Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’athéisme dans les pays musulmans : une question qui mériterait d’être mieux traitée

Jean-Pierre Bacot

 

Nous poserons ici un rapide coup d’œil sur la question de l’athéisme dans les terres à dominante musulmane qui mériterait une longue étude. Cela nous paraît relever d’une impérieuse nécessité, et ce pour plusieurs raisons. Il s’agit d’abord de contribuer à faire connaître une thématique qui semble non point taboue, mais pour le moins négligée par les médias, comme par la recherche et par le monde militant. Cela permettra ensuite de battre en brèche une forme de racisme qui s’appuie sur les excès de l’islamisme radical pour y associer tout ou partie du monde arabo-berbère persan ou autre. Last but not least, on pourra renvoyer à leurs chères études toutes celles et ceux qu’on appelle les islamo-gauchistes, lesquels essentialisent volontiers les personnes concernées comme musulmanes en les utilisant comme une sorte de nouveau prolétariat.

 

Certes, on peut se référer à la fameuse sentence de Karl Marx lancée en 1843 dans La Critique de  la philosophie du droit de Hegel concernant la religion en la qualifiant d’ « opium du peuple ». Mais il est des contrées où cette référence se paye de sa liberté, voire de sa vie. Un ancien article de La Croix du 4 août 2017 notait qu’un palestinien, Waleed Al Husseini, en savait quelque chose, dans la mesure où il avait écopé de 10 mois de prison et subi de mauvais traitements pour avoir annoncé sur un blog qu’il abandonnait d’Islam. Fort heureusement, ce personnage courageux a demandé et obtenu l’asile en France. On lui doit plusieurs textes : Blasphémateur ! Les prisons d’Allah, paru chez Grasset en 2015, puis Une trahison française. Les collaborationnistes de l’Islam radical dévoilés, paru deux années plus tard chez Ring éditions. En Arabie saoudite, un autre blogueur a été condamné à 20 ans de prison et 1 000 coups de fouet. Waleed Al Husseini a créé en France un conseil des ex-musulmans. Qui en parle, alors que certains cherchent à faire annuler leur baptême ?

 

Un sociologue et écrivain membre de l’École des hautes études en sciences sociales, Houssam Bentabet, s’est attaqué au sujet dans une thèse soutenue en 2018. Pour La Croix, il notait que les associations athées installées à l’étranger pour les immigrés ou les exilés avaient bien du mal à exister, soulignant le fait que « Sauf en Grande-Bretagne, où l’association est officielle, ces structures restent généralement informelles en raison des menaces de mort qui pèsent sur leurs membres et fonctionnent plutôt comme des réseaux » et ajoutant que dans certains milieux et pays « il reste plus difficile d’avouer son athéisme que son homosexualité ».

 

Le chercheur, qui mériterait d’être d’avantage relayé, avoue la difficulté qu’il trouve à cerner précisément le phénomène, citant un rapport publié pour l’Institut Montaigne (Un islam français est possible), où l’essayiste et banquier Hakim El Karoui constatait que 15% des personnes ayant au moins un parent musulman se déclaraient « non-musulmanes ». À l’inverse 7,5% d’autres personnes interrogées se disaient musulmanes sans qu’un de leurs deux parents ne le soient. En conséquence, note-t-il :  « Les trajectoires de "sortie" de la religion musulmane – ou de désaffiliation – apparaissent deux fois plus importantes que les trajectoires d’entrée ; prenant à rebours les représentations faisant de l’islam une religion attirant massivement des individus a priori éloignés de cette tradition ».

 

Dans un excellent article du 16 décembre 2015, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », publié dans les carnets de l’Institut pour le pluralisme religieux et l’athéisme (IPRA), l’un des rares autres universitaires à s’être attaqué au problème, l’historien Dominique Avon constatait la montée d’une « nouvelle génération d’athées dans le monde musulman » et faisait le détail des divers modes de répression du phénomène dans les pays concernés. Signalons que Dominique Avon est l’auteur avec Anaïs-Trissa Khatchatourian, au Seuil, en 2010 d’un livre Le Hezbollah. De la doctrine à l'action: une histoire du "parti de Dieu".

 

Rappelons ici la liste des pays où l’athéisme est non seulement interdit, mais aussi puni de mort. Il y a en pas moins de treize dont le boycott devrait être organisé : l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, les Maldives, la Malaisie, le Qatar, la Somalie, le Soudan, le Nigéria et le Yémen. Dans les pays du Maghreb, l’athéisme, comme l’adhésion à une autre religion ne sont pas interdits, ce qui nous concerne particulièrement, une bonne partie de l’immigration arabo-berbère vivant en France en étant issue.

 

Si l’on se réfère à un reportage de TV5 signé en février 2018 par Léa Baron, il y a malheureusement en France plusieurs victimes de l’intolérance de leur pays dans ce domaine.

Sur ce dossier, il existe d’autres sources, y compris anglo-saxonnes qui montrent que la question, si elle loin d’être prioritaire, n’est pas taboue. Citons encore l’interview conduite par Thomas Mahler dans Le Point du 4 janvier 2018 de l’Iranienne Maryam Namazie, celle-ci notant « un tsunami d’athéisme dans le monde musulman » et appelant la gauche à ne pas trahir les personnes concernées et à se mobiliser.  On ne peut malheureusement pas dire que cet appel ait été entendu.

 

Il n’en reste pas moins que la question est étrangement négligée, alors qu’elle nous montre que l’athéisme qui progresse, lentement, mais sûrement, dans le monde entier, n’épargne pas, si l’on peut dire, les terres à majorité musulmane. Les milieux rationalistes et/ou athées ne semblent pas particulièrement intéressés par l’affaire, au point, nous le répétons volontairement, que l’on peut les soupçonner d’une véritable essentialisation, plus ou moins consciente des populations concernées. Cela est d’autant plus dommageable qu’à l’heure où le catholicisme, le protestantisme luthéro-calvinisme et le judaïsme ashkénaze s’éteignent doucement, notamment dans notre pays, et que vont subsister comme religion dans les prochaines décennies l’Islam et un protestantisme évangélique qui touche beaucoup l’Outre-mer, un tel essentialisme pourrait se porter sur des populations noires et associer à la limite la religion à la couleur de la peau, en même temps qu’à la classe sociale, que ces personnes résident où non dans l’Hexagone.

Une exception au désert que nous relevions, est un article paru dans le volume L’Athéisme dans le monde sous la direction de Patrick Dartevelle (ABA éditions, 2015), disponible en ligne sur la-voie-de-la-raison.blogspot.com et dont nous reprendrons bien volontiers à notre compte la conclusion : « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans (Athéisme et Islam) » :

 

« Les milieux académiques manifestent leurs désaccords autour de la problématique des identités socio-ethno-culturelles. Dans le débat public, enfin, au nom de la défense des particularités et des sensibilités face à une sécularisation envisagée comme un rouleau compresseur venu de l’ ʺOccidentʺ, la liberté réclamée par les athées venus de l’islam est parfois niée ».

 

Avis à nos lectrices et nos lecteurs. Que ces recherches soient largement diffusées, cela permettra à la fois de soutenir les personnes mises en danger par leurs convictions et d’éviter cette forme d’essentialisme qui frise le racisme à propos de personnes dont les parents ou elles-mêmes sont nés sous d’autres cieux que les nôtres, aujourd’hui postchrétiens.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article