Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Le racisme aux États-Unis. Un (bref) rappel historique

Stéphane François

La diversité culturelle, ethnique ou raciale, des États-Unis est relativement récente. Le pays ne s’est pas construit comme un État tolérant promouvant le mélange, mais au contraire sous l’influence anglo-saxonne et raciste des premiers colons qui souhaitaient préserver une population ethniquement homogène. Ainsi, les autres groupes de populations furent racialisés de façon permanente, tels les populations afro-américaines ou amérindiennes, ces dernières étant victimes de massacres organisés, puis de lois restreignant leurs droits. On propose de faire ici un bref panorama du racisme anti afro-américain de ce pays depuis la fin du XIXe siècle.

Le racisme aux États-Unis est lié à l’histoire de sa colonisation, depuis sa façade Est, par différentes populations venant de Grande-Bretagne, des Pays-Bas, d’Allemagne et de Scandinavie, c’est-à-dire par des populations majoritairement protestantes et de type « nordique », les fameux « WASP » pour White Anglo-Saxons Protestants (les anglo-saxons protestants blancs) qui sont à la fois la matrice « raciale » de ce pays et la catégorie sociale de son élite. En effet, les pères fondateurs désiraient avoir une population homogène. Si beaucoup d’entre eux avaient fui une Europe en proie aux guerres et à l’intolérance religieuses et souhaitaient un « Nouveau Monde » respectueux des différences religieuses - principalement protestantes ou issu de sectes protestantes -, ils n’en souhaitaient pas moins une unité ethnique : celle des WASP. Ils y parvinrent dans un premier temps : lors de l’indépendance de ce pays, en 1776, la majorité de la population étaient d’origine anglaise, le reste étant composé d’Écossais, d’Irlandais, d’Allemands, de Hollandais et de Suédois. À l’exception des Irlandais, tous étaient protestants. Dès l’implantation de colonies, le rejet du « mélange des races » était présent : n’oublions pas que la loi dans ce pays contre les « unions mixtes » (comme on dit aujourd’hui) date de 1691 et fut promulguée en Virginie.

Si durant le XIXe siècle, les autres populations européennes furent acceptées, ce n’est pas sans racisme. Ce siècle attira une nouvelle immigration qui venait du Sud et de l’Est de l’Europe : Italiens, Polonais, Slaves, Grecs, Russes, Hongrois, Tchécoslovaques, Lituaniens ainsi que des Juifs européens fuyant les pogroms et les persécutions. Parmi les populations extra-européennes, les Chinois et les Japonais en furent les victimes, bien qu’ils participèrent à repousser la Frontière.

Surtout, le pays fut longtemps favorable à l’esclavage, particulièrement dans sa partie Sud-Est, régions de grandes plantations de coton. C’est d’ailleurs en lien avec la volonté des États du Nord, abolitionnistes, que les États du Sud firent sécession entre 1861 et 1865, afin de maintenir l’esclavage. Ses habitants souhaitaient en effet préserver ce mode d’exploitation. Après la défaite des États confédérés, certains militaires voulurent continuer la lutte et punir les Afro-Américains devenus libres. C’est ainsi que naquit le Ku Klux Klan primitif le 24 décembre 1865. Cette première association suprémaciste blanche d’ampleur nationale sema la terreur durant plus d’un siècle, auprès des populations afro-américaines qui restèrent dans les anciens États confédérés et fut « officiellement » dissoute en 1869 pour devenir « l’empire invisible des chevaliers du Ku Klux Klan ». Cette association criminelle fut soutenue par les notables des anciens États confédérés. Elle attira également les populations pauvres blanches qui devinrent à la fois un soutien et un vivier de recrutement. Des populations qui pratiquaient une forme radicale de « justice ».

Durant la Conquête de l’Ouest, la justice fut expéditive et beaucoup d’« étrangers » en furent les victimes, dès qu’ils « offensèrent » un Blanc (comprendre un WASP). Cette forme de « justice », connu sous le nom de « loi de Lynch », du nom d’un patriote de Virginie et qui a donné le mot « lynchage », se caractérisait par une justice sommaire se terminant la plupart du temps par une pendaison. Les Afro-américains étaient les premiers visés dans les anciennes colonies britanniques, en particulier dans les États du Sud, fiefs du Ku Klux Klan : entre 1880 et 1930, plus de deux milles Noirs en furent les victimes.

Après cette période de conquête, et pour restreindre la nouvelle immigration qui atteignit son apogée entre 1890 et 1914 et mettait en péril l’homogénéité religieuse et ethnique des premières années, le courant nativiste, défendant et promouvant la « race » nordique des WASP, tenta de mettre en place des quotas raciaux. Cela fut d’autant plus aisé que l’époque était au racisme « scientifique », faisant des Aryens (et plus largement des populations nordiques) une « race » aux qualités morales et intellectuelles supérieure sur les autres. Les Aryens étaient en effet considérés comme des créateurs de civilisations. Il s’agissait également de limiter les droits civiques des Afro-américains et de justifier « scientifiquement » leur esclavage. Les lois de ségrégation, connues sous l’expression générique de « Lois de Jim Crow » furent promulguées entre 1864 et les années 1960. Elles distinguaient les citoyens selon leur appartenance raciale (une « seule goutte de sang noir » faisait de la personne une afro-américaine) et, tout en admettant leur égalité de droit, elles imposèrent une ségrégation de droit dans tous les lieux et services publics, en particulier l’école. Ces lois interdisaient également les mariages entre personnes de « races » différentes. Elles ne furent abolies qu’en 1964 lorsque les Afro-Américains eurent les mêmes droits civiques que le reste de la population états-unienne. Sans aller jusqu’au sort indigne des esclaves noirs ou du génocide des populations amérindiennes, certaines populations européennes (Irlandais, Espagnols, Italiens, populations balkaniques, etc) étaient considérées comme racialement inférieures, sans parler des populations extra-européennes. Ainsi, dès le début du XXe siècle, plusieurs lois, sous l’influence de nativistes comme Madison Grant et de Lothrop Stoddard, mirent des barrières à ces immigrations. L’objectif était de préserver la pureté de la race « WASP ». Pour ce faire, les nativistes, c’est-à-dire le courant eugéniste et raciste cherchant à préserver ce rameau « supérieur », ont promulgué des lois dites d’« alphabétisation » qui restreignaient l’accès du pays aux illettrés. En fait étaient visées les populations précitées. Dans les années 1920, des quotas furent mis en place, avec les Emergency Quota Law (« Lois des quotas d’urgence ») qui privilégiaient les populations immigrantes venant d’Europe du Nord ou de l’aire anglo-saxonne, Irlandais compris cette fois-ci.

C’est dans ce contexte de polarisation raciale et de promotion des WASP que naquit le second Ku Klux Klan en 1915, légal, fondé par Williams J. Simmons, à la suite de la sortie la même année du film Naissance d’une Nation de David W. Griffith. Ce Klan avait des positions ouvertement fascisantes. Il a eu jusqu’à cinq millions de membres, dans le sillage de la défense de « l’homme blanc » précarisé par le krach boursier de 1929. En 1925, ce Klan a pu mobiliser 40 000 membres qui défilèrent à Washington. Sa haine n’étaient pas tournée uniquement vers les Afro-Américains, bien qu’ils furent les principales victimes des lynchages : elle visait également l’Église catholique, les Juifs et les immigrants non WASP. Ainsi, en 1913, un directeur d’usine juif, Leo Franck fut lynché à Atlanta : il était accusé d’avoir violé et tué l’une de ses employées, blanche et chrétienne. Les membres de ce second Ku Klux Klan firent aussi la chasse aux syndicalistes et aux militants communistes et socialistes, s’associant aux milices patronales pour briser des grèves. Les éléments les plus radicaux furent séduits par le national-socialisme. L’entrée en guerre de l’Allemagne contre les États-Unis provoqua des scissions.

Plusieurs groupes inspirés du fascisme et du national-socialisme naquirent, comme en Europe, durant cette période. Certains d’entre eux, comme les « chemises d’argent », étaient chrétiens, surtout protestants. Tous ces groupes étaient violemment antisémites et assimilaient, comme en Europe, les Juifs au communisme. En effet, il y avait des points communs entre les militants américains et les nazis comme l’idée de la supériorité raciale des populations nordiques ou l’antisémitisme radical. Celui-ci était, comme en Europe, assez partagé par les Américains. Ainsi, une personne comme Henry Ford, le fondateur de la marque automobile, a pu écrire des pamphlets ouvertement et violemment antisémites, tel Le Juif international, qui furent lus et commentés par Adolf Hitler. Ford fut d’ailleurs un soutien financier du nazisme. Néanmoins, il ne fut pas le seul à avoir des sympathies pour ce régime : plusieurs vieilles familles WASP en avaient aussi. Ainsi, Charles Lindberg ne cacha pas ses sympathies pour l’État national-socialiste. De fait, il existait des intérêts réciproques : les théoriciens américains de la race, comme Grant ou Stoddard, influencèrent les raciologues nazis dans leurs propres conceptualisations raciales. En outre, les nazis étaient également très intéressés par les lois raciales américaines en vigueur. Ainsi, les juristes nazis s’en inspirèrent dans les années 1930 pour élaborer leurs propres lois raciales dont les tristement célèbres lois de Nuremberg de septembre 1935. La Seconde guerre mondiale changea la donne.

Après-guerre, l’extrême droite états-unienne muta, à l’instar des extrêmes droites européennes, mais en restant dans la continuité des discours et des positions du début du XXe siècle. Cependant, il ne fut plus question de défendre la seule composante raciale nordique, mais la race blanche dans son ensemble. Le Ku Klux Klan réapparut sous plusieurs formes concurrentes. Toutefois, il connut une nouvelle prospérité dans les États du Sud, durant les années 1950 et 1960. Ses membres reprirent la pratique du lynchage de Noirs et la destruction d’écoles ou d’églises afro-américaines.

La fascination pour le national-socialisme ne disparut pas avec la fin du Troisième Reich, au contraire. On vit naître dans ce pays dans les années 1950 et 1960 des groupuscules ouvertement néonazis, tels le Parti nazi américain (American Nazi Party), fondé en 1959 par l’activiste George Lincoln Rockwell. Ce dernier fut assassiné par un membre de son groupuscule en 1967. Mat Koehl le reprit en main, dans un sens ouvertement néo-païen, qui le rebaptisa Parti national-socialiste du peuple blanc (National Socialist White People’s Party). Il existe toujours, vivotant avec 400 membres et prône encore le suprémacisme blanc et l’antisémitisme. Cette période vit aussi l’apparition de nazis grotesques, comme Gary Lauck, « führer » du NSDAP-AO (parti national-socialiste des travailleurs allemands en exil) qui reprit la coupe de coiffure et la moustache d’Hitler. S’il existe des groupes parodiques tel celui-ci, il ne faut pas minimiser la violence de ces groupes. En effet, les différents groupuscules néonazis faisaient la promotion d’une fraternité aryenne et pratiquaient des formes de religions inspirées du paganisme germanique ou scandinave. Ils fusionnèrent dans les années 1980 avec les groupes skinheads et les groupes suprémacistes blancs. Certains de ces militants néonazis/suprémacistes blancs, théorisèrent dans les années 1970 une forme de terrorisme. Ce fut le cas de William Luther Pierce, auteur en 1978 des Carnets de Turner, un vade mecum néonazi terroriste sous couvert de roman. Ce livre inspira Timothy McVeigh, l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City en 1995. Ces groupes sont parfois en lien avec l’un des groupuscules se revendiquant du Ku Klux Klan. Ainsi, un militant radical comme David Dukes est passé du néonazisme au Klan, avant de fonder une autre structure suprémaciste blanche.

Des groupes racistes, à la marge du nazisme, du Ku Klux Klan et du protestantisme radical WASP, apparurent également faisant la promotion d’Églises racistes. Ses adeptes postulent plusieurs points, développés également dans les années 1920 et 1930 par des groupes extrémistes protestants allemands (dont certains fusionnèrent ou soutinrent le nazisme) : l’idée que le Christ était un Aryen persécutés par les Juifs ; que les Tribus perdues d’Israël étaient aryennes ; que le « Peuple élu » est d’origine anglo-saxonne/germano-scandinave et enfin que l’Amérique est la « Terre promise ». Ce courant du protestantisme est appelé dans ce pays Christian Identity (« identité chrétienne »). Plusieurs de ces « Églises » font partie de la Nation aryenne, fondée dans les années 1970 par le « révérend » Richard Butler, qui regroupe différentes structures suprémacistes blanches. Ces églises « identitaires » ont aussi des liens avec les groupuscules qui se réclament du Ku Klux Klan. Dans les années 2000, la Nation aryenne éclate en plusieurs groupes opposés qui revendiquent tous une forme raciste de christianisme et le suprémacisme.

Dans les années 1960 et 1970, les États-Unis virent également le développement d’un racisme universitaire. Ses promoteurs, comme son nom l’indique, sont des universitaires cherchant à prouver l’infériorité intellectuelle des populations afro-américaines, reprenant ainsi les vieux postulats racistes des esclavagistes. Il existe toujours et ses responsables sont aujourd’hui assimilés, comme les néonazis d’ailleurs au mouvement de l’Alternative right (« alt-right ») placé sous les feux des projecteurs lors de l’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Ce mouvement est ouvertement de nature suprémaciste blanche.

Parallèlement à ces mouvements ouvertement racistes, les États-Unis ont vu durant cette période l’essor des Milices, souvent chrétiennes, d’ailleurs. Ces mouvements paramilitaires, estimés suivant les époques entre 160 et 340 structures réparties dans le pays – surtout dans les zones peu habitées – ont un discours à la fois survivaliste (il s’agit de se préparer à l’effondrement civilisationnel des États-Unis), anti-communiste (nous sommes dans le contexte de la Guerre froide) et anarchiste (il s’agit de préserver les libertés des Pères fondateurs contre un État supposé totalitaire). Les premiers survivalistes apparaissent aux États-Unis au début des années 1970, dans le double contexte de la Guerre froide et des Choc pétroliers. Certains d’entre eux décident à la fin de cette décennie de se constituer en communautés libres dans des zones reculées du pays. Ils ne sont pas les seuls : plusieurs groupes suprémacistes blancs en font autant pour éviter de côtoyer des populations d’autres « races ». Pour les miliciens, il s’agit de fonder une société auto-suffisante qui se place dans l’héritage des Pères fondateurs.

Les derniers théoriciens du racisme à l’américaine affirment même depuis quelques années que les Juifs sont à l’origine du génocide des peuples blancs par la promotion de la société multiculturelle, en particulier par la promotion des « peuples de couleurs » (comprendre évidemment les Afro-américains), par la promotion du métissage et des minorités sexuelles. Ces idées d’ailleurs très en vogue dans la mouvance suprémaciste blanche sont connues aujourd’hui sous l’expression d’« alt-right ». Le racisme anti-Noirs aux États-Unis actuel est donc le produit d’une longue histoire. Il y a une nette continuité idéologique entre les premiers discours énoncés dès le début du XIXe siècle et aujourd’hui.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
U
Bonne synthèse de l'auteur ! Merci à l'auteur pour cet article utile ...
Répondre