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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

1848 : un suffrage universel... mais masculin

Julien Vercel

Le 2 mars 1848, le gouvernement provisoire de la République décide : « Le suffrage sera universel et direct sans aucune condition de cens ». Et Louis-Antoine Garnier-Pagès, membre du gouvernement et maire de Paris s’enflamme : « Pour la première fois la vieille Europe voyait une de ses grandes nations faire une application réelle, complète, de la souveraineté du peuple. Jamais l’égalité des droits civiques n’avait été si solennellement célébrée. L’institution du baptême avait été la reconnaissance de la fraternité devant Dieu, l’institution du suffrage universel était la reconnaissance de la fraternité devant l’humanité ».

Mais il faut regarder de près ce que signifie la notion de « vote universel », car des conditions sont énoncées : il faut avoir au moins 21 ans ; ne pas être privé ou sous le coup d’une suspension judiciaire de l’exercice de ses droits civiques ; avoir une résidence de plus de 6 mois. Le « vote universel » pour les Républicains de 1848 signifie donc avant tout la suppression du cens qui fait passer le collège électoral de 250 000 à plus de 9 millions d’électeurs.

L’universel sans les femmes

Quant aux femmes, elles sont écartées des scrutins du fait de leur « incapacité » ou de leur « nature ». Incapacité pour Louis Marie de Lahaye de Cormenin, député de l’Yonne, en 1832 : « Les incapacités naturelles atteignent les femmes, qui dans notre état social sont condamnées à l’ilotisme, les mineurs dont l’intelligence n’est pas encore assez acquise, et les interdits qui ont perdu la leur ». Nature pour Pierre-Joseph Proudhon, dans Le Peuple du 27 décembre 1848 : « Le rôle de la femme n’est point la vie extérieure, la vie de relation et d’agitation, mais bien la vie intérieure, celle du sentiment et de la tranquillité du foyer domestique ». Notons, au passage, que l’anarchiste rejoint l’argument du pasteur Athanase-Charles Coquerel, député de la Seine, qui affirmait à l’Assemblée : « La place convenable et légitime de la femme est la vie privée et non la vie publique ».

Même George Sand refuse de se lancer en politique ! Dès le 6 avril pourtant, La Voix des femmes,  revue féministe qu’Eugénie Niboyet vient de créer le 19 mars, s’est prononcée en faveur d’une candidature Sand à l’Assemblée nationale. Le 9 avril, c’est le Club des Jacobins qui en appelle à l’auteure... Mais George Sand envoie sa lettre de refus à La Réforme (et pas à La Voix des femmes !). Et quand le comité central démocratique-socialiste soutient, à son tour, sa candidature, George Sand maintient son refus en expliquant que les conditions sociales ne sont pas réunies : « La femme étant sous la tutelle et dans la dépendance de l’homme par le mariage, il est absolument impossible qu’elle présente des garanties d’indépendance politique, à moins de briser individuellement et au mépris des lois et des mœurs, cette tutelle que les mœurs et les lois consacrent ».

Le journal satirique, Le Charivari, va se charger d’agiter les peurs quant à une guerre des sexes en promettant, le 12 novembre 1848, une « Saint-Barthélémy » des hommes par les femmes si, d’aventure, les droits politiques leur étaient accordés. Au-delà des moqueries, le « Club des femmes » d’Eugénie Niboyet est la cible de chahuts masculins d’une telle ampleur que la police doit intervenir et fait fermer ce club politique !

Un sujet à part

Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'en 1948, l’une des publications de la série « Centenaire de la révolution de 1848 », éditée par les Presses universitaires de France sous le patronage du Comité national du centenaire, n’hésite pas à s’intituler : L’Avènement du suffrage universel. Son auteur, Paul Bastid, est un juriste, député radical du Cantal, ministre du Commerce en 1936, représentant des radicaux au Conseil national de la Résistance et directeur de L’Aurore.

1848 : un suffrage universel... mais masculin

Alors que les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, soit 4 ans avant la célébration de ce centenaire, la question de cette universalité toute masculine n’occupe que quelques lignes dans un ouvrage pourtant intitulé L’Avènement du suffrage universel et avec, en couverture, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix ! Paul Bastid le note à propos des débats de mars 1848 : « Quant au suffrage des femmes, il ne semble même pas avoir été évoqué ». Suivent plus de 100 pages sans qu’il soit vraiment répondu à l’interrogation : où sont les femmes dans cette universalité ?

Il faut donc lire un autre ouvrage de la série, Les Femmes en 1848 par Édith Thomas pour voir traitée la question des droits politiques des femmes.

Ces voix minoritaires qui finirent par l’emporter

L’auteure, historienne et journaliste, rappelle que l’exclusion des femmes de la vie politique n’allait pas de soi pour tous les hommes. Les saint-simoniens comme Olinde Rodrigues avaient ouvert la voie : dans l’article 5 de sa Constitution, il affirmait : « Tous les membres de la Cité, hommes et femmes sont électeurs et éligibles ». Les fouriéristes comme Victor Considérant ont été encore plus directs : le 3 juin 1848, il demande à l’Assemblée d’accorder les droits politiques aux femmes. D’ailleurs, Charles Fourier écrivait : « En thèse générale les progrès et les changements de période s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social s’opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes » (Théories des quatre mouvements et des destinées générales, 1808). Les socialistes ont plaidé pour l’égalité des sexes. Ainsi Étienne Cabet avait, le premier, admis les femmes dans son club politique.

Les femmes ne furent pas en reste pour revendiquer leurs droits. Flora Tristan en 1842, dans la préface d’une nouvelle édition des Promenades dans Londres (1840), fixe, parmi ses objectifs, « Reconnaître, en principe, l’égalité du droit de l’homme et de la femme, comme étant l’unique moyen de constituer l’Unité humaine ». Antonine Andrée de Saint-Gilles avec plusieurs femmes revendiquent le 16 mars 1848, auprès du gouvernement provisoire, d’appartenir au peuple souverain. Le 22 mars 1848, les déléguées du Comité des droits de la femme portent ces mêmes revendications à l’hôtel de ville. Elles sont suivies par les rédactrices de La Voix des femmes qui envoient une pétition au gouvernement réclamant le droit de vote : « Le degré de liberté accordé à la femme est le thermomètre de la liberté et du bonheur de l’homme ». Elles précisent que « L’histoire démontre d’ailleurs que les femmes, soumises à une éducation appropriée, sont aptes à exercer toutes les fonctions politiques et sociales »... Le gouvernement provisoire ne leur répond même pas. Enfin, Jeanne Deroin, affirmant que le « privilège de sexe » est « une violation manifeste des principes d’égalité et de fraternité », tente en vain de se présenter aux élections législatives.

Les 10 et 11 décembre 1848, ce sont seulement les hommes qui se rendent aux urnes pour élire le président de la République. Dans leur « grande sagesse », ils désignent dès le premier tour, à plus de 74% des suffrages, Louis Napoléon Bonaparte. Le 2 décembre 1851, après un coup d’État, il instaure le Second empire et met fin à cette République du suffrage « universel ».

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L
Il y a une quinzaine d'années, peut-être un peu plus, j'avais lu dans un livre d'Elisabeth Guigou, que pendant l'entre deux guerres, en France, la Chambre des Députés avait voté par quatre fois en faveur du vote des femmes au suffrage universel, et que chaque fois c'est le Sénat qui s'y est opposé.<br /> Il a donc fallu une seconde guerre mondiale pour que De Gaulle l'accorde à la Libération. <br /> On voit par là, et c'est dans la continuation de l'excellent travail proposé ici par Julien, qu'il a fallu d'une part conquérir de haute lutte le suffrage universel, pour les hommes déjà, et lutter bien plus encore pour qu'arrive le suffrage vraiment universel, avec femmes incluses donc.<br /> Pour conclure, et en plus je suis en vacances depuis hier, autorisons-nous une petite note d'humour, et je vous prie de m'en excuser par avance:<br /> Il nous faut remercier Julien Vercel, pour ce travail.<br /> Pour ce travail, il nous faut remercier Julien vers elles...
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A
Bravo Julien pour cet article qui rappellera aux masculinistes perdurants que le combat féministe continue.<br /> <br /> Suivez mon regard...
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