Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
Depuis l’an passé, nous voyons une montée inquiétante de l’antisémitisme. Pensons, par exemple, aux attentats aux États-Unis ou aux slogans antisémites des Gilets Jaunes. Nous proposons de revenir ici sur ce retour bruyant depuis le début des années 2010. Mais est-ce réellement un retour ? Sommes-nous plutôt dans un « nouveau moment antisémite » pour reprendre l’expression de Pierre Birnbaum ? En effet, cet antisémitisme se manifeste de nouveau violemment et bruyamment, dans un milieu extrémiste de droite radicalisé, en particulier dans la mouvance néonazie (ce qui est somme toute logique), nationaliste-révolutionnaire, identitaire ou catholique traditionaliste.
II/Regards outre-Atlantique
Le postnazisme peut être défini comme un discours défendant la race blanche, foncièrement raciste, au contenu ouvertement antisémite, mais qui ne cherche pas à minimiser ou à nier le génocide des Juifs européens. Au contraire, ses tenants l’assument et souhaitent « passer à autre chose » selon le mot terrible de Greg Johnson, l’un de leurs théoriciens actuels importants, au motif que la race « blanche » subirait aujourd’hui son propre génocide par la promotion de l’homosexualité, le métissage, la substitution ethnique et l’« immigration-colonisation », organisée par les Juifs. Ces militants, à la suite des théoriciens/militants des années 1970 et 1980, tel David Lane, considèrent que ce sont les juifs, rescapés du génocide européen, qui se vengeraient de l’échec de leur extermination.
Ces milieux ont assimilé les différentes évolutions idéologiques des uns et des autres, européennes d’une part avec une reprise des thèses néonazies et ethnodifférentialiste ; et américaines d’autre part, ce que Nicolas Lebourg appelle le « néonazisme mondialisé » : il ne s’agit plus de défendre la seule race nordique, mais toute la « race blanche ». En effet, après-guerre, l’extrême droite états-unienne muta, à l’instar des extrêmes droites européennes, mais en restant dans la continuité des discours et des positions du début du XXe siècle.
En outre, il ne faut pas oublier que l’extrême droite états-unienne a des références communes avec le national-socialisme – il ne faut pas oublier que les nazis furent influencés par les discours raciaux des théoriciens américains, comme les nativistes Lothrop Stoddart ou Madison Grant, de nouveau publiés aujourd’hui tant en France qu’aux États-Unis. Mais il est vrai que Grant et Stoddard influencèrent les raciologues nazis dans leurs propres conceptualisations raciales. Ce jeu de références communes est mis en avant par un Philippe Baillet par exemple.
De fait, ces militants américains ont défini une nouvelle forme d’antisémitisme inspiré à la fois du national-socialisme et de la tradition raciste américaine. Ils s’inspirent également des terroristes des années 1970 et 1980, comme David Lane, l’auteur du Manifeste du génocide blanc. S’il n’est plus cité explicitement par les militants qui passent à l’acte depuis quelques années, ses idées, notamment celle d’un génocide blanc organisé par les « juifs », sont toujours présentes implicitement dans les motivations des terroristes. On retrouve également l’idée de la nécessité de la défense de la race blanche des périls qui la menacerait.
En ce sens, ces militants se placent dans l’héritage intellectuel du deuxième Ku Klux Klan, celui qui a existé entre 1915 et 1944, dont les positions étaient ouvertement fascisantes et qui défendait déjà l’homme blanc précarisé. Sa haine n’étaient pas tournée uniquement vers les Afro-Américains : elle visait également l’Église catholique, les Juifs et les immigrants non « White Anglo-Saxon Protestant » (WASP). Nous y retrouvons tous les thèmes de l’extrême droite antisémite américaine actuelle. Les thèses du « grand remplacement » ne datent donc pas d’aujourd’hui – au sens propre comme au figuré. Ces idées se retrouvent aujourd’hui en France comme le montre les réactions sur les forums des plus extrémistes des militants radicaux.
Enfin, il y a un dernier lien entre les Européens et les Américains : la question du paganisme. Si les païens aux États-Unis sont moins de 0,5 % des croyants, cette référence n’est pas mineure, bien au contraire : il s’agit pour les théoriciens radicaux de l’extrême droite de revenir à la vraie foi européenne, c’est-à-dire à une religion non juive, le christianisme étant analysé comme un rejeton du judaïsme. Cette idée se retrouve en France chez les militants de Terre & Peuple ou dans la revue Réfléchir & Agir. Elle est mise également par qu’autres anciens du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE) comme Philippe Baillet précité ou le franco-allemand Pierre Krebs. L’antisémitisme reste donc un point doctrinal chez eux.
À suivre