Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Vince Joachim
Le sociologue Pierre Odin, analyse dans ce brillant essai (La Découverte, mai 2019), les causes profondes de la grève générale qui a eu lieu en Guadeloupe et en Martinique en 2009 pour protester contre la vie chère et la « pwofitsayon, exploitation outrancière, capitaliste et colonialiste ». Le caractère exceptionnel de la durée et de l’ ampleur de ce mouvement a marqué l’opinion et les politiques.
La lutte contre la cherté de la vie a été lancée à l’appel de deux coalitions, Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) en Guadeloupe et Le Kolectif 5-Février (K5F) à la Martinique. Créées à l’initiative des principaux syndicats, elles regroupaient tout de même des organisations bien plus larges que celles des seuls salariés, à savoir des associations culturelles ou écologiques, de consommateurs, d’agriculteurs, de petites mutuelles. Comment a pu s’opérer l’unité entre ces différentes organisations ? Quel a été le facteur unitaire ?
Pierre Odin a donc procédé à des entretiens avec des syndicalistes, des militants politiques et certains acteurs de la mobilisation, et a réalisé des observations sur le terrain sur une longue durée, en parallèle de quelques recherches dans les archives.
Il retrace la genèse du mouvement syndicaliste antillais depuis les luttes révolutionnaires et anticolonialistes des années 1960-1970 et met en lumière les spécificités du fonctionnement des syndicats guadeloupéens et martiniquais. Il révèle ainsi la forte tradition anticolonialiste des organisations syndicales qui a permis de mettre l’accent sur le système d’échanges économiques entre la métropole et les îles.
Si le cadre de mobilisation s’est fait autour de la pwofitasyon, « innovation sémantique », la dénonciation de la « violence économique, sociale et culturelle » est devenue le réceptacle des différentes identités contestataires.
C’est à partir de l’analyse du LKP et du K5F en tant que coalitions, que l’auteur montre où a résidé leur force : avoir su donner un sens au mécontentement généralisé fondé sur le thème de la pwofitasyon, à partir d’une dénonciation radicale de l’état des choses. Il faut noter que la réussite du mouvement tient aussi au fait que les organisations ont oublié leurs divergences et renoncé partiellement à leur autonomie.
La maîtrise de l’organisation générale est cependant restée dans les mains des syndicats. L’opération d’unification a réussi à travers le thème de la pwofitasyon, car il évoque la continuité entre les rapports sociaux caractéristiques de l’époque coloniale et ceux de la situation actuelle. « Il y avait un enjeu stratégique et symbolique à mettre en avant l’unité d’action : maintenir une cohérence organisationnelle sans violer les prérogatives propres à chaque organisation ».
Cet essai permet de mieux comprendre l’ampleur du mouvement dénonçant la violence économique, sociale et culturelle et mettant en relation l’économie de la période coloniale et celle de la période actuelle.