Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Alors que le catholicisme, nul n’en ignore désormais, sauf les crédules, est en passe de s’éteindre sous nos climats et que le communisme n’existe plus qu’à l’état de trace en Europe, on pourrait penser qu’une telle étude spécialisée serait de peu d’utilité. Que nenni ! S’il s’agissait simplement dans cet ouvrage publié par La Découverte de savoir si tel ou tel jésuite fut plus ou moins collaborateur du fascisme qu’un autre dans les années 1930, cela intéresserait quelques historiens spécialisés dans le travail idéologique de l’Église face aux régimes totalitaires allemand et russe. Mais il y eut la Shoah et elle aurait pu être moindre si la sainte Église apostolique et romaine avait choisi une autre attitude et si un certain pape n’était pas parti ad patres un peu trop tôt.
Pie XI, incontestablement moins haïssable que son successeur eût-il en effet vécu quelques années de plus, la face du monde n’en eût été totalement changée, mais le mal absolu eût été quelque peu adouci, si l’on ose dire. En fonction de 1922 à 1939, Pie XI (Ambrogio Damiano Achille Ratti, 1857-1939) prépara en effet en l’an de grâce 1937 une encyclique sur l’unité du genre humain, Humanis generis unitas, dans laquelle il entendait condamner, entre autres points on ne peut plus cruciaux, les vieilles lunes de l’antisémitisme. Il en confia la préparation à un jésuite américain, John LaFarge, qui s’adjoignit plusieurs confrères, deux allemands et un français, coordonnés par le général des serviteurs de Jésus (SJ) Wladimir Ledochowski. Mais le pape mourut avant la fin de la rédaction et de la traduction en latin et, du coup, le texte ne fut jamais publié. Il avait été retrouvé et commenté en 1995 par Georges Passelecq et Bernard Suchecky dans des conditions longuement décrites dans l’ouvrage qu’ils firent paraître à cette date et La Découverte propose cette nouvelle édition augmentée.
L’ouverture des archives de Pie XI, aussi étonnant que cela puisse paraître, ne date que de 2003, mais cela n’a pas transformé en profondeur la connaissance que les spécialistes avaient du dossier. En 2006 avait déjà été confirmée l’existence de ce texte. Certains feront peut-être le lien avec la recherche de manuscrits perdus. En l’occurrence il s’agit d’une encyclique avortée, puis soigneusement cachée. Quand on sait que les archives du successeur, Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli (1876-1958) ne sont pas encore ouvertes…
Nous ne tenterons pas de résumer le texte de cette encyclique dont l’intégrale est présentée dans l'ouvrage. Le système totalitaire y est critiqué et pour ce qui est du rapport au Juif, nous citerons, le paragraphe 145, intitulé : « Les persécutions ne font qu’accentuer les maux ». On verra que si l’antisémitisme est condamné, c’est dans une conception passablement cynique consistant à considérer que la meilleure façon de lutter contre un adversaire serait l’indifférence.
« Les leçons de l’histoire ont à plusieurs reprises démontré que les persécutions, loin de diminuer les caractères anti-sociaux ou nocifs d’un groupement opprimé, ne font que qu’accentuer les tendances qui les ont vu naître. Ce qui n’était qu’orientations assez dynamiques et tendances vagues d’individus ou de groupements insignifiants se concrétise, sous l’action de la persécution, en un ensemble de traits généralisés, fortement marqués et définis. L’opposition ne fera que les accentuer encore. Les victimes de la persécution croient trouver dans la persécution même et l’oppression la justification des attitudes que l’on voulait supprimer en elles ».