benoist (Albin Michel). Toutefois, il faut surtout retenir que celui-ci a échappé à la Nouvelle Droite lors du départ d’un grand nombre de ses cadres. Le néopaganisme se développa alors dans d’autres tendances de l’extrême droite, par le passage de ces personnes d’un groupuscule à un autre, au point d’en devenir parfois l’un des éléments constitutifs. Durant le même temps, apparaît un néopaganisme issu des contre-cultures américaines, donnant naissance au néochamanisme et à la néosorcellerie. En effet, le public découvre alors les thèses de Carlos Castaneda. De ce fait, ce serait donc une énorme erreur que de réduire le néopaganisme à l’extrême-droite. Une très forte proportion de néo-paiens se situe même plutôt à l’extrême gauche, en particulier dans les milieux altermondialistes. Enfin, des groupes afro-américains sont partisans d’un paganisme « égyptisant », le kémitisme, qui voit l’origine de toute civilisation dans l’apport africain à la civilisation de l’Égypte ancienne.

Si l’attitude occidentale retient ici notre attention, il faut garder à l’esprit que les remises à l’honneur de l’héritage préchrétien se manifestent aussi ailleurs : des paganismes modernes sont apparus au sein de groupes indigènes (Amérique latine, Afrique subsaharienne notamment) sous différentes latitudes, ne serait-ce qu’en tant que réactions de traditions peu organisées pour répondre aux défis du christianisme tout en se modernisant.

*Auteur de Néo-paganisme : une vision du monde en plein essor, La Hutte, 2012.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article