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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’antisémitisme et l’antisionisme d’extrême droite depuis les années 2010 (3/3)

Stéphane François

Depuis l’an passé, nous voyons une montée inquiétante de l’antisémitisme. Pensons, par exemple, aux attentats aux États-Unis ou aux slogans antisémites des Gilets Jaunes. Nous proposons de revenir ici sur ce retour bruyant depuis le début des années 2010. Mais est-ce réellement un retour ? Sommes-nous plutôt dans un « nouveau moment antisémite » pour reprendre l’expression de Pierre Birnbaum ? En effet, cet antisémitisme se manifeste de nouveau violemment et bruyamment, dans un milieu extrémiste de droite radicalisé, en particulier dans la mouvance néonazie (ce qui est somme toute logique), nationaliste-révolutionnaire, identitaire ou catholique traditionaliste.

III/L’antisionisme d’extrême droite

Cet antisémitisme peut être mis en lien avec un antisionisme radical, très ancien. Il s’inscrit dans la tradition de la mouvance nationaliste-révolutionnaire européenne, qui émerge dans les années 1950. Ses origines sont à chercher dans l’aile gauche du nazisme, voire chez certains SS, et dans le fascisme historique. On le retrouve également chez l’américain Francis Parker Yockey, l’une des références importantes du néonazisme mondialisé et des nationalistes-révolutionnaires.

 Certains de ses représentants les plus importants, dont d’anciens cadres nationaux-socialistes, ont pu développer une politique arabe poussée, parfois qualifié d’« autre tiers-mondisme », associée parfois à une conversion à l’islam. L’un des arguments doctrinal de cet antisionisme est de combattre le « système », c’est-à-dire l’axe « américano-sioniste ».

Cet antisionisme était assez dynamique dans les années 1970 et 1980. Pensons au slogan du Groupe union défense (GUD) du début de la décennie suivante (celui de Frédéric Chatillon) : « À Paris comme à Gaza Intifada ! ». Il était le fait de militants évoluant aux marges du néonazisme, du traditionalisme ésotérique et du nationalisme-révolutionnaire. Certains de ses militants sont connus comme l’italien Claudio Mutti, converti à une forme chiite de l’islam, ou le britannique David Myatt, qui après une conversion à l’islam en 1998 est revenu, dans les années 2010, à une forme de paganisme « aryen ». Alexandre Douguine a également longtemps évoluait dans ces sphères, considérant le judaïsme incompatible avec l’eurasisme.

À côté de cela, il y a une autre forme d’antisionisme, lié au tiers-mondisme développé par le militant belge Jean Thiriart, qui n’avait aucune sympathie pour la religion musulmane, mais qui a trouvé, jusqu’à son décès au début des années 1990, du charme aux régimes autoritaires arabes laïcs : il prôna toute sa vie lalliance avec les nationalistes arabes, en particulier syriens et palestiniens, dans une entreprise de « libération » de la Palestine et de l’Europe dune occupation censément américano-sioniste.

Enfin, nous trouvons régulièrement dans ces milieux une condamnation d’Israël, qui masque difficilement un antisémitisme. Par un tour de prestidigitation, ce discours antisémite s’est transformé en un discours « antiraciste antijuif » : ce type de discours est structuré par une série d’amalgames et de glissements sémantiques successifs dans lequel le judaïsme et le sionisme fusionnent et deviennent des synonymes de racisme et de colonialisme. Par un effet miroir, l’antisémitisme devient un « contre-racisme » et un anticolonialisme. Ce type de formulation était fréquent, par exemple, chez l’écrivain Pierre Gripari, un compagnon de route à la fois de la cause arabe et de l’extrême droite. Ses essais, voire certains de ses articles dans Défense de l’Occident ou Rivarol, se caractérisaient par une dénonciation obsessionnelle du « racisme juif », ou du « racisme de l’État d’Israël », le sionisme… Son mécanisme est le suivant : « Les Juifs sont tous des sionistes plus ou moins cachés ; or le sionisme est un colonialisme, un impérialisme et un racisme ; donc les Juifs sont des colonialistes, des impérialistes et des racistes déclarés ou dissimulés ».

Cependant, cet antisionisme est en perte de vitesse depuis les années 2000, la montée du terrorisme islamistes et le tournant identitaire de l’extrême droite euro-américaine. Certains de ses promoteurs européens l’ont abandonné au profit d’une politique de défense de la race blanche. Certains, comme Philippe Baillet qui a été pro-arabe et pro-islam dans les années 1980, en sont revenus et considèrent que ce fut une erreur. Philippe Baillet y revient d’ailleurs longuement dans L’Autre tiers-mondisme, paru en 2016 chez Akribeia.

L’un des exemples de cette évolution reste Guillaume Faye, passé d’un soutien aux régimes arabes autoritaires et d’une alliance euro-arabe dans les années 1980 au nom du combat contre l’occidentalisation du monde à un rejet de ce tiers-mondisme à la fin des années 1990 au nom de la nécessité de préserver l’identité et la race blanches. Son soutien à Israël et au judaïsme, développé dans La Nouvelle question juive (Le Lore, 2007), a provoqué une rupture : les nationalistes-révolutionnaires européens et les identitaires issus du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE) le considèrent comme trop « sioniste ». Ses positions non hostiles à Israël et au judaïsme font qu’il est rejeté également par les négationnistes et les catholiques traditionalistes. Guillaume Faye est l’un des rares de cette nébuleuse à avoir évolué dans ce sens. Si ses anciens amis ont rompu également leur soutien au monde arabo-musulman, ils n’ont pas pour autant évolué quant à leur antisémitisme…

Ce tour d’horizon montre que l’antisémitisme d’extrême droite n’a jamais disparu et qu’il n’était pas résiduel. Les évènements récents l’ont malheureusement montré violemment.

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