Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Selon certains académiciens, le masculin serait un genre « non marqué »... aussi sûrement que, comme en 1848, le suffrage était « universel » en excluant les femmes. Et pendant tout le XXe siècle, ils ont multiplié les stratégies pour défendre ce genre non marqué.
La première stratégie consiste à noyer le singulier en n’ayant recours qu’aux seuls exemples au pluriel. Ainsi Jean Dutourd, Georges Dumézil et Claude Lévy-Strauss expliquèrent, en 1984 que « Quand on dit ʺTous les hommes sont mortelsʺ, ʺCette ville compte 20 000 habitantsʺ, ʺTous les candidats ont été reçus à l’examenʺ, etc, le genre non marqué désigne indifféremment des hommes et des femmes » (il s’agissait d’une réaction du 14 juin 1984, contre le décret du 29 février 1984 créant la commission de terminologie relative au « vocabulaire concernant les activités des femmes » et présidée par Benoîte Groult. En 1986, Jean-Pierre Chevènement refuse de signer le décret officialisant les résultats des travaux de cette commission, l’officialisation prend donc la forme d’une circulaire du premier ministre, Laurent Fabius, du 11 mars 1986). Quoi qu’il en soit, ce trio a un bel avenir puisqu’en 1998, Maurice Druon, Hélène Carrère d’Encausse et Hector Bianciotti s’adressent au président de la République (Le Figaro, 9 janvier 1998) en rappelant que le genre masculin est non marqué et extensif et attribuent la paternité de cette théorie à Georges Dumézil et Claude Lévy-Strauss !
La deuxième stratégie consiste à agiter la peur de la disparition des épouses. Alain Peyrefitte s’interroge ainsi toujours en 1984 (Le Figaro, 23 juin) : « Mais dans ce cas comment désignera-t-on les épouses ? Les gommera-t-on, alors que leur rôle est si important dans une ambassade ou une préfecture ? ». La 9e édition du dictionnaire de l’Académie française commencée en 1984 affirme donc que l’emploi de ʺla ministreʺ « constitue une faute d’accord, résultant de la confusion de la personne et de la fonction ».
La troisième stratégie consiste à s’abriter derrière la défense de la culture française puisque cet emploi du féminin serait le résultat d’une influence américaine. L’antiféminisme rejoignait ainsi l’anti-américanisme. Maurice Druon dont les qualités de linguiste égalaient les qualités de visionnaire, écrivait d’ailleurs en 1997, : « Libres à nos amies québécoises, qui n’en sont pas à une naïveté près en ce domaine, de vouloir dire une auteure, une professeure ou une écrivaine ; on ne voit pas que ces vocables aient une grande chance d’acclimatation en France et dans le monde francophone » (« Madame le ministre, Monsieur la souris », Le Figaro, 15 juillet 1997). En 2005, le même Maurice Druon, du haut de sa morgue académicienne, affirmait que la féminisation, c’était « une affaire de Huronnes » (« Non à une langue défigurée », Le Figaro, 29 décembre 2005).
Enfin la quatrième stratégie consiste à mettre les rieurs de son côté en mobilisant l’humour si particulier de cette communauté dont seul l’habit est encore vert. Georges Dumézil dans un article irrésistible de 1984, intitulé « Madame Mitterrande ? Madame Fabia ? » (Le Nouvel Observateur, 21 septembre) s’interrogeait : « Dira-t-on pour ʺféminiserʺ sans ʺconjugaliserʺ, Madame la recteuse et Madame la rectoresse ? ». Pour lui, un seul féminin a sa faveur : « Ce féminin sonore, - je cite - qui s’élance tout droit du fond de la gorge alors que son masculin fait un étrange détour par le nez, rappelle opportunément que la maladresse n’est pas le monopole des pénipotents ». Et ce féminin, c’est « Conne » !
En 1994, André Frossard prenant sans doute son inspiration dans les meilleurs almanachs du XIXe siècle tonnait contre les initiatives de nos voisins belges et se gaussait : « Décrétée à Bruxelles, la ʺféminisation du vocabulaireʺ nous propose des ʺmatelotesʺ pour nous mener en bateau, des ʺcafetièresʺ pour nous verser à boire, des ʺpompièresʺ pour éteindre nos feux » (Le Figaro 26 février).
En 1998, Jean Dutourd demandait, entre deux prestations aux Grosses têtes, : « Faudra-t-il dire à présent une ʺlaideronneʺ ? » (« Laideron, tendron, dragon », Le Figaro, 11 juillet). La même année, Marc Fumaroli reconnaissait que les femmes ont conquis « de l’autorité, des responsabilités, du pouvoir », mais que « Cela se dit grammaticalement au masculin ». Pour lui les mots en « esse » comme maîtresse riment avec - je cite - « fesse, borgnesse et drôlesse, n’évoquant la duchesse que de très loin ». Il invitait même à trancher entre « recteuse, rectrice et rectale » et concluait en forme de mise en garde : « À moins que nous ne soyons résignés, au fond, à voir le français devenir un artificiel créole (on y dirait, comme les deuxième classe ʺindigènesʺ dans les romans Banania : ʺY’a bon, ma capitaineʺ) » (« La Querelle du neutre », Le Monde, 31 juillet).
Pas étonnant donc qu’en 2002, l’Académie s’arc-boute contre l’emploi du féminin : « L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales » et parle de « Barbarismes » (Déclaration de l’Académie française, 21 mars).
Mais de quoi l’Académie a-t-elle donc peur ?
À suivre