Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Les ouvrages consacrés au néolibéralisme, à son histoire et son incarnation dans la présidence Macron, ont tendance à se multiplier et nul ne s’en plaindra. L’intérêt du livre que Romaric Godin, chargé du suivi de l’économie française à la rédaction de Médiapart, vient de publier est de plonger dans les racines de cette idéologie pour expliquer le présent. Par rapport à d’autres auteurs qui n’insistent pas sur cet aspect, il estime que le caractère autoritaire du pouvoir qui s’est manifesté récemment était inscrit dans le programme du Président élu en 2018.
Romaric Godin montre également que dans les dernières décennies, la société française et une partie de la classe politique se sont montrés rétifs à la volonté d’imposer le néolibéralisme comme un choix incontestable, ce qui a conduit, jusqu’à la période récente, à des compromis. Contre cette résistance qui perdure et cette tendance à construire de l’hybride, le pouvoir serait selon l’auteur, à la fois en position de revanche mais aussi dos au mur. C’est son caractère minoritaire, de même que la division des oppositions, heureuse pour lui, qui le pousseraient à durcir la répression contre la moindre contestation, afin de faire passer en force les réformes qui achèveraient la privatisation de la société. There is no alternative ?
L’émergence du néolibéralisme au moment du colloque Lippmann en 1938 serait une revanche du capital échaudé par le maintien d’une valeur travail, portée entre autres par le Front populaire dans les années qui avaient précédé. L’auteur interroge ensuite la spécificité du modèle français d’après-guerre, dont il estime qu’elle est en train de disparaître avec la radicalisation que nous impose la macronie.
La guerre sociale, dont les gilets jaunes auraient fourni les prolégomènes, serait donc inévitable nous dit Godin, vu les dégâts sociaux causés par la violence des décisions prises. L’ouvrage ayant été écrit avant la crise sanitaire, la manière dont elle aura été gérée à la fois par le gouvernement et les laboratoires pharmaceutiques, hauts lieux du capitalisme financier, ne devrait reculer cette guerre sociale que de quelques mois.
La conversion de la social-démocratie française -et néanmoins hollandaise- au néolibéralisme (on mesurera l’humour involontaire que constituent les émeutes à Amsterdam et d’autres villes bataves) est présentée par l’auteur comme étant l’un des éléments principaux qui ont accéléré le processus et permis l’élection de ce Président ni de gauche, ni de gauche.
La seule chose que nous nous permettrons de reprocher à l’auteur est de ne pas avoir pris en compte les travaux du sinistre Carl Schmitt qui, quelques années avant que ne se structure le néolibéralisme, avait déjà expliqué au patronat allemand que pour que l’économie fonctionne, il ne fallait pas hésiter à serrer la vis sur les libertés. Nous avons rendu compte des travaux de Grégoire Chamayou sur ce thème à propos de l’ouvrage paru en octobre 2020, également aux éditions de la Découverte : Du libéralisme autoritaire, Carl Schmitt et Hermann Heller.
Quoi qu’il en soit de cette réserve, la lisibilité de ce livre et sa construction limpide font que nous ne pouvons que le conseiller à celles et ceux qui, tout en souffrant, ne comprennent pas toujours ce qui se passe et d’où cela vient. Quant à se battre contre la fausse inéluctabilité des choix politiques, comme du réchauffement climatique, ainsi que l’écrit Romaric Godin en ultime conclusion: « Il n’y a rien d’autre à perdre que le désastre et un monde à gagner ».