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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Le Parc de Bruxelles : le plus grand espace maçonnique au monde ?

Joël Goffin

La Belgique est régie par les Autrichiens quand, en 1770, Georges-Adam Starhemberg débarque à Bruxelles avec la charge déléguée par Vienne de ministre plénipotentiaire (Premier ministre). C’est l’un des descendants de la prestigieuse famille autrichienne victorieuse des Ottomans en 1683. À Bruxelles, il prend très vite la haute main délaissée par le débonnaire Charles de Lorraine. De 1780 (mort de Charles de Lorraine) à 1783, Starhemberg possédera même les pleins pouvoirs avec son Frère de Loge le duc Albert de Saxe-Teschen, le nouveau gouverneur, et son parent et Frère le prince Kaunitz, chancelier à Vienne.

C’est Starhemberg qui envisage de remplacer le palais de Charles Quint incendié en 1731 par un Quartier royal digne du prestige des Habsbourg. En 1775, le bon peuple bruxellois érige Place Royale une statue en hommage à Charles de Lorraine. Dans la foulée, Starhemberg soumet à l’impératrice Marie-Thérèse un projet de Quartier Royal au goût du jour

Il est utile de préciser ici que Starhemberg est franc-maçon. Très jeune, il est initié en Saxe à la Loge Minerve aux Trois Palmiers qui deviendra plus tard Minerve au Compas. Cette Loge relève de la Stricte Observance, une obédience qui revendique une filiation avec l’Ordre du Temple sur fond irrationnel de quête alchimique, de rosicrucianisme et d’études kabbalistiques !

Pour son projet de Quartier Royal, Starhemberg s’est adjoint les services du sculpteur Godecharle, probablement franc-maçon, et de l’architecte français Guimard, dont on ne sait pas grand-chose. Comme le montre le plan qui reprend les outils maçonniques, le compas ouvert à 45 degrés et sa vis sont emblématiques du nouveau Parc « Royal » : le compas est en effet associé au Grand Architecte de l’Univers (le principe créateur, le Géomètre) et au Vénérable Maître d’une Loge. Il convient de noter que le marteau ne relève que de la Stricte Observance.

Suivons le brillant Starhemberg dans sa promenade symbolique qui mène de la Place Royale à la rue de la Loi où se dresse le fronton du Palais de la Nation (Parlement). Notons que le Parc de Bruxelles se trouve à l’Occident et le bassin central à l’Orient « symbolique » (plan de Ferraris, 1777).

Le parcours commence au Palais de Charles de Lorraine, l’actuelle place du Musée, qui aurait un caractère alchimique selon certains auteurs. Par la Montagne de la Cour qui devait s’orner d’un arc de triomphe, nous débouchons sur la place Royale. L’ensemble était clos par des portiques, créant ainsi une sorte d’espace sacré séparé du monde profane, de la ville basse.

Du côté de la rue de la Régence, qui n’était pas encore tracée, s’élevait un imposant « Passage des Colonnes » décoré de six trophées d’armes. Il est tentant d’y voir une allusion au passage vers le monde obscur comme c’était le cas des Colonnes d’Hercule (Gibraltar) tournées vers l’Occident et l’océan inconnu ou aux deux colonnes du temple maçonnique. Laissons de côté l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg bâtie à la même époque que le Quartier Royal et qui possède des points communs avec le Temple de Salomon, tel que les Maçons se le représentaient en cette fin de 18e siècle. Mais ce n’est pas notre sujet. À droite du sanctuaire, dans la peu accessible impasse du Borgendael, nous apercevons le trophée d’armes d’Athéna avec des références à la Toison d’Or comme le port du casque au bélier. De la Toison d’Or associée à la quête alchimique au 18e siècle, il en est encore question à l’entrée du Parc, rue Royale 14. Athéna est de nouveau mise en exergue. Mais pour le coup le dragon qui gardait la célèbre Toison convoitée par Jason et ses argonautes est profondément assoupi grâce au philtre de Médée. La Quête peut commencer.

Risquons-nous dans le Parc semé de colonnes à grenades, symboles de fraternité et de fécondité pour les Maçons. L’observateur constate que l’allée oblique menant au bassin central constitue l’axe principal du Parc Royal. Or, la « Dirigit Obliqua » est une devise de la Stricte Observance chère à Starhemberg qui signifie : « Elle rend droit ce qui est de travers » dans une perspective de régénération et de rédemption. Cette allée biaise possède la propriété insolite de viser le coucher de la Saint-Jean d’Hiver fixée au 27 décembre. Au 18e siècle, la Saint-Jean d’Hiver était la principale fête d’obligation de l’Ordre des Francs-Maçons. De très nombreuses Loges étaient d’ailleurs placées sous son invocation. À cette date, les dignitaires étaient (ré)élus et les membres assistaient à un banquet précédé... d’une messe solennelle. À la Saint-Jean, les jours allongeaient et symboliquement chaque Maçon méditait sur la renaissance de son « soleil intérieur ».

Directement à droite de cette entrée biaise, nous accédons aux bas-fonds, ultimes vestiges de la chasse gardée de Charles Quint. L’un d’eux recèle la statue de Marie-Madeleine et le buste du tsar Pierre le Grand. Tous deux ont été déplacés au 19e siècle vers ce qui ressemble à une grotte initiatique ou d’élection. Avant d’être initié, tout Maçon est introduit dans un cabinet de réflexion qui l’invite à se débarrasser de ses préjugés liés au monde profane. Rappelons que Madeleine est vénérée par la Maçonnerie opérative (compagnonnage), l’une des sources de la Franc-Maçonnerie. Le buste de Pierre le Grand arbore fièrement l’année 1717 qui marque son passage à Bruxelles, mais peut-être également la fondation officielle de la Franc-Maçonnerie à Londres. Sur le mur, les lettres VITRIOL en miroir ne datent que de 1991, mais elles renforcent évidemment le caractère symbolique des bas-fonds puisqu’elles sont l’acronyme latin de la formule alchimique et maçonnique : « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. »

Revenus sur l’allée oblique, nous croisons une délicate statue de la Charité. C’est précisément la plus grande qualité requise d’un Maçon au 18e siècle. En ce temps, l’Ordre possède des racines chrétiennes, même s’il ne fait pas allégeance au Pape. C’est ainsi qu’un athée déclaré ne peut y entrer. En progressant vers la rue de la Loi ou l’Orient symbolique, nous débouchons sur deux monuments sculptés qui se trouvent devant le bassin circulaire. Celui de gauche est dédié à Starhemberg avec la représentation de ses armoiries. Celui de droite est purement maçonnique : aux pieds de l’enfant de gauche (le Compagnon), on peut voir le ciseau et le burin, outils de l’Apprenti en Maçonnerie. Celui de droite (le Maître) tient l’équerre et le compas de la main gauche. Le Compagnon déroule le plan du Parc couronné de roses : il s’agit de son chef-d'œuvre, un chef-d'œuvre qui est demandé à tout Apprenti lors de son initiation-réception.

Ces deux monuments constituaient un lot de consolation pour Starhemberg dans la mesure où Joseph II, lors d’une visite à Bruxelles, lui avait refusé l’érection d’un obélisque triangulaire. Celui-ci devait s’élever au bassin rond et constituer la « dernière pierre de tout l’édifice » selon la correspondance autrichienne de l’époque. En réalité, Joseph II prétexta que l’obélisque lui coûtait trop cher. Objection incongrue puisque le très libéral prince de Starhemberg avait mis à contribution les abbayes environnantes et les États (provinces) pour couvrir les frais du nouveau Quartier Royal mais aussi de l’obélisque ! Les allégories de ce dernier étaient éloquentes : Minerve/Athéna, Hermès, Cérès/Isis, etc. Le tout sommé d’un aigle couronné d’or et protégé par huit sphinges. Plus tard, au château de Wespelaar, le même Godecharle érigera un obélisque visiblement maçonnique sur une île figurant les Champs Élysées, où reposent les héros vertueux dont l’âme est immortelle.

Dans l’axe médian du Parc de Bruxelles, Gilles-Lambert Godecharle, toujours lui, concevra le majestueux fronton du Palais de la Nation (actuel Parlement, rue de la Loi) intitulé « La Justice récompensant la Vertu et punissant les Vices ». Un concept éminemment maçonnique et constamment repris dans les rituels de la fin du 18e siècle. La Vertu peut être assimilée à la Connaissance et les Vices à l’ignorance. En résumé, Minerve/Athéna (la Sagesse) présente un personnage ailé ou l'Élu à la Justice qui lui offre une couronne de laurier. Les sept Vertus apparaissent tour à tour au fronton. L’une d’elles porte sur la poitrine un triangle maçonnique figurant l'Œil de la Conscience ou le principe créateur.

Dans l’axe, à l’autre bout du Parc, s’élevait la résidence de Starhemberg devenue la matrice de l’actuel Grand salon blanc du Palais Royal. S’y trouvait aussi la Chambre héraldique (détruite) qui conserva jusqu’au départ des Autrichiens le Trésor de la Toison d’Or.

Pour les Francs-Maçons autrichiens férus d’occultisme et d’alchimie sur fond d’inspiration rosicrucienne, la Toison d’Or s’apparentait à la pierre philosophale et à l'Élixir de Longue-vie. L’axe médian du Parc reliait donc la Toison d’Or, l’obélisque (l'Être suprême) et le fronton du Palais de la Nation, le tout centré sur la régénération et l’immortalité de l’âme.

Mais ce n’est pas tout, au 19e siècle, le caractère maçonnique du Parc semble avoir été renforcé. C’est ainsi qu’en 1881, le franc-maçon Thomas Vinçotte rend hommage à son Frère Godecharle en lui dédiant une jeune femme nue dévoilant l’esquisse du fronton du Palais de la Nation. Elle s’intitule « Allégorie de la Vérité » et se trouve sur un tertre parmi des buissons, non loin du bassin central. Or, la vocation de tout franc-maçon n’est-elle pas de rechercher la Vérité quelle qu’en soient les difficultés, voire les désillusions ?

La preuve par les Amis Philanthropes ?

Pour célébrer le bicentenaire de son installation en 1798, la loge des Amis Philanthropes commande à Bpost (la poste belge) un timbre officiel sur le thème de la Libre Pensée.

Gérard Alsteens est le dessinateur du timbre proprement dit (à droite de l’illustration). Chose insolite, Les Amis Philanthropes font accompagner le timbre d’un plan du Parc entouré d’une sorte de chaîne d’union. Il s'agit donc d'une revendication de premier ordre, voire d’une preuve formelle : en effet, pourquoi choisir le Parc s’il n’a rien de symbolique !

Jean-Pol Ducène, un philatéliste spécialiste de la thématique maçonnique confirma sur son site le caractère maçonnique du Parc.

L’intégralité de l’étude se trouve en ligne sur le site https://bruges-la-morte.net

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L
M'intéressant à ce qui touche à la Franc-Maçonnerie en dehors de nos frontières, j'avais appris que la ville de Bruxelles regorge de références maçonniques. Sans l'avoir cependant jamais lu, je connais l'existence d'un livre de Jean Van Win intitulé: "Bruxelles maçonnique, faux mystères et vrais symboles", livre datant de 2009. <br /> Il serait intéressant de savoir quels sont les apports nouveaux de la thèse de Joël Goffin par rapport à celle exposée par Jean Van Win, il y a maintenant une douzaine d'années. <br /> Se complètent-ils? Sont-ils en désaccord? Je crois me souvenir d'avoir lu que le livre de Van Win ne faisait pas l'unanimité. Joël Goffin est-il de ses laudateurs ou de ses contradicteurs? Et en quoi peuvent-ils différer l'un de l'autre?
Répondre
J
Mon hypothèse réfute l'exposé de Jean Van Win qui nie tout caractère maçonnique au Parc.<br /> Ma "réponse à la réfutation de Jean van Win sur l’hypothèse maçonnique du Parc de Bruxelles" : texte en ligne.<br /> Merci de transmettre à l'internaute, le cas échéant.