Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Comme son prénom ne l’indique plus, Marie Aycard fut un homme, un écrivain marseillais dont Jean-Luc Buard découvrit qu’il était de sexe masculin, ce qui était pourtant connu à son époque, avant de sortir de l’oubli cette écrivaine qui n’en était pas une, en toute modernité historique, puisque travaillant à la fois sur les traces papier de son œuvre et sur ce qui en est aujourd’hui mis en ligne. Loin d’être isolé, ce franc-maçon, membre de la loge La française de Saint Louis à Marseille, dramaturge, feuilletoniste, nouvelliste et à la fin de sa vie vaudevilliste, fonda le Cercle académique de Marseille, collabora à des revues provençales et se fixa à Paris en 1822.
Soyons transparent, le livre qui vient de sortir aux presses de l’École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) de Villeurbanne : Culture médiatique et presse numérisée, médiasphère des feuilletons–nouvelles de Marie Aycard (1794-1859) nous a fait un immense plaisir. Le rédacteur ce ces lignes eut en effet l’honneur et l’avantage de diriger la thèse de Jean-Luc Buard en 2015, dont cet ouvrage est issu.
L’un des intérêts de ce travail fouillé, outre l’analyse de ce qu’il est convenu d’appeler la médiasphère, laquelle aura permis aux historiens de l’information et de la communication d’élargir le champ de leur recherche, est l’extension de la recherche dans la presse régionale puis internationale qui permet de traquer une diffusion des œuvres de cet écrivain beaucoup plus large qu’on ne pouvait l’imaginer, ainsi que les processus de traduction.
Quant à la notoriété de Marie Aycard, elle existait, mais ne se situait pas à un niveau suffisant pour résister à l’oubli. Il n’existe pas dans l’actuel état des trouvailles d’autres portraits d’Aycard que celui que fit Nadar pour La lanterne magique dans « la lanterne magique des auteurs et journalistes de Paris » parue dans le Journal amusant en 1852, celui-ci écrivant : « Encore un Marseillais, le feuilleton fait chair, j'entends le feuilleton-type, la petite nouvelle, en un numéro, fraîche, légère et court vêtue, sentimentale parfois, quand elle n'est pas tout bonnement spirituelle, telle en un mot que l'ancien Courrier français l'avait créée : j'ai nommé Marie Aycard, et je ne suis pas fâché que ce visage barbu et enlunetté vienne par mes soins donner démenti à plus d'un commis voyageur qui s'est vanté à table d'hôte de ses relations avec la célèbre Marie Aycard. M. Aycard a à peu près abandonné aujourd'hui le feuilleton pour le vaudeville : ce n'est pas les théâtres qui y perdent. »
Ce que fait Jean-Luc Buard, ce n’est pas seulement de sortir cet écrivain des limbes, il en fait un cas d’école de ces producteurs de contenu indispensables à ce qui s’est construit à partir de 1830 comme univers de presse, en particulier dans le monde du feuilleton, parallèlement à l’élargissement des pratiques de lecture.
Fidèle à sa pratique, l’auteur nous offre le texte d’une nouvelle d’Aycard, L’écu de cent sous qui permettra de juger à la fois du style et de l’imaginaire de notre auteur et de ce que ce qui était donné à lire à un lectorat qui ne cessait de se développer. C’est en particulier de ce texte que Jean-Luc Buard s’est servi pour traquer ce qu’il a ensuite défini comme une diffusion proliférante. Rocambole avait commencé dès 2003 à publier des textes qui ont contribué à la renaissance.
L’auteur, co-fondateur de la revue Rocambole que nos lecteurs connaissent bien et dont il assume désormais la rédaction en chef, sans préjudice de ses autres casquettes, est un spécialiste reconnu de cette médiasphère qui a fait sortir les érudits de leur bibliothèque (où ils retournent régulièrement) pour des heures passées sur leur ordinateur et a construit des chercheurs universitaires innovants. Comme le dit l’auteur : « Les journaux numérisés (sont) une nouvel enjeu communicationnel au XXIème siècle. »