Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
28 Décembre 2019
Jean-Pierre Bacot
Au sein de la corporation des historiens de la maçonnerie, une catégorie comptant de rares spécialistes s’attache à l’archéologie. Loin des fantaisistes pour qui l’ancienneté fonctionne comme un critère de légitimité, les chercheurs de la revue Renaissance traditionnelle travaillent sur archives et s’ils annoncent en couverture de leur numéro 194 qui paraît avec un semestre de retard qu’ils ont découvert le plus ancien document maçonnique français datant de 1732, on peut leur faire confiance. Il s’agit non pas des célèbres archives russes revenues en France après la chute du Mur de Berlin en 1989 qui avaient fourni bien des informations, mais d’un manuscrit concernant la loge L’Anglaise de Bordeaux que Pierre-Yves Beaurepaire est aller rechercher à Minsk, en Biélorussie. Louis Trébuchet élargit la question à une synthèse de ce que l’on sait aujourd’hui de l’activité maçonnique bordelaise dans la première partie du XVIIIème siècle.
Suit l’annonce d’une autre découverte, celle de l’initiation de Cagliostro dont le certificat d’entrée à la Grande loge en 1777 a été déniché. Reinhard Markner reprend les connaissances acquises autour de ce personnage haut en couleurs qui maçonna en plusieurs villes d’Europe dont celle de Lyon, où il fonda ce qui devait s’appeler d’abord le rite égyptien, en plein essor d’un imaginaire oriental dont Schikaneder témoignera, entre autres, en offrant à Mozart en 1791 le livret de Zauberflöte.
Katsuma Fikasawa s’attache ensuite à analyser les trois crises qui sont survenues à Marseille après la création de la loge La Triple union, fondée au printemps 1782 au Grand orient et dont les vingt années d’existence passionnent les adeptes et/ou historiens de la Stricte observance templière. Claude-François Achard, son vénérable décida en effet l’année suivante de se rattacher au groupe que dirigeait Willermoz, le Directoire écossais de la province d’Auvergne siégeant à Lyon. On lira avec intérêt comment furent pratiqués, à Marseille, le rite français, puis le rite écossais rectifié autour de trois personnages, Achard, Castellanet et Pastoret qui connurent pendant et après la révolution des trajectoires bien différentes.
L’infatigable Roger Dachez se penche sur un autre manuscrit, celui du grade de maître écossais du régime écossais rectifié qui se trouve à Lyon et concerne les années 1782-1802. L’historien fait le point dans un article largement étayé d’illustrations d’époque sur les rares découvertes intervenues depuis la publication par René Guilly et lui même d’un premier bilan de recherches, l’histoire de ce courant d’inspiration chrétienne étant désormais bien balisée.
Pour terminer ce numéro, Thomas de la Sore analyse la manière dont les humanités numériques permettent de cartographier les nombreuses données fournies par le célèbre fichier Bossu, patiemment réalisé dans les années 1960 et légué par son auteur à la Bibliothèque nationale de France. Géographie des loges, réseaux des francs maçons, les techniques de croisement des données permettent de les rendre à la fois moins austères et plus opératives.
Une fois de plus, l’équipe de Renaissance traditionnelle nous offre un bilan de recherches que certains jugeront peut-être austère, mais qui contribue à solidifier les bases d’une franc-maçonnerie française qui se développe autour de sa diversité, chaque branche respectant d’autant plus les autres qu’elles ont connaissance de la réalité de leur histoire. Que l’imaginaire ait une place dans de qui s’est construit ne doit pas conduire à des constructions imaginaires.