Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
L’imaginaire romanesque au service d’une post-croyance à dominante immanentiste. Ainsi pourrait-on être tenté de résumer Le Manuscrit oublié de Jean-Jacques Beudin, ouvrage qui véhicule une sorte d’ésotérisme rationnel qui nie les miracles, les transformant en symboles. Sans rien révéler de la trame de ce livre étonnant, nous nous contenterons de dire qu’il est construit avec un fil conducteur reprenant un vieux courant de pensée d’inspiration gnostique qui propose depuis les esséniens une version alternative d’une histoire qui n’est plus sainte, sans en devenir pour autant athée.
Ce roman, publié aux éditions des Trois colonnes, fournit un bel exemple de ce sur quoi va pouvoir s’appuyer, entre autres propositions, une partie des post religieux, leur permettant de ne pas perdre un rapport, non point tant à la transcendance, mais plutôt à l’immanence de leur temple intérieur. Une fois que les descendants d’Irénée et Clément d’Alexandrie, premiers grands falsificateurs dès le IIème siècle se seront éteins ou ne subsisteront qu’à l’état de traces, la croyance ne disparaitra pas, elle se reconfigurera, avant, peut-être de s’éteindre elle aussi quelques décennies plus tard.
Hors de tout complotisme ou de relecture à la Da Vinci Code, le texte est un véritable roman, fort bien écrit, mais il n’est pas un texte à clef. Ce qu’il exprime est limpide, même si bien des lectrices et lecteurs ne croiront pas en un être suprême après ce nettoyage des Évangiles. D’autres comme Bernard Dubourg et son Invention de Jésus pensent que Jésus est une invention littéraire d’un texte hébreu perdu. L’hypothèse du livre de Jean-Jacques Beudin est qu’il fut beaucoup plus humain que ce que les pères de l’Église ont voulu en raconter. Au-delà d’une relecture des textes, c’est une attitude à la fois moderne et traditionaliste qui émerge, débarrassée des scories, et notamment des pruderies accumulées au cours des siècles.
Les francs-maçons et franc-maçonnes spiritualistes en feront leur miel. Même s’il s’agit d’un roman et que le texte est hypothétique, Dieu n’est pas mort, mais le messianisme s’éloigne, de quelque origine qu’il soit. L’histoire reste humaine, se désacralise et indique qu’il n’est nul besoin d’enfantillages pour croire. On nous permettra ici une citation du livre pour éclairer le propos (p 171) : « Dieu n’est pas un concept ʺin abstractoʺ qui se promènerait de nuage en nuage pour régir et organiser le monde ; c’est une essence une cause première et primordiale, un indispensable fil conducteur qui nous relie à l’univers tout entier ».
Mais attention, il s’agit bien d’un roman. En effet, si vers la moitié du texte on commence à s’endormir dans les détails du récit historique, on est brusquement réveillé par des éléments qui nous font irrésistiblement penser à une possible, voire nécessaire adaptation de cette œuvre au cinéma. Cette trame romanesque est au service de la transmission d’un message, mais ne s’y réduit pas. Des personnages existent en effet, à qui il arrive des aventures. Aux deux tiers de l’œuvre, on bascule dans le polar qui reconfigure le processus de transmission du message, sans rien altérer de son contenu.
En conclusion, nous avons à faire à un ouvrage étrange, une sorte de roman à thèse tel qu’il est né au XVIIIème siècle avec les Lumières et fut repris plus tard par des écrivains catholiques et qui avait à peu près disparu du paysage littéraire. Le courant gnostique ou, plus généralement, les visions alternatives du christianisme ou du judaïsme ont fait l’objet de nombreux ouvrages, mais pas, notre connaissance, de romans de ce type.