Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Ne nous libérez pas, on s'en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours » de Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel

 

Benjamin Rathery

 

Dès son titre, cette étude historique affirme la couleur : rendre compte de « l’ensemble des combats pour l’égalité et la liberté des sexes » et « rendre compte de cette formidable énergie » portée par les femmes. Même si des hommes ont pu contribuer à ces combats  (et ils sont cités), l’ouvrage donne d’abord une visibilité aux femmes souvent ignorées par la « grande » histoire (masculine) et aux mouvements qu’elles ont créés et auxquelles elles ont participé depuis 1789. Son premier mérite est donc de rassembler ce qui peut paraître dispersé dans les féminismes français, d’où la « formidable énergie » qui est préférée aux images habituelles de « nébuleuse » ou de « vagues. »

 

Ne nous libérez pas, on s'en charge (éditions La Découverte) est mené de façon claire et documenté (750 pages d’une lecture aisée encore facilitée par la maquette de Valérie Gautier) et consiste à retracer l’histoire des féminismes en France, non de façon exhaustive, mais en mettant « en valeur certains points saillants. » Il s’agit bien de parler de féminismes au pluriel, « compris à la fois comme mouvements sociaux, identités politiques et courants de pensée », c’est-à-dire avec leurs complexités, leurs dissensus et leur diversité.

 

En outre, la démarche des autrices intègre la question de l’intersectionnalité qui propose d’étudier les discriminations du « point de vue à la fois social, racial et familial. » Cette « proposition intersectionnelle ébranle la conviction structuraliste d’une domination patriarcale qui engloberait toutes les autres dominations. » Le lien entre les questions d’émancipation des noirs et des femmes avaient d’ailleurs déjà été posé antérieurement. Ainsi les autrices rappellent que Simone de Beauvoir, proche de Richard Wright, écrivain africain-américain, ne manquait pas de rapprocher les situations pour mieux les déconstruire : « Les Noirs venus d’Afrique en France connaissent aussi – en eux-mêmes comme en dehors – des difficultés analogues à celles que rencontrent les femmes » (Le Deuxième sexe, Gallimard, 1949). Ce lien est pleinement intégré aux chapitres qui n’oublient donc pas les combats féministes dans les Outremers ou dans les colonies.

 

Le récit du combat mené pour obtenir le droit de vote et d’éligibilité est un exemple passionnant pour comprendre l’apport de la « proposition intersectionnelle » et pour toutes celles et tous ceux qui s’interrogent sur le sens de l’universalité selon les époques et les sensibilités. C’est ainsi que l’ordonnance du 21 avril 1944 qui (enfin) ouvre ce droit aux femmes passe sous silence le cheminement continu dont elle est le résultat : le nouveau droit est donc présenté comme un octroi alors qu’il est une conquête puisqu’il a été « revendiqué par les mouvements féministes depuis le XIXème siècle. » Avec la démarche intersectionnelle, l’un des apports de l’ouvrage est de rappeler aussi que le suffrage que l’on pouvait croire véritablement universel en 1944, n’a été appliqué en Afrique occidentale française (AOF) et en Afrique équatoriale française  qu’en 1956. Quant à l’Algérie, en 1947, seules les non-musulmanes avaient le droit de vote et le suffrage ne devint universel qu’en 1958 ! En effet, l’ordonnance de 1944 renvoyait à des décrets pour son application hors métropole. En AOF et AEF, le droit de vote a été d’abord limité aux Africaines mères de deux enfants vivants ou morts pour la France (loi électorale de 1951). Une exception : au Sénégal, la mobilisation des femmes et de leurs alliés permet d’obtenir le droit de vote dès un décret du 30 mai 1945. Le rappel de cette chronologie tempère « l’universalité » de 1944 comme en 1848 déjà, lorsque l’instauration du suffrage était dit « universel » alors qu’il ne concernait que les hommes.

Enfin, en ce qui concerne la franc-maçonnerie, on lira avec plaisir les développements sur la philosophe Maria Deraisme et le journaliste Léon Richer au moment de l’installation de la République. Ils rappellent heureusement qu’il a existé (et qu’il existe encore) des sœurs et des frères qui n’imaginaient pas travailler à l’amélioration de l’être humain et de la société dans le secret d’un boys club.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article