Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
Nous proposons de revenir ici sur un point particulier du discours extrémiste de droite, l’écologie, et plus précisément sur les aspects restitutionniste et romantique de celle-ci. Nous entendons par cette expression l’idée selon laquelle il existe une forme de pensée écologiste, propre à l’extrême droite, héritière du romantisme politique allemand du XIXe et du début du XXe siècle, qui souhaiterait revenir au modèle civilisationnel et sociétal des sociétés païennes européennes. Pour élaborer notre schéma de pensée, nous avons repris ici la typologie des différentes formes de romantisme établie par Michael Löwy et Robert Sayre en 1992 dans Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité : restitutionniste, conservateur, fasciste, résigné, réformateur, révolutionnaire et/ou utopique. Nous nous en distinguons toutefois sur un point : selon nous, il existe un néo-romantisme utopique, parfois naturaliste, ouvertement restitutionniste, voire raciste, qui cherche à restituer des communautés édéniques racialement pures.
Un refus de la Modernité
Les militants à la conception ethniste et enracinée de l’écologie furent parmi les premiers à théoriser l’idée d’un retour à la nature, de la pratique des bains de lumière (le naturisme), d’un mode de vie alternatif construit en opposition à la modernité et tribal, un intérêt pour la nourriture « biologique », etc. Ils s’intéressèrent également aux spiritualités de marge, en particulier les « religions ethniques européennes » -c’est-à-dire le paganisme dont nous parlerons plus longuement ultérieurement- et idéalisèrent la reconstruction d’un passé qui n’a jamais réellement existé, comme l’aryanisme et le l’ethnodifférantialisme, que nous retrouverons par la suite chez les militants écologistes d’extrême droite…
Cette vision passéiste eut pour conséquence de voir le développement au cours du xxe siècle d’un discours extrémiste de droite très antimoderne. Dès leur naissance à la fin du siècle précédent, ces premiers mouvements se sont aussitôt présentés comme un refus du monde moderne et industriel qui émergeait alors. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne, pays rural, s’est modernisé et industrialisé rapidement, en une vingtaine d’années, provoquant en retour un fort rejet à connotation romantique.
Au-delà du cas allemand, ce refus se retrouve chez tous les précurseurs conservateurs ou d’extrême droite du mouvement écologique au nom du risque de décadence spirituelle de la civilisation, ce qui pouvait donner naissance à un discours à la fois écologiste et conservateur, voire nationaliste.
Ces militants écologistes revendiquent un antilibéralisme tant économique, philosophique que politique. Selon ceux-ci, le libéralisme, principal héritage des Lumières, étant à l’origine de la mondialisation et prônant l’universalisme, détruit à la fois les identités nationales et la nature par son éloge du marché sans entrave et son consumérisme productiviste. Le libéralisme y est vu comme une idéologie reposant exclusivement sur la liberté et l’individualisme, qu’elle soit économique ou politique, une liberté qui met en péril les modèles holistes des sociétés traditionnelles européennes. Plusieurs auteurs antimodernes furent récupérés intellectuellement dans les années 1980, comme Heidegger, Guénon, Evola, Dumont, afin de construire un discours idéologique cohérent.
Dans ce discours, le passé n’est plus inférieur au présent et à l’avenir, comme il est soutenu dans le cadre d’une vision progressiste du monde, mais au contraire, il est supérieur à ceux-ci. Dans ces discours, le monde moderne peut être vu, comme le règne des « antivaleurs » contemporaine que sont l’égoïsme et le relativisme, voire comme le règne de la démesure, l’hubris des Grecs. Dès lors, la modernité devient une sorte de monstre protéiforme d’où proviennent tous nos maux, les « antivaleurs », et dont les États-Unis sont les principaux propagateurs.
En condamnant le libéralisme donc, à l’origine de nos sociétés modernes contemporaines, cette extrême droite peut être vu comme des nostalgiques d’un âge d’or, forcément holiste. Dans un tel système, l’individu n’existe pas en tant que tel mais s’insère dans un nœud de relations sociales, c’est l’organicisme. En ce sens, il s’agit également d’une forme de primordialisme. Celui-ci s’inspire de la pensée anti-Lumière d’un Fichte et surtout d’un Herder. L’holisme écologique de l’extrême droite étend ces nœuds de relations au-delà de la sphère humaine pour englober l’environnement, dont il devient indispensable de défendre l’intégrité. Pour défendre une telle vision du monde, il devient nécessaire de s’émanciper de l’idéologie du progrès.
Nous retrouvons cette idée, associée à celle identitaire de la préservation de la race blanche, chez les promoteurs actuels de l’« écofascisme », comme Tarrant, pour qui l’essor technique met à mal les valeurs de la civilisation païenne européenne. En effet, ces militants, en s’inscrivant dans une logique à la fois völkisch et holiste, se mettent à faire la promotion de la vie naturelle contre les vices de la vie urbaine ; de l’ordre harmonieux de la nature contre l’idéologie du progrès ; l’esthétisme des communautés rurales ou traditionnelles contre la laideur de la société industrielle, de l’enracinement contre l’atomisme ; les petites communautés contre la mégalopole, etc. Pensons, par exemple, aux thèses développées par le groupe identitaire Terre & Peuple qui fait la promotion, outre un racisme radical, des activités folkloriques souvent de nature païenne (célébration du solstice d’été, sapin de Noël, veillée, arbre de mai, costumes régionaux, etc.) ; de la promotion du régionalisme ; de l’éloge du naturisme et des médecines naturelles ; du refus du christianisme, vue comme une religion universaliste destructeur des particularismes culturels locaux, etc.
Chez ces auteurs, la terre apparaît comme la source primordiale de l’élément nourricier, comme l’ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle, qui aurait été mise à mal par l’avènement des sociétés industrielles. Les romantiques, les premiers, ont véhiculé cette vision nostalgique du monde et donné aux sociétés traditionnelles, cet aspect de « monde perdu ». Cette vision du monde comprend aussi un régionalisme assez fort, qui lui est consubstantiel, et qui s’inspire des régionalistes d’extrême droite comme Yann Fouéré ou Ollier Mordrel.
Une conception païenne du monde et de la Nature
Dans ce type de discours, l’amour du terroir et la nostalgie d’une pureté perdue se combinent à une critique du capitalisme et, parfois, à une idéalisation des communautés organiques. Parallèlement à cette promotion romantique de la terre et des régions, ces militants conçoivent un néopaganisme, qui serait la réactivation des paganismes indo-européens de l’Antiquité européenne. En effet, l’écologie radicale qui nous intéresse ici défend une dimension spirituelle, foncièrement païenne.
Les néo-païens, quelle que soit leur idéologie ou leur pratique, ont une vision précise de l’écologie : le recours à la théorie des cycles cosmiques, respectant le jour et la nuit, le changement de saison, les équinoxes, les solstices, etc. jouent un rôle important dans leur vision du monde : l’homme, en oubliant l’importance de ces cycles, a perdu sa place dans cette harmonie. Cette forme d’écologie reconnaît en effet le caractère « vivant » de la nature, postulant l’existence des lieux « sacrés » prédestinés, propices à la célébration des cultes et l’existence de cycles cosmiques qui forceraient les hommes à se mettre en harmonie avec le monde. Dans cette perspective, non anthropocentrique, la Terre et l’univers sont perçus comme un grand tout harmonieux auquel l’homme est associé par son être même. Cette vision cyclique forçait les hommes à se mettre en harmonie avec le monde. Ce simple constat porte en lui une critique radicale de la modernité car il dénie implicitement toute légitimité au modèle économico-social dominant, destructeur d’une harmonie originelle. L’objectif, aujourd’hui, dans ces milieux, est de revenir à cette harmonie perdue.
Ainsi, le Manifeste du GRECE, publié en 2000, largement écrit par Alain de Benoist et Charles Champetier, prend position « Pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste », les auteurs s’affirmant en faveur d’une écologie radicale qui « doit aussi en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos ». Car « [...] cette transcendance immanente fait de la nature un partenaire, non un adversaire ou un objet. Elle ne gomme pas la spécificité de l’homme, mais lui dénie la place exclusive que lui avaient attribuée le christianisme et l’humanisme classique. À l’hubris économique et au prométhéisme technicien, elle oppose le sens de la mesure et la recherche de l’harmonie. »
L’écologie de l’extrême droite est donc une quête d’un monde perdu, qui s’exprime au travers d’une conception précise du monde. Il s’agit d’une quête d’une harmonie perdue sous les coups de la modernité technoscientifique et de la mondialisation des flux de population. En ce sens, l’écologie de l’extrême droite est bien une forme de romantisme restitutionniste, cherchant à recréer, à réinventer les civilisations païennes de l’Antiquité européenne, mises à mal par un christianisme étranger, cosmopolite et sectaire.