Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Pierre Geyraud, dans Les sociétés secrètes de Paris (collection « Parmi les sectes et les rites », éditions Emile Paul Frères, 1938) note, à la page 212, ce que sont pour lui les diverses familles maçonniques françaises :
1° Le Grand orient de France (GODF) dont l’hôtel est 16, rue Cadet (dans un ancien couvent !). Il comprend deux administrations distinctes, le conseil de l’Ordre que préside actuellement le F :. Groussier et qui est composé de trente-trois membres et le Grand Collège des Rites, Suprême conseil, qui administre les Ateliers supérieurs ; son Grand commandeur est le F :. Chartier.
2° La Grande loge de France (GLDF) qui est la fédération des loges du rite écossais ancien accepté (du 1° au 3° degré). Son Grand maître est le F :. Jacques Maréchal, avocat à la Cour. Elle siège rue Puteaux, n° 8. Là aussi réside le Suprême conseil qui administre les Ateliers supérieurs (du 4° au 33° degré) et dont le Souverain grand commandeur est le F : Raymond.
3° La Grande loge de la fraternité universelle (GLFU). C’est une fédération maçonnique libre, indépendante et souveraine des ateliers de « Travail, Lumière et Fraternité ». Cette obédience initie les femmes à égalité de droits. Elle siège au 8, cité des fleurs et a pour président le F :. Mario Chicurel.
Il n’y a rien à redire sur les deux premiers paragraphes, bien renseignés. En revanche, le troisième pose plusieurs problèmes. D’abord, nous n’avons pu trouver la moindre trace (avis aux érudits qui nous démentiront) ni de cette « GLFU », ni de son responsable, Mario Chicurel.
En revanche, à l’époque, la fédération du Droit humain comptait au moins quarante loges actives et pas loin d’un millier de membres. Elle fut dirigée entre 1934 et 1947 par Henri Petit. Il faut croire que la visibilité et la reconnaissance symbolique de cette obédience mixte et internationale étaient bien faibles juste avant la deuxième guerre mondiale, dans la mesure où non seulement l’auteur du livre, mais aussi les sources dont il se réclame tout au long de son ouvrage, ne lui en ont pas soufflé mot.
Quant à savoir qui a pu glisser à Geyraud l’existence de l’obédience de la cité des fleurs, le mystère reste entier. Certes, il existe aujourd’hui une obédience de la Fraternité universelle, un tout petit groupe spiritualiste et plutôt nordiste qui semble se rapprocher de l’Alliance des loges symboliques implantée dans le Sud de la France, mais elle ne vient en rien de celle qui est citée par Geyraud.
Notons également qu’à cette époque, la Grande loge nationale indépendante et régulière, préfiguration de la Grande loge nationale française (GLNF), fédérait en France une trentaine de loges, pour la majorité peuplées par des anglo-saxons, mais dont une bonne dizaine était à majorité francophone. Geyraud n’en a pas non plus eu vent.
Plutôt que de reprocher à un écrivain-journaliste-poète aujourd’hui bien oublié et à ses sources de regrettables lacunes, il faut tirer de cet exemple une leçon de ce que peut être la visibilité et la notoriété.
La toile nous aide parfois à repêcher des bribes de cette notoriété. On apprend en effet que dans un manuscrit autographe signé à Saint-Cirq-Lapopie, 20 juin 1953 par André Breton, on trouve un texte critique intitulé « Là-bas », André Breton rend compte de quatre ouvrages de Pierre Geyraud qui mena à Paris une série d'enquêtes : « Parmi les sectes et les rites », « Les petites églises de Paris », « Les Sociétés secrètes de Paris », « Les Religions nouvelles de Paris » et « L'Occultisme et Paris ». Breton note à son propos : « M. Geyraud continue à y braver les menaces de graves représailles que lui ont valu des divulgations ».