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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Théorie du Drone » de Grégoire Chamayou

Jean-Pierre Bacot

Il aura fallu tomber sur le passage à France Inter du philosophe Grégoire Chamayou pour que l’idée nous vienne de lire de toute urgence cette Théorie du drone parue à la Fabrique en 2013. Peut-être avons nous été victimes, comme tant d’autres, d’une certaine bonne conscience. Il est en effet des sujets que l’on connaît vaguement, mais que l’on ne souhaite pas approfondir.

Grégoire Chamayou commence par une description réfrigérante de ce qui est à l’œuvre dans les airs au dessus du désert et a déjà causé de solides dégâts, notamment au Pakistan et en Afghanistan, semant la terreur dans les populations civiles. Il existe aujourd’hui plusieurs sortes de drones à usage militaire, dont certains sont miniaturisés au point de pouvoir pénétrer dans une maison en passant par une fenêtre, apprend-on entre autres joyeusetés.

La volonté des pays développés, au premier chef les États-Unis et Israël, de ne plus tolérer la mort d’un soldat, les a poussés à développer la conception et la fabrication d’objets volants sans pilote. C’est sous la présidence Obama que les USA ont préféré les drones et leurs assassinats programmés, plus ou moins bien ciblés, à la gestion de prisons comme Guantanamo. Plus de prisonniers…

Cette évolution modifie non seulement la nature des forces armées, mais pose également toute une série d’interrogations, dans le registre de la psychologie, comme dans celui celui de l’éthique. Pour ceux qui tiennent les manettes d’une sorte de jeu vidéo, à quelques milliers de kilomètres de leur cible, il n’est plus question de parler d’héroïsme, mais tout est fait pour qu’ils ne se sentent pas de purs assassins avec des psychologues et même des aumôniers de diverses confessions au service de leur équilibre mental.

La stratégie militaire de ces États est en train de se modifier considérablement, sans que cela ne soulève le moindre débat politique. La tolérance coupable qui est la nôtre peut s’expliquer en partie par le traumatisme que génère dans l’opinion l’annonce du décès de soldats au combat ou par accident.

Pourtant, les dégâts collatéraux que causent les drones sont énormes. Leurs explosifs ont un rayon d’action mortelle d’au moins quinze mètres et quiconque arrive dans le champ de vision juste après que le missile soit parti, homme, femme, enfant ou animal passe de vie à trépas.

Même si Grégoire Chamayou se plait à croire que l’évolution en cours pourrait être arrêtée, comment faire pour que le permis de tuer soit combattu efficacement ? Il est délicat de ne pas se montrer pessimiste, à moins que de petits génies de l’informatique ne trouvent le moyen de dérouter ces engins de mort ; avant que des drones ennemis ne viennent nous frapper un jour, ce qui aurait pour effet une certaine prise de conscience…

L’ennemi à bombarder est choisi en partie sur algorithme, avec une marge d’erreur non négligeable. Tuer sélectivement, « humainement » des personnes prises dans votre champ de vision crée un nouveau cadre de pensée et d’action qui relève davantage de la chasse à l’homme que de la guerre. Le drone n’est pas seulement d’usage militaire. Les forces de police l’utilisent de plus en plus, ce qui participe au rétrécissement de nos libertés dans le cadre d’une société de surveillance.

Le droit de la guerre qui donnait la possibilité de tuer celui ou celle qui pouvait vous tuer devient obsolète. Grégoire Chamayou analyse la rhétorique des chefs militaires qui tendent à justifier coûte que coûte cette évolution qui bouscule les habitudes. Il en démontre l’hypocrisie foncière.

Nous avons déjà eu l’occasion de rendre compte sur ce blog de la traduction et de la présentation du rôle du sinistre Carl Schmitt dans la construction du néolibéralisme autoritaire éditées par Grégoire Chamayou. Nous aurons l’occasion de revenir sur d’autres de ses écrits.

Quand ce philosophe pose, parmi tant d’autres questions, ce que sera une recherche en responsabilité le jour où un drone commettra un crime de guerre, on peut se dire qu’il est urgent de remettre l’éthique, ce qu’il appelle la nécro-éthique, au dégoût du jour.

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