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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Pensées confinées/ L’islamo-gauchisme. Essai de définition et commentaires

Jean-Pierre Bacot

Il y aurait une thèse ou, a minima, un long article à écrire sur l’origine et l’histoire de l’expression «islamo-gauchisme». Avis aux amateur(e)s. Sous réserve d'un inventaire exhaustif, il semble qu’elle trouve son origine dans l’attitude des mouvements altermondialistes du début du XXIème siècle. En l’état de nos rapides recherches, Pierre-André Taguieff  aurait été l’un des premiers à utiliser le terme en 2002, en parlant de la composante antisioniste du phénomène, dans ce qu’il appelait la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de mouvement antimondialisation, puis altermondialisation,  dans son livre La nouvelle judéophobie (Fayard, 2002)

Cet essai arrivait après la question du voile qui aura profondément divisé la population française depuis 1989-1990 et l’affaire des collégiennes de Creil. Cela aura marqué rétrospectivement la réalité du travail en profondeur de réislamisation des populations musulmanes par les frères musulmans, les piétistes et tout une constellation largement financée par les princes  du pétrole, notamment les Qataris, ce qu’a fort bien décrit Gilles Keppel dans Terreur dans l'Hexagone. Genèse du djihad français, avec Antoine Jardin (Gallimard, Paris, 2015).

Ceux qui, comme le fit l’anthropologue Emmanuel Terray, qualifiaient le refus de ce voile dans l’espace public d’« hystérie politique » auront participé, peut-être involontairement, de ce mouvement d’islamo-gauchisme (Revue Mouvements, 2004/2, n° 32). Bien plus tard, Élisabeth Badinter est revenue à la charge, dans Le Monde, le 2 avril 2016 : « Être traité d’islamophobe est un opprobre, une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes ».

La formule concerne essentiellement des intellectuels et/ou politiques de gauche (pour certains anciens gauchistes, au sens historique du terme, notamment trotskistes). Orphelins d’un monde ouvrier qui leur échappa plus que jamais après l’effondrement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991, comme du Parti communiste français et de tous les groupes se réclamant du marxisme léninisme, ils se sont rabattus sur les adeptes de la religion musulmane, supposés être les nouvelles victimes de l’oppression capitaliste et impérialiste.

Leurs adversaires de plus en plus nombreux leur reprochent d’avoir eu quelques complaisances avec des personnages douteux comme Tarik Ramadan, puis de ne pas avoir accepté de faire partie du fameux « Je suis Charlie », sans oublier l’absence de critique de certains, à droite comme à gauche, lorsque Maryam Pougetoux, vice-présidente du syndicat Union nationale des étudiants de France (UNEF), étudiante à l’université Paris-IV (mais qu’est donc cette UNEF devenue ?), a été auditionnée voilée à l’Assemblée nationale.

Edwy Plenel, journaliste talentueux, adepte d'enquêtes au long cours et créateur de Mediapart qui a sorti dans cette logique quelques belles affaires, est allé assez loin dans la complaisance vis-à-vis de rappeurs ou autres artistes membres de la sphère islamiste. La France insoumise (LFI), Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) qui se distingue particulièrement dans ce registre, et certains leaders du Parti socialiste (PS) ont plusieurs fois vu leur attitude ambiguë mise en cause.

Lors d'une récente entrevue dans les studios de BFM-TV, le 15 novembre, Edwy Plenel a remontré son véritable et double visage. Brillantissime dans la défense des sources de Médiapart dans les affaires touchant l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, mariant intelligence et humour, il est apparu bien moins à l'aise  quand il lui fut demandé de répondre sur l'islamo-gauchisme.

Il est vrai qu'il en vint un jour à invoquer l’enfance difficile du terroriste islamique Amedy Coulibaly. À supposer que les criminels de son genre aient connu des débuts d’existence malheureux du points de vue social et/ou personnel, s’est-on jamais posé la question pour les membres de la Schutzstaffel (SS) ou les Khmers rouges ?

Certes, le passé colonial de la France a pu servir d’argument aux islamo-gauchistes et il est donc grand temps que la responsabilité de la gauche laïque dans le processus du colonialisme entre dans la tête  de ce qui reste de progressistes. Les deux faces de personnages comme Jean Jaurès, aujourd’hui re-célébré pour sa promotion de la laïcité, sont volontairement méconnues de celles et ceux que l’on appelle familièrement les laïcards "saucisson-pinard". Ces deniers, libérés du catholicisme, ne veulent pas subir un nouvel obscurantisme. C'est leur droit, mais on ne leur rappellera jamais assez ce que fut le colonialisme du député de Carmaux qu’il croyaient humaniste, notamment à la création de l’Indochine française.

Dans le même mouvement historique, les islamo-gauchistes ont dû mettre de côté l’analyse décapante que fit Karl Marx au XIXème siècle de la religion. Plutôt que de l’avoir oubliée, ils en ont fait une réalité géographiquement centrée. L’athéisme est réservé de fait à l’« homme blanc », à la « femme blanche », les deux sexes étant aujourd’hui à égalité d’incroyance. Dès lors, un.e Arabe, un.e Berbère, un Turc, une Turque, un.e Pakistanais.e se voient condamnés à la religion et à l'opium du peuple. Si ce n’est pas du racisme, cela y ressemble bigrement. L’islamophobie, comme la «catholicophobie», l’«évangélistophobie», l’« athéeophobie » et nous en passons,  sont au plus des intolérances, car elles s’attaquent à une religion en particulier ou à la religion en général, dans un combat de nature  philosophique. Les athées français ont longtemps été et restent souvent « christianophobes ». Où est le problème ? Et, même, allons-y franchement, on peut penser, que l’on soit d’origine juive ou goy, que la pensée biblique du judaïsme ne vaut pas un clou, que la kabbale est une aimable plaisanterie pour amateurs des rebonds de l'analogie  et ne pas être pour autant le moins du monde antisémite.

L’extrême majorité des intellectuels islamo-gauchistes, européens ou Nord-américains, souvent universitaires, sont athées ou à tout le moins agnostiques. Mais il existe aussi sur notre territoire des personnes nées au Nord ou au Sud de la Méditerranée, d’origine arabo-berbère ou autre et qui sont sans religion. C’est une sorte de paradoxe de la situation postcoloniale actuelle : il est bien plus facile à ces incroyants de l’être et, plus encore, de le proclamer, en France et, plus généralement en Europe, qu’en Algérie ou au Maroc, et même en Tunisie. Ajoutons au passage que pour ce qui concerne l’homosexualité, c’est encore plus vrai. Les Lumières avaient certes une face coloniale, mais aussi une autre, que nous conservons mordicus, toute critique faite de la face noire de notre passé.

Un bel exemple de ce que nous dénonçons nous est fourni par un article paru dans Libération du 13 novembre dernier, sous la plume de Pierre-Jean Luizard, historien de l'islam, directeur de recherches au CNRS (groupe Sociétés, Religions et Laïcité) et titré " Le piège des caricatures". L'auteur fait la leçon à celles et ceux qui font l'impasse sur le passé colonial. Cette leçon, nous ne la recevrons pas, dans la mesure où l'équipe de ce blog a publié plus d'une fois des critiques de livres ou des chroniques sur ce thème. Quant à la pique sur le rôle de la maçonnerie qui ferait que l'on serait passé des frères des loges aux frères musulmans, elle glissera aussi sur notre toile cirée, puisque nous ne sommes pas les derniers à avoir souligné la posture coloniale qui fut celle de certains maçons. D'ici à en faire l'origine de l'islamisation des masses arabo-berbères, il y a juste la place pour une forme cette fois-ci quasi délirante de gaucho-antimaçonnisme. Un tel article est propre, quoi qu'il en soit de ces considérations, à ravir les derniers Jésuites survivants de la déchristianisation, tant l'auteur semble slalomer sur des oeufs pourris.

Ceci posé, il faut se méfier des causalités simplistes. Faut-il, sinon, excuser le nazisme par l'humiliation que les Allemands ont ressentie après la signature traité de Versailles, le 28 juin 1919 ou faire l'impasse sur le génocide du Rwanda en invoquant la position dominante des Tutsis massacrés?

Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier le rôle des régimes post coloniaux fort peu démocratiques au pouvoir dans la montée d'un l'islamisme radical souvent financé par les rois du pétrole et du gaz, depuis les monarchies pétrolières du golfe jusqu'aux pays du Maghreb.

En conclusion de son article paru dans le Monde du 26 novembre " La gauche et l'Islamisme: retour sur un péché d'orgueil", Jean Birnbaum notait:" De même que Lénine définissait le "gauchisme" comme la maladie infantile du communisme,  on peut affirmer que l'"islamo gauchisme" constitue la maladie sénile du tiers -mondisme. Celle d'une gauche occidental-centrée, qui n'imagine pas que l'oppression puisse venir d'ailleurs. Celle d'une gauche anti-impérialiste qui voit en tout islamiste un damné de la terre, même quand il est bardé de diplômes ou millionnaire. Celle d'une gauche qui plaçait naguère sa fierté dans son aura mondiale et qui a été surclassée par un mouvement qu'elle a longtemps regardé de si haut: l'internationale islamiste."

L'évolution de la situation, à travers la multiplication des actes terroristes, l'attitude de certains parents et, plus inquiétant encore, de jeunes enfant rétifs à la République, a relancé le débat sur une laïcité à la française désormais assumée aussi bien par la gauche que par la droite et même l’extrême-droite, toutes débarrassées de préoccupations religieuses, ce qui rend particulièrement nerveux certains évêques de cette armée mexicaine qu'est devenue l'Eglise de France, qui ont essayé de se glisser dans la brèche. Les islamo-gauchistes font profil bas et nul ne s’en plaindra, mais certaines et certains bougent encore, comme nous l'avons souligné des catholiques. C'est le cas, hélas trois fois hélas, de certain-e-s collègues de Samuel Paty et de ceux qui protestent contre la dissolution du comité contre l'islamophobie en France (CCIF), cache-sexe des Islamistes, créé en 2003. Laissons-les faire, mais critiquons-les, même s'ils nous caricaturent à leur tour.

Quant à l'image qui illustre cet article et que nous propose Julien Vercel, elle réfère au film We are four lions du britannique Chris Morris, lequel défraye la chronique au Royaume désuni et bientôt aux Etats désunis, par sa tentative de démystifier le terrorisme par l'absurde. Comme l'écrivaient récemment les Inrocks: "Cette histoire de quatre terroristes islamistes bien décidés à se faire sauter dans le centre de Londres repose la question des limites de la satire". Attendons la version française pour voir comment un artiste peut intervenir dans un débat comme celui que nous soulevons et la manière dont certains réagiront.

 

 

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