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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Une barbarie de moins en moins douce et une collaboration de plus en plus forte ? (2/4)

Julien Vercel

L’État essuie des manifestations et des oppositions fortes dans la mesure où il est devenu le défenseur d’un modèle repoussoir de société avec ses politiques publiques qui participent au néolibéralisme (1). C’est d’ailleurs cette collaboration, cette alliance entre l’État et le néolibéralisme qui définit le mieux « le nouveau monde » politique. Ce phénomène de collaboration a de lointaines racines dont les premières sont européennes.

Comment la concurrence est devenue un objectif de la construction européenne

 

            Dans « Les métamorphoses du statut de la concurrence dans les traités européens » (Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, n°24, été 2011), Damien Broussolle explique que, dans le traité de Rome (1957), la concurrence était seulement un des instruments pour réaliser les objectifs de la construction européenne : le développement économique et l’augmentation du niveau de vie. De plus, la préoccupation était surtout de veiller à établir une concurrence « non faussée », c’est-à-dire « loyale ». Il s’agissait donc de mettre sur un pieds d’égalité toutes les entreprises du marché commun.

 

Le traité de Rome prévoyait, en outre, un mécanisme d’harmonisation sociale qui nécessitait l’unanimité des Etats-membres et qui ne sera donc pas mis en œuvre. Il prévoyait aussi des dispositions contre les ententes et les abus de position dominante sans, pour autant, contrôler les concentrations. Il faut attendre un règlement de 1989 pour que ce contrôle soit confié à la Commission européenne (règlements n°4064/89 du 21 décembre 1989 puis n°139/2004 du 20 janvier 2004), un contrôle désormais a priori et qui permet la répression de toute création ou renforcement de position dominante. Premier glissement, la concurrence n’est plus un simple instrument parmi d’autres, elle devient un principe à respecter et c’est là la première étape de sa mutation.

 

Par ailleurs, il n’est plus seulement exigé de la transparence sur les aides publiques accordées par les États, mais c’est leur suppression pure et simple qui est fixée comme objectif.

 

Le traité de Masstricht (1992) consacre ces évolutions. La concurrence devient un « horizon indépassable de la politique économique » (Damien Broussolle, op. cit.). Elle est d’ailleurs qualifiée autrement : elle passe de « loyale » (« fair ») à « libre » (« free »). Et la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) adopte une jurisprudence très extensive ignorant les critères français qui distinguent « secteur marchand » et « secteur non-marchand » ou « le but lucratif » et « le but non lucratif. » Enfin cette « libre concurrence » s’applique non seulement aux entreprises comme auparavant, mais également aux États.

 

Il ne reste plus qu’au projet de traité constitutionnel (2004) à constitutionnaliser la concurrence comme un objectif de l’Union européenne au même titre que la paix et le bien-être des peuples ! Malgré le rejet de ce projet, le protocole n°27 sur le marché intérieur et la concurrence, annexé au traité de Lisbonne (2007), confirme de façon subreptice le statut quasi constitutionnel de la concurrence. L’Union européenne peut ainsi entrer dans l’aire néolibérale avec des États-membres au service de la théorie de l’équilibre général par les seuls marchés, avec la concurrence comme seule régulation.

 

Mais ce que retrace Damien Broussolle dans cette histoire de la concurrence européenne était en germe bien avant. C’est en tout cas ce que démontre Michel Foucault dès la fin des années 1970 (« Naissance de la biopolitique », Cours au Collège de France, 1978-1979) en reprenant l’histoire de l’ordo-libéralisme allemand et en distinguant le néolibéralisme du libéralisme classique. Ce dernier consistait à simplement laisser l'économie libre de telle sorte à garantir le jeu de la concurrence. Pour les libéraux, la concurrence était une donnée primitive altérée par les interventions de l’État, d’où le mot d’ordre de « laissez faire » et la primauté des échanges. Mais à partir du moment où la concurrence n’est pas un état primitif qu’il faut respecter, mais un objectif historique à atteindre, l’Etat se met au service de cet objectif sans relâche. Le principal changement entre le libéralisme et le néolibéralisme est donc de placer, non l’échange, mais la concurrence comme principe du marché. Comme l’écrit Michel Foucault, le passage du libéralisme au néolibéralisme modifie les politiques publiques : désormais, « il faut gouverner pour le marché, plutôt que gouverner à cause du marché » (Leçon du 7 février 1979).

 

À suivre : Comment le service public s’invente en « low cost. »

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