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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Genèse de l’État et du droit au Cameroun (1472-1961). Les racines d’une Nation en construction » de Blaise Alfred Ngando

 

Raphaël Rubio

 

Yaoundé. 1O Septembre 2019. Le visage du Président camerounais, Paul Biya, est empreint de gravité. Le dirigeant africain doit en effet affronter une crise menaçant l’existence même du pays. Depuis plusieurs années des tensions s’expriment dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. L’unité du Cameroun parait fracturée. C’est ainsi que le 1er octobre 2017, une dizaine de milliers de personnes marche pour proclamer l’indépendance d’un nouvel État, «La république d’Ambazonie». Les villes de Bamenda et Buea s’enflamment. La répression, terrible, fait couler le sang. 40 morts et plus de 100 blessés. Les régions anglophones, basculent, dans ce qui ressemble à un conflit civil.

 

Les revendications avancées par les populations de ces zones «culturellement différentes», s’inscrivent en réalité dans le processus de décolonisation. Dès les années 1990, le chercheur Piet Konings avait souligné, combien les régions anglophones étaient mues par le «sentiment d’être marginalisées, exploitées, et assimilées, par un État dominé par les francophones». En d’autres termes, les citoyens anglophones remettent en question la façon, dont, depuis l’indépendance, le Cameroun a «fait nation». Les récriminations touchent des éléments essentiels de la vie publique. On y aborde la reconnaissance culturelle, les postes dans les universités, les grandes écoles, l’accès aux soins ou aux logements. Le constat, amer, cimente un sentiment de révolte. Le conflit s’enlise. 2 000 morts, 530 000 personnes déplacées, la violence quotidienne, se transforme en crise humanitaire. Le Cameroun, au prix fort, paye une décolonisation construite sur un modèle beaucoup trop centralisé.

 

En ce 10 septembre 2019, le discours de Paul Biya, reste néanmoins très ferme. Acculé, le Président, décide de convoquer un «Grand dialogue national». Le dirigeant camerounais évoque alors les «idées simplistes et fausses procédant de la propagande sécessionniste». Il insiste sur «la prétendue marginalisation des anglophones» ou encore «sur les accusations ridicules de génocide». Si le dialogue doit être ouvert, la limite à ne pas franchir demeure claire: le Cameroun restera une République «une et indivisible». L’injonction présidentielle jette cependant le trouble parmi une partie de la population. Comment, dès lors, panser les plaies d’un pays fragmenté, sans, à minima, poser la question du fédéralisme ou de la décentralisation ? Le «Grand dialogue» fut d’ailleurs l’occasion d’une fronde. Quelques délégués, vent debout, surent mentionner les sujets qui fâchent : réforme du code électoral, limitation des mandats exécutifs, transformation du pays en un État fédéral, transparence démocratique. Si le basculement du Cameroun vers un plus grand «Républicanisme civique» paraît inéluctable, une immense incertitude pèse encore sur son avenir.

 

C’est que ce pays parait condamner à faire œuvre de « rénovation ». Retisser du lien et admettre, en Afrique, la cohabitation entre plusieurs ordres des choses n’est pas forcément aisée. Quoi de plus difficile, après tout, que de savoir unir sans culpabiliser. Comment, enfin, être ce « Royal tisserand », si cher à Platon et à la sagesse antique? Cette ambition, salutaire, est l’une de celle qui anime le livre écrit par le professeur Blaise Alfred Ngando, Genèse de l’État et du droit au Cameroun et disponible, depuis avril, chez L’Harmattan.

 

« Ma réflexion commence à Aix-en-Provence dans la décennie 2000-2010 avec mon Mémoire de DEA explique le Professeur, Maître de Conférence agrégé en Histoire du Droit épistémologie juridique et Droit comparé à l’Université de Yaoundé 2. Elle se poursuit avec ma thèse en histoire du droit sur la présence française au Cameroun de 1916 à 1959. Travaux à partir desquels j’essaie de comprendre le sens de l’influence juridique occidentale dans ce pays d’Afrique qui a connu une triple colonisation allemande, française et britannique. »

Devenu, en 2008, avocat, Blaise Alfred Ngando, ne cesse de se consacrer aux choses de l’esprit. Plusieurs ouvrages, dont une biographie, remarquable, de Nelson Mandela (Le Prince Mandela, essai d'introduction politique à la renaissance africaine, Maisonneuve et Larose cop., 2005), font de cet intellectuel l’un des meilleurs spécialistes du droit africain. Son analyse amène le lecteur sur le chemin d’une vision inédite du pluralisme, du droit, et de l’État et de la société.

La notion de pluralisme, en particulier, échappe, aux définitions, pourtant riches, délivrées jusqu’ici par la tradition philosophique. Si historiquement, dans la lignée des penseurs contre-révolutionnaires, ce concept fut une arme dirigée contre l’égalité républicaine, il se mua, un siècle et demi plus tard, en véritable axiome démocratique. L’idée de Reconnaissance, et avec celle de multiculturalisme, conditionne actuellement une réflexion sur la pluralité. Charles Taylor, pour ne citer que lui, insiste, à ce titre, sur la spécificité des identités « dialogiques ». En tant qu’être à part entière, nous voilà enchâsser dans un réseau « en interaction avec les autres donneurs de sens ». Langages, mots, gestes, habitus, façon même d’insérer sa personnalité dans un récit social, notre identité, loin d’être figée, s’impose comme un faisceau d’expériences plurielles. Tout l’art politique, reviendrait à reconnaître ces faits culturels comme « bien fondamentaux ».

Le lecteur occidental ne doit pourtant pas s’y méprendre. L’ouvrage du Professeur Blaise Alfred Ngando, ne se réduit pas aux philosophies politiques de types « Taylorien ». Force, par exemple, est de constater que l’Honneur aristocratique, au Cameroun, coexiste avec des formes d’individualisme juridique. Là où précisément la pensée de Charles Taylor prenait acte de l’effacement progressif des anciennes sociabilités, celle de l’agrégé de Droit, mesure concrètement la tension se nouant entre les différents systèmes d’allégeances.

Nous devons ici souligner une seconde différence. Blaise Alfred Ngando, contrairement, à Taylor, ne focalise pas ses thèses sur la notion d’authenticité. Dans la lignée des travaux anthropologique de Yoanna Rubio, l’intellectuel camerounais sent combien le jeux des constructions identitaires passent par une phase d’ « imitation » ou d’« exagération de soi ». Il appartient, nous l’avons dit, à Yoanna Rubio, d’avoir souligner, au sein des communautés Gitanes, ce genre de phénomène. Anthropologue toulousaine, et ami proche du Professeur Ngando, les travaux de cette chercheuse, apparaissent avant-gardistes. Ses études sur la population gitane de Berriac dans l’Aude, ont clairement démontré l’existence d’un « Faire Gitan ». Les fils de Sainte Sara négocient en permanence leur identité. Confronter à des non gitans, il arrive que certains d’entre eux surjouent leur culture. L’objectif est double. Protéger, d’une part, leurs places au sein de la société, et être capable de manœuvrer sur plusieurs tableaux, puisque, en d’autres occasions, les gitans, installés en France depuis la fin du moyen âge, s’affirment fièrement «  plus français que les payous » (les non gitans). Ces jeux de miroirs, de masques et de faux semblant, devraient, pour le Professeur Ngando, être pleinement acceptés!  À ses yeux, il est du devoir des pouvoirs publics de laisser intact les espaces où, les individus, eux aussi, seraient libres de « faire » ou « de pratiquer leurs cultures ».  

L’ouvrage dresse, alors, le portrait de « l’Homme Africain », image vivante, de ce que l’individu occidental a perdu.

Toute conception du monde repose, nous le savons, sur une vision, particulière, de l’être humain. La théologie, notamment, a très tôt connu ce genre de questionnement. Considérer que le genre humain fut simplement blessé par le Péché originel, et non entièrement corrompu, engage effectivement deux visions assez différentes de la spiritualité ou de la religion. Il est en de même en philosophie politique. Le Citoyen irrémédiablement médiocre dépeint par Machiavel s’oppose bien évidement à l’idéalisme de l’individu abstrait, intimement moral, porté par le courant le plus optimiste des Lumières. La problématique des fins, c’est à dire des buts de l’aventure humaine, se trouve de fait solidement adossée à une anthropologie singulière.

Là encore, le Professeur Blaise Alfred Ngando fait preuve d’innovation. Nul aspect téléologique, nul but, n’est clairement affiché dans son ouvrage. L’auteur ne propose directement ni projet d’émancipation, ni vision de ce que devrait être une «vie bonne»  ou « idéale ». En juriste, l’agrégé de droit, se préoccupe de l’existant. Son anthropologie est concrète. Elle repose, sans jugement de valeur, sur une science élevée de l’observation.

Le Cameroun estime-t-il est un pays complexe. Traversé par un esprit animiste, respectueux du sacré, communautaire, organique, il est par la même occasion un État centralisé, moderne, doté d’une conception du citoyen de type libéral individualiste. Dans cette perspective chaque instance, qu’elle soit de nature traditionnelle, religieuse, coutumière, ou républicaine, produit, par sa seule présence du Droit, des règles, des interdits et des devoirs. Tel est « l’Homme africain ». Une personnalité plurielle et riche de ses attaches. Ce dernier possède la chance de pouvoir se définir comme citoyen libre et membre à part entière de telle ou telle communauté. Sur ce point Blaise Afred Ngando est parfaitement clair. Le pluralisme juridique est une chance. Son émergence serait l’une des conditions d’un processus de reforme.

« L’État central, assène-t-il, doit renégocier son monopole, sous peine de s’effondrer et d’engendrer dans le pays un désordre sans fin. Pour cela, il doit symboliquement ʺmourirʺ, pour ʺrenaîtreʺ en symbiose avec la société ou les communautés qui, depuis l’époque coloniale, sont privées d’une réelle participation à la marche de leur destin. Ce passage à une dialectique Droit(s)-société(s) suppose que l’État demeure le catalyseur institutionnel de l’unité nationale, mais redevient humble, se déconstruit pour reconstruire sa légalité à partir du paradigme de la légitimité des normes qui régulent de manière effective la société et la vie réelle des communautés. » 

La Dialectique « Droits-société » s’impose comme l’un des points essentiel du livre. Il appartiendrait à l’État, de se réconcilier avec la société civile, pour engager, ensemble, une dynamique de changement.

Un lecteur occidental pourra rapprocher cette ambition de celle entreprise par Alexis de Tocqueville au XIXème siècle.  Plusieurs lignes de forces sont en effet présentes en Afrique. Des constructions étatiques, inspirées du modèle occidental, voisinent avec des groupes sociaux traditionnels. Penser « la Démocratie en Afrique » reviendrait à faire œuvre de « Royal tisserand ».

Les lecteurs, fréquentant, comme nous, certains cénacles, y trouverons, avec bonheur, une résonance particulière. Le Professeur Ngando sous entend combien le secret des réformes démocratiques gît dans la capacité à « unir ce qui épars ». L’ouvrage de l’intellectuel camerounais, invite, dès lors, le citoyen européen, et spécifiquement, celui qui  travaille « de midi à minuit », à décentrer enfin son regard. Pourquoi, après tout, user, en loge, de rites et de mystères, comme, si quelques part, la société, en soi, n’assumait plus sa fonction initiatrice. Tachons ainsi de lire l’ouvrage du Professeur Blaise Alfred Ngando, comme une définition, nouvelle de l’universalisme. Là bas, en Afrique, la dialectique entre l’un et le multiple, ouvrira un jour, les chemins d’une démocratie rénovée. Soyons certains, qu’en homme libre et de bonne mœurs, nous serons accueillir la belle lumière de cette immense« rectification. »

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