Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Ce quarantième numéro de la revue que nos lecteurs connaissent fort bien continue à croiser l’oeuvre de Roger Messac avec son environnement à la fin des années 1930. Ainsi cette livraison commence-t-elle par la question de la traduction de son œuvre-phare dont la revue porte le titre, sous la plume d’Olivier Messac. Ce dernier se félicite dans sa présentation qu’une version de cet ouvrage existe enfin en anglais, après bien d’autres langues, sous le titre Quinzinzinzany.
Après le courrier des lecteurs et avant l’annonce de l’assemblée générale le 28 mai de l’association des amis de Régis Messac, Olivier Messac signe également une nécrologie de Claude Le Nocher défenseur acharné de la littérature policière et particulièrement des petites maisons d’édition. Il publia plus de 3000 notes de lecture en onze années, les dernières sur un blog qu’il avait créé en 2008. Il est décédé à 59 ans. On remarquera au passage la photographie d’une œuvre d’un autre Messac, Yvan, sculpteur.
Suit une revue de presse signée Anne Gabriel, puis un article dans lequel Pierre Gilles Pélissier se demande si Régis (Messac) était marxiste, question qui avait été posée dans le numéro précédent par Guibert Lejeune. L’auteur écarte tour à tour les dominantes, marxiste, anarchiste et nihiliste pour conclure sur la primauté de l’aspect littéraire, l’écrivain étant certes sujet à des influences, mais se voyant marqué par ses champs d’intérêt, en l’occurrence la science-fiction, peu réductible à des orientations certes fréquentes à l’époque dans les milieux progressistes et plaçant Régis dans un registre inclassable qui ne déplaira pas à ses continuateurs. À la suite de ce travail, on trouve une bibliographie critique très complète de La Cité des asphyxiés.
Guibert Lejeune poursuit ses propres investigations en se demandant cette fois-ci si Messac était libertaire. Ses deux premiers intertitres marquent bien ce qu’il en fut « un aventurier de la pensée libre » et « un marginal ». L’auteur montre qu’un individualiste comme Messac ne peut être réduit à ce que furent ses amitiés, en partie libertaires. L’écrivain fut un homme de progrès. Toute son œuvre en témoigne. Guibert Lejeune poursuivra sa recherche dans le prochain numéro de la revue pour tenter d’affiner le cadre de pensée de Messac. L’intérêt de ces articles est de n’avoir rien d’hagiographique, mais de faire de l’écrivain une sorte de lieu géométrique d’une époque.
Pour décrire le paysage littéraire de ces années, ce numéro publie un texte d’André Prud’hommeaux (1902-1968) où il réfléchit à une idée de roman dont il avait déjà esquissé la trame. Traducteur en français de Last and First Men de l’Anglais Olaf Pederson en 1930, il en vient à contester l’idée même de science-fiction, au profit d’une sorte d’« extrapolation technologique ». Cet article ne manquera pas, par son aspect typologique, voire même épistémologique, d’intéresser les spécialistes du genre, quant à la manière dont on peut imaginer une altérite radicale. On nous permettra de citer intégralement cette phrase qui figure en exergue : « Il n’existe donc rien qui mérite le nom de science fiction. Ou bien l’on propose une véritable découverte, de principe ou d’application, qu’il ne reste qu’à mettre au point -et l’on fait œuvre de science-technologique- ou bien l’on se permet les libertés des contes de fées, et l’on fait de la fiction absolument antiscientifique. Jules Verne et Wells n’ont pas fait autre chose, semble-t-il. ».
Guibert Lejeune continue le travail de groupe que l’on constate dans ce numéro avec la suite d’un essai de bibliographie de l’œuvre d’écriture et de traduction d’André Prud’hommeaux, cette fois-ci entre 1945 et ce qui parut après sa disparition, ainsi que sur les travaux qui ont été consacrés à l’écrivain.
On lira également avec intérêt un texte de Nicolas Winter sur Ernest Pérochon (1885-1942) dont un portait a été choisi pour illustrer la Une de la revue. Après avoir reçu le prix Goncourt en 1920 pour son roman Nêne, il publia cinq années plus tard un ouvrage de « science fiction » profondément pessimiste intitulé Les Hommes frénétiques. Étienne D’Issensac poursuit la mise en exergue de cet écrivain par rapport à nombre de ses collègues masculins et féminins et son engagement qui fit que la Gestapo le surveilla avant qu’il ne meure d’une crise cardiaque.
Trois courts articles clôturent cette livraison : la critique par Hélène Chantemerle de L’été circulaire de Marion Brunet (Albin Michel) qui a obtenu le grand prix de littérature policière en 2018 ; l’analyse par Rémi Malenfant de l’œuvre non-holmienne de Sir Arthur Conan Doyle, en particulier les contes traitant de la médecine et de la boxe ; « Le retour de la guerre de classe » de Jean-Guillaume Lanuque à propos du dernier livre de François Bégaudeau, Histoire de la bêtise (Fayard), article agrémenté par des citations de la rubrique « La bêtise humaine » extraits de la revue Les Primaires à laquelle collabora Régis Messac en 1935-1936. En coda on trouvera l’annonce de la reprise de la revue Aden essentiellement consacrée à l’œuvre de Nizan, par Jean-Paul Moreau, lequel regrette qu’il s‘agisse d’une série de recyclages.
En résumé, ce quarantième numéro montre que l’exégèse messacquienne, dans ses composantes croisées littéraire et sociopolitique n’est pas menacée d’épuisement et mérite d’accroitre son lectorat, ce à quoi nous aimerions pouvoir contribuer.