Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
George Curtis
Il faut écrire. Et c’est sans doute la chose la moins facile à faire dans ce moment où la colère, la tristesse, ou encore l’incompréhension se mêlent. Il faut écrire pour que la pensée se partage et que chacun puisse tenter de faire le point, de rationaliser, et d’avancer de nouveau. Il faut écrire pour Samuel Paty et tous les enseignants qui se lèvent chaque matin pour travailler à l’amélioration de la société, quelles que soient les embûches ou leurs conditions de travail.
Le meurtre, à proximité de son établissement, d’un enseignant est un acte fondamental et une nouvelle marque de la barbarie et l’absurdité de ces actes terroristes. Depuis près de trente ans, des terroristes, qui se réclament d’une religion, l’Islam, s’en prennent à tous les symboles de la vie moderne. Ils tentent de saper les fondements de notre société et nous empêcher d’emprunter une voie, que nous devrions bâtir selon un idéal de progrès et de lumière.
La première chose que nous pouvons et devons faire, c’est de nous arrêter. Nous arrêter et nous poser, nous reposer. Vivre le deuil, dont nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’il peut être pour les proches de Monsieur Paty, pour sa compagne et leur enfant, pour ses parents. Mais aussi pour ses collègues, ses amis, ses élèves et tous ceux pour lesquels il a contribué à la formation intellectuelle et citoyenne. Et qui touche bien plus largement tout notre pays, tant il est le symbole de la fragilité de ce que nous sommes si nombreux à tenter de construire, chaque jour.
C’est le sens de la démarche maçonnique et ce qui nous meut, chacun dans notre vie et tous, collectivement, dans la recherche d’une amélioration de l’humanité. C’est notre engagement et notre devoir, de travailler à rassembler l’humanité et à lui permettre de s’élever au-delà des bassesses et des rancœurs que peut engendrer la vie quotidienne.
Nous pouvons avoir, dans la société, de nombreux désaccords et des volontés différentes, des regrets et des crispations. Nous devons poursuivre notre recherche du chemin le plus juste, entre pas de côté et ligne médiane. Mais cela ne peut jamais se traduire par une acceptation que des actes de barbarie nous séparent de nos concitoyens. Rien ne peut ni ne doit nous écarter de la recherche du Beau et du Juste.
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Le terrorisme a frappé une nouvelle fois notre pays et la décence doit appeler chacun à la retenue et à la dignité. Nous n’avons pas le droit de nous déchirer et d’appeler à la vengeance ou à la répression aveugle. Nous devons prendre le temps, collectivement, de rendre hommage à Samuel Paty. Nous devons réfléchir aux moyens de renforcer notre communauté nationale, pour que la blessure béante causée par la mort d’un professeur ne se transforme pas en voie d’entrée de la haine et de la violence, déjà bien trop souvent présentes dans notre monde.
Le rôle de l’école, des enseignants, dans la République est majeur et trop souvent minoré. Nombreux se concentrent sur les défauts des enseignants davantage que sur ce qu’ils contribuent à faire : construire une société éclairée. Nous oublions parfois à quel point personne ne « se fait seul », mais comment, collectivement, nous apprenons et transmettons notre expérience. Nous avons pourtant tous en mémoire le nom d’un ou de plusieurs professeurs qui nous ont particulièrement marqués et qui nous servent d’exemple dans notre vie. Ils nous ont appris à travailler, à apprendre, à partager et à avancer ensemble.
La colère ressentie face à un tel acte de barbarie est normale. Il ne peut en être autrement face à un acte aussi révoltant, car aucune personne ne devrait être attaquée pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle représente aux yeux de la société. Aucun fantasme, aucune peur ni aucune rancune ne peuvent jamais justifier le meurtre d’un être humain.
Il faut travailler à renforcer notre sécurité collective, évidemment. Comment est-il possible que les forces de renseignement puissent être aussi affaiblie qu’une polémique de cet ordre puisse durer une semaine et se terminer par un tel drame ? Il faudra en tirer des conclusions dans la bonne marche des instruments de notre sécurité collective. La sûreté de l’Etat et des citoyens est à la base du fonctionnement serein de notre régime démocratique et il est urgent de remettre cela en haut de notre agenda commun.
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Cela passe également par la protection de ce qui fait les fondements de notre République : la Liberté, l’Égalité, la Fraternité.
Nous défendons, en tant que franc-maçonnes et franc-maçons, la liberté absolue de conscience, ce qui signifie par dérivation le droit de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion, d’en changer, de la critiquer et même de s’en moquer. Cela est indispensable au bon fonctionnement d’une société mâture. Et cela vient comme un ensemble, où la liberté des uns de pratiquer leur foi n’est ni entravée ni diminuée par la liberté des autres de la critiquer (et inversement).
Il s’agit de la reconnaissance de l’égalité de tous les citoyens, quels que soient leurs sexes, genres, origines, religions, opinions politiques et philosophiques et leurs orientations sexuelles. C’est l’un des fondements légaux de notre communauté et cela est essentiel pour que nous puissions nous organiser collectivement et trouver les voies de la sérénité et les moyens afin d’avancer tous ensemble.
Nous ne pouvons, enfin, rien faire sans la fraternité. La fraternité, c’est le respect réciproque entre citoyennes et citoyens, la reconnaissance des différents parcours individuels et la capacité à accepter et tolérer tout à la fois les différences mais aussi la progressivité des apports de chacun en fonction de ses capacités.
De ces trois principes fondamentaux découlent de nombreux autres, qui sont venus articuler la volonté que notre communauté a eu, à un instant, d’affirmer telle ou telle voie particulière : liberté d’expression, de manifestation, liberté religieuse, laïcité, etc. Mais il ne faut jamais oublier de revenir à l’essentiel : nous ne sommes pas un peuple monolithique, héritier d’une pureté de sang. Nous sommes une communauté vivante et constituée au fil de l’histoire par la volonté des individus d’apporter chacun leur pierre à l’édifice commun.
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Pour cela et à chaque fois, aussi terrible que soit cet événement, nous devons rappeler notre choix et notre volonté de construire ensemble, malgré nos différences, une société de paix et de justice. C’est la seule voie possible pour travailler à l’amélioration de l’Humanité.