Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Yolande Bacot
L’élection du Président de la République au suffrage universel direct à deux tours semble faire consensus, quelles que soient les critiques formulées aux présidents en place, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron. Rappelons d’abord la manière dont cette pratique s’est construite, en ne remontant pas aux calendes grecques, mais à l’après-guerre. La constitution de la quatrième République, votée le 27 octobre 1946, prévoyait l’élection du Président au suffrage universel indirect, à la majorité absolue des deux chambres, Assemblée nationale et Sénat, réunies en congrès. Le Président était élu pour sept ans et n’était rééligible qu’une fois.
Le général de Gaulle, nommé Président du conseil (appelé aujourd’hui Premier ministre) par le Président de la République, René Coty, en Mai 1958, en pleine crise algérienne, fait adopter par référendum le 28 septembre de la même année la constitution d’une Vème République dont il sera le premier Président, en même temps que la création de la Communauté française concernant la plupart des territoires anciennement colonisés (82,6% de « Oui » et 85% de participation). Cette constitution ne prévoit pas l’élection du premier personnage de l’État au suffrage universel direct.
Cela se fera dans un deuxième temps, avec un nouveau référendum organisé le 28 octobre 1962, où De Gaulle fera voter cette modification par 62,2% des voix, avec une participation de 72%. Le Président du Sénat, le radical Gaston Monnerville, ne parviendra pas à faire invalider cette décision par le Conseil constitutionnel. Quant au système parlementaire, la constitution de 1958 institua une élection au scrutin majoritaire à deux tours pour en finir avec le scrutin proportionnel qui régnait antérieurement et qui était supposé encourager « le régime des partis ».
Tout le monde s’accorde-il à penser que ce système d’élection au suffrage universel direct aura accru la légitimité de la fonction ? Certes pas. Le politiste Bastien François, dans un article paru en 2005 (« A quoi sert l’élection du Président au suffrage universel ? », Parlement(s), Revue d’histoire politique, 2005/2) estime qu’à partir de 1970 avec des majorités sans aucun sens critique, celles que l’on a dites formées de « godillots », le système avait largement perdu de son efficacité. Il argumente notamment en regardant la situation dans d’autres pays où le Premier ministre est de fait le premier personnage et ne manque aucunement de légitimité, par exemple en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Quant au système électoral majoritaire, le même auteur estime qu’il ne peut prétendre être une garantie d’efficacité et « n’empêche pas non plus l’émergence de forces ʺhors-système majoritaireʺ (comme le Front national). Au mieux, il ne peut que la freiner. Au pire, il peut la favoriser, à partir d’un certain seuil de suffrages et en fonction du degré d’atomisation des forces politiques concurrentes ».
À gauche, la critique a baissé de plusieurs tons contre ce système à partir du moment où François Mitterrand et son équipe ont crû à une possible élection, après que l’intéressé a écrit en 1964 Le Coup d’État permanent, ce qui a fini par arriver en 1981. Mais aujourd’hui les critiques pleuvent contre le caractère « jupitérien » de la présidence Macron. On parle même parfois de pouvoir monarchique, tout en doutant de la légitimité de l’occupant de l’Élysée.
Pour autant, sauf erreur de notre part, aussi bien La France insoumise que Génération-s proposent un retour partiel ou complet à la proportionnelle pour les législatives, la suppression du Sénat, une limitation de la présidence de la République à un seul mandat, des procédures de contrôle et autres réformes qui amèneraient peut-être à une sixième République, mais nul ne semble avoir remis en cause l’élection de ce Président au suffrage universel direct. Les partis de droite, y compris l’ex-Front national ne paraissent pas non plus avoir effleuré le sujet. Est-ce par peur de heurter un consensus et d’être accusés de vouloir revenir à la quatrième République ? Pour ce qui est de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon, il est vrai que la suppression du Sénat rendrait encore plus difficile l’élection du Président par un corps électoral restreint. À notre connaissance seul le Nouveau parti anticapitaliste va plus loin en demandant outre la suppression du Sénat, celle de la présidence de la République, comme le proposait le programme de Philippe Poutou aux élections présidentielles de 2017.
Quoi qu’il en soit des arguments, il nous semble que la question de la perpétuation de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République devrait être posée au moment où le paysage politique se trouve entre un processus de décomposition et une recomposition qui tarde. Il y a pire comme tabou.