Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Débutants » de Catherine Blondeau

 

Benjamin Rathery

 

Il existe des œuvres qui ont ce double caractère rare d’être à la fois ancrées dans une époque et pourtant à portée universelle. Le premier roman de Catherine Blondeau, Débutants (éditions Mémoire d’encre, 2019), est de celles-là. Il y est question de guerres, de spoliation, d’homophobie, d’amour et de bonheur, non comme une toile de fond prétexte à autant de développements savants ou de digressions lourdement didactiques, mais comme autant d’éléments nourrissant la profonde humanité des personnages, dans leurs qualités, leurs défauts, leurs aspirations et leurs limites.

 

À travers le récit croisé de trois existences, l’autrice questionne les identités construites dans la seconde partie du XXème siècle et nourrit des allers-retours entre passé et passif. Il ne s’agit pas de se lancer à la figure « l’homme du passé » contre «  l'homme du passif », comme les duettistes Valérie Giscard d’Estaing et François Mitterrand, lors de leur débat télévisé le 5 mai 1981. Il s’agit plutôt de prendre le temps de raconter (en 551 pages) ces vies complexes, plurielles, soumises à réinterprétations au fur et à mesure que les événements s’éclairent différemment.

 

Il y a d’abord Nelson Ndlovu, professeur d’Afrique du sud qui vient secouer les certitudes sur la préhistoire des universitaires et membres de sociétés savantes occidentales. Les pages où cet intellectuel propose à ses homologues européens un changement de point de vue, un pas de côté, sont particulièrement stimulantes : sur Mandela, quand il entend les Français dire que c’est « un président parmi les plus grands du XXe siècle. Un de Gaulle noir. Un Churchill noir. Ces comparaisons censément flatteuses l’agaçaient. Quand est-ce qu’on dirait de Jean Moulin que c’était un Lumumba blanc ? » Même si Nelson se fait parfois donneur de leçons, ses affirmations péremptoires sont bientôt contredites par la sinuosité de son parcours, avec un père figure ambigüe de la lutte antiapartheid.

 

On trouve ensuite Peter Lloyd, traducteur anglais, veuf de Marcus, son amour londonien décédé du sida. Il y a enfin Magdalena Kowalska dite Magda, polonaise qui tient une chambre d’hôte, femme libre et indépendante, rieuse qui n’a fréquenté qu’une université, « la seule où je sois jamais allée, l’université de mon corps. » Elle est venue de Silésie et se découvre des aïeules victimes des persécutions nazies et communistes.

 

Les trois personnages se retrouvent en Dordogne, dans le village de Meyrals, car tout cela se noue et se dénoue en France ! Peter et Magda sont voisins. Peter garde souvent le fils de Magda. Magda héberge Nelson pendant son séjour au musée préhistorique puis lorsqu’il revient amoureux. Ils apprennent que le bonheur n’est pas un état stable, mais est le résultat d’un équilibre subtil et précaire, dépendant souvent des autres, qui l’acceptent ou le rejettent parfois avec une violence extrême. Là aussi le village, même en Dordogne, peut receler des gestes de haine. Même l’amour n’y peut rien, cet amour qui nait entre Magda et Nelson, elle, d’abord rétive, « Moi, je ne veux pas qu’on me mette en cage, et l’amour, ça finit toujours comme ça »,  face à Nelson qui affirme que l’amour « c’était la seule chose valable que les êtres humains aient inventé depuis la domestication du feu. »

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article