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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les recompositions de l’extrême droite et l’essor du web-militantisme (2/3)

Stéphane François

Le 21 avril 2018, l’organisation de jeunesse des Identitaires, Génération identitaire, a fait parler d’elle, avec une opération « coup de poing », très professionnelle dont elle a le secret, à grand renfort de journalistes. Des membres de ce groupe ont déployé une banderole au sommet du col de l’Échelle, dans les Alpes, connu pour être un lieu de passage de migrants. L’objectif était de condamner l’afflux de migrant en France. L’opération de « com » a été un succès, au vu de la couverture médiatique donnée par les journalistes. Derrière cette opération, il y a les idées du Bloc identitaire, devenu depuis juillet 2016 Les Identitaires. Ces idées, comme le rejet de l’immigration, perçue comme une colonisation (le « grand remplacement »), comme la promotion de la « remigration », comme la défense de l’identité européenne, comme le rejet de l’islam, ou comme le rejet enfin du racisme « antiblanc », se diffusent non seulement dans la société française, nous y reviendrons, mais également en Europe –il y a des groupuscules éponymes en Allemagne, avec celui de Markus Willinger, et en Autriche qui se réclament du groupe français– et aux États-Unis où des militants de l’alt-right les traduisent et les publient.

L’activisme Identitaire

Nous retrouvons ici ce qui constitue le cœur idéologique de la rhétorique identitaire, largement diffusée sur Internet, comme nous le verrons plus loin : une conception ethnoculturelle de l’identité. Il s’agit pour les Identitaires d’en assurer la sauvegarde face au danger que feraient peser l’immigration extra-européenne (xénophobie) et le métissage (mixophobie) sur sa pérennité. Surtout, contrairement aux autres groupuscules d’extrême droite, le groupe use d’une rhétorique victimaire. Il s’agit de se présenter comme un mouvement réactif, portant un discours subversif en lutte contre une supposée « pensée unique » « cosmopolite » et « immigrationniste ».

Pourtant, les idées identitaires ne sont pas récentes. Nous en retrouvons les germes dès les années 1950, dans des groupuscules comme les néonazis du Nouvel ordre européen de René Binet, puis la décennie suivante, dans Europe action, le groupuscule de Dominique Venner. Ce dernier est d’ailleurs considéré comme une référence importante, au point que son manifeste de 1961, Pour une critique positive. Écrit par un militant pour des militants, a été réédité par la maison d’édition des Identitaires, Idée en 2013. Cependant, contrairement aux groupes d’extrême droite dont la mouvance identitaire est issue, l’antisémitisme et l’antisionisme sont abandonnés au profit d’une idéologie structurée sur le rejet de l’islam, des musulmans et de l’immigration afro-arabe. En ce sens, l’idéologie identitaire est une rupture des thèmes de sa famille nationaliste-révolutionnaire originelle. Le Bloc identitaire est en effet né de l’interdiction en 2002 d’Unité radicale, à la suite de la tentative d’assassinat ratée de Jacques Chirac, alors président de la République, par le militant Maxime Brunerie. Unité radicale était lui-même un groupuscule fondé en 1998 par d’anciens membres du Groupe union défense (GUD), de Jeune résistance et de militants de L’Œuvre française. Son discours était antisioniste, antisémite et anti-américain, mais également anticapitaliste et plutôt pro-arabe, au nom du combat contre l’« axe américano-sioniste ».

Suite à cette interdiction, une partie des cadres dirigeants d’Unité radicale décident de créer une nouvelle structure, l’association Les Identitaires en décembre 2002. Elle est suivie par la création du Bloc identitaire-Mouvement social européen en avril 2003. Il faut voir dans le choix de ce nom l’un des effets majeurs de la reconfiguration alors à l’œuvre au sein des droites radicales européennes, suite aux attentats du 11 septembre 2001. La mouvance identitaire naissante passe, entre 2001 et 2003, d’un discours fustigeant « l’impérialisme américain » en tant qu’ennemi principal, au combat contre l’islamisme et l’immigration musulmane, sans pour autant abandonner le premier, mais qui passe en second plan.

Pour promouvoir ces idées, les membres du Bloc identitaire ont créé rapidement une structure de jeunesse, Une autre jeunesse, qui fut un échec. Elle était dirigée par Philippe Vardon, Adrien Heber, Gaëtan Jarry et Jean-David Cattin. Suite à cet échec, le Bloc identitaire lance en 2012 Génération identitaire avec l’occupation du site de la future mosquée de Poitiers. Ces happenings seront sa marque de fabrique. Parallèlement, la structure met en ligne un clip, « Nous sommes la génération identitaire », très bien fait. Ce clip et l’« opération de com » autour de l’occupation de la mosquée montre leur capacité d’être d’excellents communicants. Cette idée est renforcée par la campagne réussie autour du phénomène des prières de rue dans le quartier parisien de La Goutte d’Or, notamment rue Myrha. La condamnation de l’islam y était associée à une défense des produits de « nos terroirs » : le vin et les produits charcutiers. À l’origine de cette action, un militant du Bloc identitaire associé à plusieurs « Sylvie François », de pseudo riveraine qui se présentaient comme une « fille et petite-fille de natifs du 18ème arrondissement », mais qui n’étaient en fait que des militantes du Bloc Identitaire, n’habitant pas dans le quartier…

Les « opérations pinard-saucisson » qui ont suivi ce canular ont montré que les temps étaient favorables aux idées identitaires. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les musulmans deviennent des suspects, voire une cinquième colonne cherchant à détruire les valeurs occidentales ou à poser des bombes. À cela, il faut rajouter l’essor du racisme culturel, faisant du musulman et de la musulmane une personne incapable de s’adapter aux valeurs occidentales. Les positions identitaires entrent, en outre, au rejet grandissant de la société multiethnique et multiculturelle. Les débats sur l’identité nationale, voulus alors par le président Nicolas Sarkozy, ont laissé des traces importantes dans une société fracturée, traumatisée par les différents attentats, comme nous l’avons montré Nicolas Lebourg et moi-même. La communication des Identitaires a beaucoup joué sur la confusion intellectuelle de certains pans de la société : le rejet de l’Autre se renouvelle dans les marges, en particulier des marges intellectuelles qui produisent des contre-mémoires et des contre-discours, puis s’épand dans les autres secteurs de la société… Ensuite, les thématiques identitaires (rejet de l’islam, « remigration », « immigration-colonisation », etc) entrent en résonance avec les peurs des Français, choqués à la fois par les différents attentats qui ont secoué notre pays depuis presque une décennie, et par la vision d’une altérité qui les dérangent, comme le port par des femmes d’un voile intégral, qui sous-entendrait l’incapacité de s’intégrer dans un monde occidental et laïc. Surtout, si les idées identitaires prennent aujourd’hui, c’est aussi parce que les techniques de communication des Identitaires sont efficaces : leur objectif est de faire parler d’eux. Ainsi, la couverture médiatique donnée au happening du Col de l’Échelle montre que les journalistes se sont faits piégés par cette stratégie : ils ont très largement couvert médiatiquement l’opération.

Cette évolution, cette recomposition numérique pourrions-nous même dire, des droites radicales européennes nous pousse à réfléchir à une nouvelle approche de ces milieux. L’une d’entre elles nous propose des pistes de recherche très intéressantes en se penchant sur l’usage militant du Web par l’extrême droite.

À suivre...

[Une bibliographie est proposée à la fin de la série]

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